A défaut de passer les vacances au bord de la mer, on les passe au bord de la route
Dans un pays qui dépense 6000 milliards de centimes pour des festivités, les jeunes passent leurs vacances dans… les jets d’eau de leurs municipalités.
Le gouvernement algérien se soucie-t-il réellement de sa jeunesse? A voir ce qui est réservé à cette jeunesse durant l’été, la réponse coule de source non! Pour les vacances d’été, les autorités ont prévu divers programmes éducatifs et sportifs… Baignade dans les jets d’eau des communes, nage libre dans les barrages et pour les moins «chanceux», des courses derrière les voitures afin de racketter les automobilistes. Pour ce qui est des programmes éducatifs, on trouve celui de l’apprentissage du commerce en bordure d’autoroute, des stages d’été dans les étals de fruits et légumes sur les axes routiers les plus fréquentés, la vente de produits de tout genre sur les trottoirs, l’initiation à l’architecture traditionnelle en tant que manoeuvre sur les chantiers, l’excursion au sein même de leurs quartiers… Dit de cette façon cela paraît drôle, mais malheureusement c’est la dure réalité d’une jeunesse en perdition. Malik et son groupe d’amis, dont l’âge ne dépasse pas les 12 ans, illustrent parfaitement la situation. On est dans le quartier du Vieux-Kouba, à Alger. Il fait chaud, même très chaud. La canicule bat son plein. Mais pour ces petits bambins qui viennent de réussir à leur examen de passage au cycle moyen, ils n’ont pas où aller. Pas de piscine publique, pas de centre de loisirs, pas de cinéma, pas de musée, pas de bibliothèque…Comme toutes les villes, villages et quartiers d’Algérie, les loisirs font défaut. Mais, il fait très chaud et l’ennui n’arrange rien à cette sensation de chaleur. Alors que faire? Les papas sont au boulot, donc aucune possibilité d’aller à la plage! Le mercure continue de grimper et ce groupe d’enfants aperçoit d’un seul coup, une oasis au milieu de leur quartier que la chaleur a rendu désert. Quelle est donc cette oasis qui redonne espoir à ces enfants? Eh bien, tenez-vous bien, ce n’est que le jet d’eau qui fait office de rond-point. Malgré l’exiguïté de l’espace, des dizaines d’enfants se précipitent en choeur pour profiter de cette piscine improvisée. Inconscients du danger, il y en a même qui tentent des plongeons. «A défaut de mieux, on se contente de se rafraîchir», affirme Malik qui révèle qu’il aurait préféré être dans une vraie piscine ou même à la plage.
Du piston pour les colonies de vacances
«Mais que voulez-vous. Mon père travaille, il ne peut pas nous emmener à la plage. Et les piscines c’est trop coûteux. Au minimum c’est 1000 dinars, juste pour l’entrée sans parler de ce qu’on doit consommer à l’intérieur», explique cet enfant qui aurait tant aimé aller au moins en colonie de vacances comme récompense pour son accès en 5e. «Mon père n’a pas réussi à trouver du piston pour nous envoyer en colonie de vacances», témoigne-t-il d’un air déçu. «Mon père dit que dans ce pays, même pour aller en colonie de vacances il faut du piston!» rapporte-t-il en indiquant le fait que sa famille était trop riche pour qu’il puisse aller en colonie avec les gens de la Solidarité nationale, mais trop pauvre pour pouvoir aller dans une piscine ou en vacances. Alors Malik se contente de plonger là où il trouve de… l’eau! Son ami Lotfi l’interrompt pour lui souligner le fait qu’au moins, lui, il pouvait partir le week-end à la plage avec sa famille. «On n’a pas de voiture et pour aller à la plage c’est un véritable parcours du combattant», atteste Lotfi. «Il n’y a pas de transport public qui emmène jusqu’à la plage, alors on se contente d’attendre qu’un oncle nous y amène», révèle-t-il en regrettant le fait qu’il n’y ait même pas d’endroit où il puisse se distraire. «Je ne parle pas de piscine, mais quelque part où on pourrait jouer, regarder des films…vivre notre vie d’enfant quoi!», ajoute-t-il.
Les enfants vendeurs de galette
Les vacances de Malik, Lotfi et leurs amis, ne sont rien, comparé aux vacances d’autres enfants. A l’intérieur du pays, ce ne sont pas dans le petit jet d’eau que les jeunes barbotent, mais dans des barrages, des retenues d’eau et des puits. Oui, des barrages et des puits avec tous les risques que cela implique. Mais quand l’Etat est absent, quand les jeunes n’ont pas de loisirs…on fait avec les moyens du bord. D’autres jeunes n’ont même pas cette chance car ils sont obligés de travailler pour vivre. On cite l’exemple de Khadidja 14 ans et son petit frère Abdenour 8 ans qui vendent de la galette sur les routes. Pour eux, le mot vacances, rime avec travail. «On déteste les vacances car on y souffre plus que pendant l’année scolaire parce qu’on est obligés de travailler», confie Khadidja et pour laquelle le mot vacances est inconnu. Ils sont des milliers dans le cas de Khadidja et Abdenour à ne pas connaître la joie du repos, le bonheur des plages au sable doré ou des piscines gazouillant d’enfants. Même si officiellement, le travail des enfants est banni en Algérie, il est incontestable que ces derniers font partie du décor. Sur les autoroutes, dans les champs pour la récolte, dans les chantiers ou dans les marchés, enfants, adolescents ou jeunes de 20 ans travaillent pendant l’été non seulement pour leur argent de poche mais pour subvenir aux besoins de leurs familles écrasées par la cherté de la vie. Le pire est que dans la majorité des cas, ce sont des travaux pénibles que leur petit corps frêle supporte difficilement. Car les jobs de saisonniers sont rares. «Je suis étudiant en commerce à la faculté de Dély Ibrahim mais en été je travaille pour assurer mon argent de poche pendant l’année scolaire. Etant issu d’une famille modeste, c’est le seul moyen pour que je puisse étudier», explique Rabah qui n’a pu trouvé comme job que celui de manoeuvre dans un chantier. «Je ne maîtrise pas le français, je n’ai pas pu me dégoter un job de saisonnier. Alors j’ai vu qu’il y avait une maison en construction pas loin de l’endroit où j’habite et je me suis présenté pour un travail bien physique, ils m’ont pris de suite», ajoute ce jeune de 21 ans qui dit que les vacances sont un rêve inaccessible. «Même si les vacances sont inaccessibles, j’aurais aimé pouvoir me détendre, me défouler après une dure journée de labeur. Malheureusement, il n’y a pas d’endroit pour. On n’a aucun loisir en Algérie…», regrette-t-il. Voilà donc l’Algérie avec une jeunesse complètement désemparée face à la dure réalité du quotidien…