Estimés à 645 à l’échelle nationale, les restaurants «Iftar» ouverts au profit des tout-venant à l’heure de la rupture du jeûne, offrent une variété de formes et de services. On peut établir une typologie de ces restos du cœur suivant leur capacité, l’identité de l’entité qui les gère (privé ou public ) la nature des espaces qui les abritent, etc…
Disons qu’il y a des resto- réfectoires qui peuvent nourrir jusqu’à 1000 personnes, qui sont généralement abrités par des structures appartenant à la commune ou à un organisme étatique. Cela peut-être une salle des fêtes, un établissement scolaire, etc… On y sert des repas dans des plateaux en inox qu’on a coutume de voir dans les hôpitaux, les casernes et les campus universitaires. Il y a des resto-gargotes, (qui nourrissent entre une trentaine et une cinquantaine de bouches) abrités dans des locaux exigus mais dont les propriétaires sont aux petits soins avec les convives qui se voient servir des plats dans des assiettes en porcelaine.
Il y a aussi des resto-maisons, tenus par des particuliers dans l’un des patios ou pièce de leur grande villa. Il y a aussi des resto-jardins qui se tiennent dans des jardins publics.
Les tables sont dressées à l’intérieur ou à l’air libre selon les saisons. Une école à Bab Ezzouar dans la banlieue d’Alger a été par exemple réquisitionnée à cet effet. On s’y presse souvent une demi-heure avant l’heure du déjeuner.
«C’est un peu l’inconvénient du Ramadhan, on n’a pas encore trouvé une astuce pour éviter que les repas ne refroidissent», regrette un jeune. Pour ne pas être débordés, les agents chargés de la distribution des repas sont contraints de s’acquitter de leur mission suffisamment à l’avance, ce qui évidemment ne permet pas d’offrir une soupe fumante, considérée comme l’alpha et l’oméga de l’alimentation du jeûneur. Le repas est composé généralement outre de l’incontournable chorba, du plat de résistance (légumes et viande), ainsi que d’un dessert (salade de fruits, yaourt).
Comme par hasard, ce soir on a servi des macaronis, alors que dans la matinée même un représentant du ministère de la Solidarité et de la Famille qui s’exprimait sur les ondes de la chaîne III de la Radio nationale, soutenait que le ministère était à pied d’œuvre pour veiller à la stricte exécution des instructions relatives au régime alimentaire, qui selon lui ne devrait pas comporter d’aliments à base de pâtes.
Croisé à quelques encablures de là, dans ce même Bab-EZ-Ezzouar, dans un lieu de restauration géré par un particulier, Hamid, la soixantaine bien entamée avoue qu’il vient «ici parce qu’il s’y sent plus à l’aise qu’en famille ». A l’écouter ses enfants qui sont au nombre de cinq «ne sont pas contents de lui» ! «Oui confesse-t-il encore, je préfère ce resto parce que les gens qui y viennent sont tous des étrangers, personne ne me connaît». Et comme Hamid a accumulé de l’expérience sur les pratiques gestionnaires de ce lieu de restauration tenu par un grand hôtelier connu de l’agglomération de Bab Ezzouar, il explique que les agents recrutés pour la distribution des repas, «s’adonnent au détournement de quelques denrées comme la viande et les bouteilles de limonade qu’ils offrent à leurs copains dans les environs».
Finalement, et contrairement à ce qu’affirment les pouvoirs publics, il n’y a aucun contrôle ni sur la quantité ni sur la qualité des services fournis.
Hamid nous montre les morceaux de viande minuscules, «vous voyez ,ce n’est pas normal, si le patron venait à l’apprendre, il les virera tous», assène-t-il. Mais il est loin le temps où les restos du cœur étaient des espaces clos ouverts uniquement à cette frange de population qu’on appelle les indigents.
Si on peut relever le fait que les femmes y sont totalement absentes, sauf dans des cas très rares, quand il y a des mendiantes dans les parages, ces restos sont massivement investis par les jeunes. Mais on nous signale un phénomène de société assez significatif. Ainsi Rafik, 45 ans, rapporte qu’à «Beaulieu, pas loin de Cinq Maisons, un resto d’un particulier ouvert à l’intérieur d’une villa , draine quotidiennement un millier de personnes».
D’après lui «les habitants du quartier sont plus nombreux que les passagers, beaucoup de familles qui ne subviennent pas à leurs besoins, préfèrent libérer quelques uns de leurs membres afin de tenir le coup».
Par : Larbi Graïne