Baisse des exportations d’hydrocarbures Le risque d’un choc externe

Baisse des exportations d’hydrocarbures Le risque d’un choc externe

Les exportations d’hydrocarbures baissent depuis plusieurs mois, les prix du pétrole fléchissent. Dans ce contexte, l’économie algérienne risque-t-elle de subir un choc externe ? Pas dans l’immédiat, sur le court terme, répondent des experts qui estiment cependant que l’Algérie doit engager effectivement la diversification de son économie.

Il y a «des indices (d’un) choc externe», affirmait récemment le gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci. Selon le responsable de la Banque centrale, la «contraction significative» des exportations d’hydrocarbures (en volume et en valeur), couplée au fléchissement des prix du pétrole, outre la hausse sensible des importations, constatés durant le premier trimestre 2013 induisent l’éventualité d’un choc similaire à celui de 2009.

Ce que le Centre national de l’informatique et des statistiques (Cnis, relevant des Douanes) a confirmé, notant la baisse des exportations de pétrole et de gaz de 3,12 milliards de dollars durant les cinq premiers mois de 2013, entraînant de facto la baisse sensible des exportations globales.

La semaine dernière, le ministre des Finances, Karim Djoudi prévoyait une hausse du déficit budgétaire en 2013 à 20% du produit intérieur brut (PIB), en raison de la hausse des dépenses d’équipement, mais que les disponibilités du Trésor et du Fonds de régulation des recettes (FRR) permettront de couvrir selon le premier argentier du pays.

UN CHOC EXTERNE COMME EN 1986 ?

Une hausse du déficit sans impact sur la réalisation du programme infrastructurel en cours, les équilibres économiques globaux, assure le ministre des Finances, affirmant toutefois ne pas être réellement rassuré.

Eventuel selon le gouverneur de la Banque d’Algérie, un choc externe similaire à celui de 2009, voire au choc de 1986 est-il effectivement possible ? Pas dans l’immédiat, constate l’économiste Mustapha Mekidèche, viceprésident du Conseil national économique et social (Cnes).

«Nous avons constaté au cours du premier trimestre 2013 une baisse des quantités exportées, des prix également », relève M. Mekidèche. Si cette baisse est appelée à se poursuivre, l’inquiétude serait donc de mise. «Il y a des signes de difficultés. Le coup de semonce est donné», assure- t-il.

LA MENACE MOINS INTENSE, CERTES…

Pour autant, le vice-président du Cnes estime qu’«en termes de niveau d’intensité de la menace, nous ne sommes pas dans la même situation qu’en 2009». Certes, les prix du pétrole ont été divisés par deux en 2009 mais les cours se sont redressés progressivement par la suite, rappelle cet économiste qui écarte de même une réédition de la situation vécue en 1986.

Suite à la chute drastique des cours du pétrole à moins de 10 dollars le baril, l’Algérie s’était retrouvée en 1986 et les années suivantes en situation de cessation de paiement avérée. Mais «l’intensité de la menace n’est surtout pas au niveau de 1986», assure M. Mekidèche. Abordant la conjoncture actuelle, le vice-président du Cnes a pris acte des assurances du ministre de l’Energie et des Mines sur l’amélioration de l’offre de production.

«Allons-nous rattraper les quantités d’exportation ?» s’interroge- t-il cependant. Il s’agit également d’«attendre les effets de la nouvelle loi sur les hydrocarbures», observe cet économiste, relevant la nécessité pour Sonatrach de «focaliser sur l’amont».

SORTIR DU MODÈLE DE CROISSANCE ACTUEL !

Néanmoins, l’enjeu fondamental est de «sortir» du modèle de développement, de croissance économique dépendant des hydrocarbures.

Le déficit budgétaire, «on pourra le couvrir», convient-il, grâce au FRR qui est alimenté par les recettes non budgétisées des exportations et qui peut compenser les déficits pendant plus de deux ans. Mais dans le cas où les recettes poursuivront leur tendance à la baisse, le FRR ne pourra être «suffisament réalimenté » et ne permettra pas de couvrir d’éventuels déficits. Une éventualité que Mustapha Mekidèche écarte pour l’immédiat mais «c’est un problème à moyen terme», à l’horizon 2015, note-t-il.

«Il faudrait un régime de croissance davantage rationnel, faire la chasse au gaspillage en matière de modèle de consommation», estime Mustapha Mekidèche qui prône le développement de la carburation au GPL notamment. Il s’agira également de mettre en oeuvre une politique industrielle, relève-t-il, en indiquant qu’une dynamique est lancée en ce sens.

L’ÉCONOMIE ALGÉRIENNE A PU S’ADAPTER À LA RÉCESSION MONDIALE

Un point de vue qu’un autre économiste, spécialiste en prévisions économiques partage, estimant que le risque de choc n’est pas pour l’immédiat.

Selon cet expert, les prix du pétrole ont certes diminué, dans le contexte de la crise des économies européennes, en situation de récession, ainsi que le ralentissement de la croissance chinoise. Cette baisse de la demande induit des effets sur les niveaux des prix et la conjoncture reste peu favorable, relève-t-on.

Ainsi, les recettes d’exportations d’hydrocarbures ont baissé à cause notamment d’un problème d’offre de production d’hydrocarbures, essentiellement le pétrole. Toutefois, ces prix pétroliers restent encore supérieurs aux prix d’équilibre budgétaire et l’économie nationale a pu s’adapter à une situation de récession économique mondiale qui dure depuis trois ans au moins et qui n’a pas réellement agi sur les prix, note-t-il.

LA CONJONCTURE DÉFAVORABLE NE DEVRAIT PAS DURER

Ainsi, un choc économique frontal, de la nature de celui de 1986 n’est pas à envisager, observe cet expert qui rappelle que les prix du pétrole ont baissé alors de manière très significative. Ce qui n’est pas le cas sur le court terme même si les prix baissent à 60 ou 50 dollars le baril.

Et cela, d’autant que les recettes d’exportations sont gérées sur la base d’un référent de 37 dollars, le FFR peut absorber tous les déficits, même aggravés, pendant deux à deux ans et demi au moins et l’Algérie dispose de capacités de réserves de changes qui peuvent couvrir plus de trois ans d’importations.

Comme l’on estime que le marché pétrolier ne pourra pas fonctionner longtemps avec des cours baissiers et que la dynamique de reprise économique dans le monde semble lancée. Le risque se pose toutefois sur le moyen terme, si la conjoncture défavorable perdure longtemps.

LA DIVERSIFICATION DE L’ÉCONOMIE S’IMPOSE DONC

D’où la nécessité également de développer la diversification de l’économie, estime-t-on et à titre immédiat. Ce qui implique de bien valoriser les produits que l’Algérie exporte hors hydrocarbures, au nombre de 150, depuis des décades et qui bénéficient d’avantages compétitifs.

Il s’agit aussi de veiller à valoriser les produits susceptibles d’être exportés, note-ton. Une dynamique de diversification qui implique également d’améliorer la gouvernance économique. En ce sens, l’économiste et spécialiste des questions de développement, Bachir Boulahbal, constate que le risque de choc est réel, même si ce sont essentiellement des paramètres d’ordre non économique qui déterminent un tel choc.

Il s’agit ainsi d’être «raisonnable» en termes de financement des projets, d’autant que le programme quinquennal 2005-2009 et même le programme en cours jusqu’à 2014 ne sont pas entièrement réalisés. Ce que le ministre des Finances avait admis tout en assurant que le programme quinquennal actuel sera mené à son terme en 2014 et qu’aucun programme nouveau «n’est encore décidé».

UNE QUESTION DE BONNE GOUVERNANCE ÉCONOMIQUE

Toutefois, le problème concerne, dira Bachir Boulahbal, l’aptitude de l’Algérie, sa capacité à «gérer convenablement» les ressources financières et autres dont elle dispose, indépendamment de la conjoncture et des difficultés.

Or, cet économiste constate qu’en dépit des stratégies envisagées et des politiques publiques impulsées, l’Algérie devrait disposer d’instruments «suffisamment développés », en matière de communication d’informations comptables notamment, de mesure et d’évaluation des atouts et opportunités sectorielles.

«Ce qui n’existe pas», relève M. Boulahbal, appelant notamment à conforter le rôle de l’Office national des statistiques (ONS). Ainsi, ce spécialiste prône une bonne planification sectorielle, le développement du partenariat et l’ouverture économique, «la responsabilisation » ainsi que la transparence.

C. B.