Si Sonatrach ne règle pas le problème de volume, l’Algérie risque d’être balayée du marché européen. Les recettes en devises du pays connaîtront dans ce scénario une forte chute.
Sonatrach enregistre une inquiétante baisse de sa production d’hydrocarbures depuis 2010. Entre 2011 et 2013, elle a chuté de 10% en volume, selon l’ONS. Pour un ancien vice-président de Sonatrach chargé de l’amont, cette chute de production est due au vieillissement des gisements les plus importants. Certains, parmi les plus gros, ont plus de 40 ans d’âge. Cette chute de production de ces anciens champs de pétrole et de gaz n’a pas été compensée par la mise en service de nouveaux gisements. Cette situation est due en partie aux lenteurs dans la prise de décision.
Avec le scandale Sonatrach, on a mis une épée de Damoclès. Les cadres ont toujours peur de prendre des décisions, explique-t-il. Mourad Preure, ancien conseiller à la direction de Sonatrach, spécialiste des questions énergétiques, abonde dans le même sens. “Il me semble qu’il y a une panique, c’est ça qui inquiète, il y a la courbe de production d’hydrocarbures qui baisse et qu’on n’arrivera pas à faire inverser dans l’immédiat.” En d’autres termes, les volumes produits ne sont pas suffisants pour faire face à la demande interne et exporter au moins 60 milliards de mètres cubes par an.
Ce qui menace Sonatrach, c’est la demande domestique en produits énergétiques qui connaît une croissance exponentielle. Abdelhamid Zerguine, ancien P-DG de Sonatrach, avait, en juillet dernier, estimé que les besoins domestiques en gaz seront de l’ordre de 45 milliards de m3 en 2020, 65 milliards de m3 en 2030, contre 30 milliards de m3 actuellement. À ce rythme, la production d’hydrocarbures ira en grande partie à la couverture des besoins énergétiques du pays. Du coup, les volumes exportés vont inéluctablement connaître une baisse à moyen terme. Nos recettes en devises pourraient donc baisser de manière importante, eu égard à la croissance de nos besoins énergétiques.
La production d’hydrocarbures a chuté de 10% entre 2011 et 2013
Sonatrach connaît donc un problème de volume parce qu’elle n’a pas fait ce qu’il fallait faire. Ses projets ont connu un retard très important. La mise en service du pôle gazier de Gassi Touil-Rhourde Nouss devait intervenir en 2009, il le fut en 2013. On attendait la mise en service des gisements de gaz du Sud-Ouest tels que Touat et Timimoun en 2012. Ils seront mis en service si tout se passe bien en 2016. “Ce problème de volume est d’autant plus inquiétant que nous avons besoin de volumes de gaz à l’exportation. Le marché européen est en plein bouleversement avec des inquiétudes sur l’offre russe. Celui qui arrivera à se substituer en partie à l’offre russe va gagner des positions stratégiques sur le marché européen.
Là, nos concurrents sont aux aguets. Il y a le Qatar, ceux de l’Afrique de l’Est (Mozambique et Tanzanie) et il y a le gaz de schiste américain. Si on n’a pas ces volumes de gaz dans trois ans, on sera balayés du marché gazier européen. Et on peut dégager ces volumes avec le renouvelable. Si on ne peut, à court terme, agir sur la courbe de l’offre, on peut agir sur la courbe de la demande”, avertit Mourad Preure. Comment ? “En déployant un programme d’énergie solaire avec des centrales hybrides. En trois ans, on peut déployer un programme d’énergie renouvelable et mettre sur le marché plusieurs milliers de mégawatts et soulager la pression sur l’offre”, ajoute-t-il.
À moyen terme, l’Algérie recèle toujours un potentiel important en hydrocarbures. L’Algérie a un avenir gazier et surtout pétrolier certain. Pour Nazim Zouiouèche, l’ancien P-DG de Sonatrach, l’Algérie a d’importantes ressources en pétrole de schiste et en gaz compact. Encore faut-il plus de dynamisme tant à Sonatrach que dans le secteur. Or ce qui se passe à l’intérieur de la compagnie pétrolière nationale et au sein de la tutelle inquiète, selon Mourad Preure.
Manque de compétences au sein de Sonatrach
La question qui est posée de manière fondamentale, c’est la gouvernance du secteur. “Tant qu’on n’a pas posé le problème de la gouvernance, on est à côté de la plaque. Il y a un manque de compétences au niveau central, ministériel et à Sonatrach”, a-t-il argué. Ce n’est pas la faute à Saïd Sahnoune, le nouveau P-DG de Sonatrach, qui est considéré comme compétent, c’est plutôt la chaîne de commandement à différents niveaux qui pose problème. Cette situation est également due, quitte à le rappeler, à l’hémorragie de cadres due aux limogeages et aux départs à la retraite provoqués par l’ancien ministre de l’Énergie, Chakib Khelil.
Le phénomène s’est aggravé ces dernières années avec la fuite des cadres et le manque de ressources humaines qualifiées. Sonatrach manque notamment énormément de superviseurs forage, alors qu’il faut un outil de forage d’au moins 500 appareils contre 80 actuellement pour espérer développer le gaz de schiste un jour (un superviseur pour 3
à 4 appareils).
Mourad Preure pointe également le doigt vers le cadre juridique actuel qui s’avère imparfait. Il fallait revenir à la loi 86-14 avec le maintien du mécanisme d’écrémage des superprofits et de prise en compte des petits gisements. Or les amendements à la loi sur les hydrocarbures de 2013 ne sont pas revenus à ce cadre fiscal qui consacre le contrat de partage de production (PSC). Or les compagnies étrangères présentes en Algérie se retrouvaient avec cette loi. Leurs juristes connaissent bien le PSC.
À force de le pratiquer dans beaucoup de régions dans le monde, ils ont acquis des réflexes. Pour eux, le cadre fiscal actuel est beaucoup plus complexe. Ils avaient avec le PSC une visibilité en termes de profits. Ils ne l’ont plus avec ces amendements.
Un cadre fiscal compliqué ?
L’Algérie était pourtant connue pour la stabilité de son cadre juridique dans le secteur des hydrocarbures. Cette stabilité a duré pendant 20 ans. Pendant les années 1990, en pleine décennie noire, on arrivait à convaincre les compagnies étrangères à investir en Algérie parce que le cadre juridique était attrayant, le domaine minier prospectif. La loi de 2005 a bouleversé les choses. Les changements ont brouillé l’image de l’Algérie à l’extérieur. Notre pays était une référence en matière de stabilité juridique et de sécurité des approvisionnements. Les échecs successifs dans les trois appels d’offres en matière d’exploration lancés depuis 2008 sont les conséquences de ces changements du cadre fiscal.
Qu’en sera-t-il du quatrième appel d’offres dont l’ouverture des plis est prévu en octobre prochain ? Cette situation inquiétante invite à réactiver le haut conseil de l’énergie pour justement aborder la politique énergétique actuelle dans sa globalité et ajuster la stratégie énergétique dans ses principaux axes : le développement de la production, la mise sous contraintes de la demande, la transition énergétique, le développement des acteurs énergétiques nationaux, en premier lieu Sonatrach. En ce sens, le Parlement, la presse et la société civile devront exercer un contrôle citoyen sur la conduite de cette politique énergétique, si on veut qu’elle soit au service des intérêts de la population.