Bachir Derrais, réalisateur du long métrage «ben m’hidi»: “Je le fais dans les normes sinon j’arrête!”

Bachir Derrais, réalisateur du long métrage «ben m’hidi»: “Je le fais dans les normes sinon j’arrête!”

P160128-10.jpgAlerte rouge. Dans cet entretien, le réalisateur pousse à nouveau un coup de gueule et tire la sonnette d’alarme cette fois quant aux problèmes de dysfonctionnements étatique et de financement qui parasitent et handicapent même le bon déroulement de son travail l’entravant à mener jusqu’à terme la réalisation de son oeuvre cinématographique autour de la grande figure historique et emblématique qu’est le moudjahid Larbi Ben M’hidi…

Une oeuvre qu’il a accepté de réaliser alors que son budget est nettement inférieur à ceux de Ce que le jour doit à la nuit, Hors-la-loi ou encore tout le salaire et dépenses réunis du réalisateur américain prévu pour un film sur l’Emir Abdelkader et qui s’en est allé avec cet argent sans tourner une seule image…

L’Expression: La dernière fois que l’on s’est vus à Tunis il vous restait 20% du film à tourner et à finir. Où en êtes-vous, vraiment, aujourd’hui, concrètement?

Bachir Derrais:Les craintes que j’avais soulignées lors de notre dernier entretien se sont réalisées. La situation a changé. Le dinar n’a pas résisté face au dollar et à l’euro. Il faut savoir qu’on travaille aujourd’hui avec le budget de 2011. On devait faire le film en 2013. Le film a été bloqué pendant une année par l’ancienne ministre, Khalida Toumi. Quand Nadia Cherabi est arrivée, il a été débloqué. Entre-temps le budget a perdu de sa valeur. Nous avons accumulé du retard et un retard chiffré. Nous avons commencé à construire le décor en 2013 et à ne tourner qu’en 2015. Aujourd’hui, le budget qui était décent à l’époque, ne l’est plus aujourd’hui. La situation a changé. Le dinar est dévalué. Les techniciens n’ont plus le même salaire. Alors qu’on continue à travailler avec ce budget établi en 2011. Ce budget n’a pu couvrir les frais que de 80% du film. C’est un exploit qu’on ait pu arriver à ce stade. Et puis, heureusement qu’on est parti tourner dans les studios à Tunis. Si nous l’avions fait ici, cela nous aurait coûté le double, parce que les studios ça t’économise de l’argent. Si on avait tourné ce qu’on avait fait en Tunisie on l’aurait fait non pas en trois mois, mais en six mois. Si ce n’est pas dans huit mois. Car les conditions sont très difficiles.

Vous êtes bloqué…

On ne peut pas reprendre le tournage, si on n’arrive pas à résoudre le problème du budget engendré par la chute du dinar. C’est le statu quo. On est en train de négocier avec les partenaires. L’Aarc, le Centre de recherche des moudjahidine, le ministre de la Culture, etc. le problème est posé. Il n’est pas encore résolu. Ça traîne encore. Les erreurs qui ont été commises par les anciens responsables, on est en train de les payer.

Vous avez cité dans un article les problèmes de postproduction qui se font à l’étranger…

Justement, le dinar a chuté de 30%. Il est établi en dinars. Il n’est plus le même. Aujourd’hui on n’a pas consommé tout le budget, mais ce qui reste ne peut pas nous permettre d’aller jusqu’à la fin du film. Il ne pourra pas couvrir les frais de toute la postproduction. On est en train de régler ces problèmes administratifs avant de reprendre. Il nous reste deux jours, à la Casbah, deux jours à Constantine, à la Soummam, Oran. Il nous reste 25 mn du film. Sur le plan minutage il ne reste pas grand-chose mais sur le plan logistique c’est lourd. On ne reprend pas avant de régler tout ça, qu’on aurait pu éviter..

Quelle est la réaction de vos partenaires?

On est en négociation. Sachant que chaque jour de retard coûte cher. On continue à payer les gens. Plus on retarde, plus on creuse le déficit. Il y a un problème qui se pose aujourd’hui. Est-ce qu’on continue à faire des films amateurs ou on passe à une vitesse supérieure? Si je suis la logique des partenaires, ils te poussent presque à bâcler le film et moi je refuse. On pousse les gens à faire des films dans des conditions lamentables. Des petits films sans intérêt, sans ambitions. Pas dans les normes internationales. A-t-on ou pas les moyens? C’est la question que je me pose. Au départ, j’ai ramené une coproduction française, ils l’ont refusée. Le ministre des Moudjahidine a refusé l’argent des Français pour un film sur Larbi Ben M’hidi.

Comment expliquer que l’Etat n’a pas d’argent pour financer le reste de votre film?

Je ne sais pas; mais ils sont en train de régler cela.

Un film comme Ben M’hidi, de plus qui est financé lourdement par l’Etat, normalement, le ministère ne devrait pas attendre autant de temps pour transférer l’argent aux techniciens ou aux prestataires des studios. C’est anormal. Il y a un dysfonctionnement grave entre les services de l’Etat. Comment peut-on dégager un budget pour un film et mettre trois mois pour débloquer une facture? Cela relève d’une incompétence ou quoi? Pourquoi les films traînent, s’arrêtent puis recommencent? C’est à cause de ça. On a aussi beaucoup d’acteurs français et autres techniciens étrangers qu’il faut payer. On passe justement dans ce cas par le transfert d’argent. Si on avait un producteur français, on ne serait pas passé par la banque pour les transferts qui mettent un temps fou pour arriver. Il n’y a pas que nous, même les services étatiques souffrent de ce problème. Vous posez la question à l’Aarc, même eux ils souffrent pour payer leurs prestataires. Si on avait un coproducteur français le film serait terminé il y a longtemps. A l’époque, on se bagarrait pour avoir l’autorisation de tournage. On l’a eue, après on s’est bagarré pour l’argent on l’a eu. Aujourd’hui on se bagarre à nouveau pour les 20%. Je ne peux pas terminer un film dans des conditions d’amateur. Le budget du film, déjà, il est inférieur par rapport à la valeur du film. J’ai accepté de le faire avec un budget dévalué. On ne peut pas faire un film sur Labri Ben M’hidi avec 100 milliards de centimes. Quant on fait des comparaisons avec Ce que le jour doit à la nuit, ce dernier a coûté 200 milliards de centimes. J’ai fait des concessions terribles en acceptant de faire un film avec la moitié d’un budget. Coproduit, aussi par l’Algérie Hors-la-loi a coûté 200.000 millions de centimes. Je préfère donc arrêter le film que de le bâcler. C’est une question de conviction et de principe. On fait un film qui répond aux normes internationales, sinon on ne le fait pas. Qu’ils ne comptent pas sur moi pour finir un film en le bâclant comme tous ces films qu’ils ont produits et qui ressemblent aux films qu’on est en train de voir dans les avant-premières. Il est hors de question. Sans prétention aucune, Ben M’hidi ne ressemblera pas aux autres films. J’exerce ce métier depuis plus de 20 ans. 90% des films que j’ai produits sont diffusés sur les grandes chaînes télé. Que ce soit Abdelkrim Bahloul, Merzak Allouache, Okacha Touita ou Alexandre Arcady. Le voyage d’Alger que j’ai produit avec peu d’argent a obtenu 31 Prix dans le monde. On s’est toujours battus pour faire des films corrects et honorer le cinéma algérien. Tous les films que j’ai produits, on les a présentés ailleurs et avec la tête haute. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais reculer. J’ai un passé et une réputation. Je ne peux pas tomber aujourd’hui dans l’amateurisme. A la limite quelqu’un qui veut avoir un pied dans le métier peut accepter n’importe quoi. J’ai produit plus de 10 longs métrages. Si on n’a pas les moyens, ce que je peux comprendre, on traverse une crise, mais qu’on ne m’impose pas le fait de ne pas ramener des fonds de l’étranger. J’ai eu des propositions concrètes pour le terminer. Je peux aller au Maroc, en France. L’Etat refuse. On ne peut pas prendre un film en otage. Soit, ils mettent la main à la poche soit, ils me disent «prends ton film et fais en ce que tu veux!» Je n’ai pas cette liberté aujourd’hui. En même temps, je ne peux pas forcer le ministère à donner de l’argent. Ils sont libres. Peut-être qu’ils ne l’ont pas. Je ne sais pas ce qu’ils ont dans les caisses, mais dans ce cas-là, ils ne prennent pas le film en otage sachant que le budget du film est ridicule. S’ils pensent qu’ils ont donné beaucoup d’argent, ils se trompent. Vous pouvez aller voir combien ça coûte les films en France. Pas moins de 25 millions d’euros. Hors-la-loi c’est 20 millions d’euros. Nous, on est donc à 25% de ce budget-là. Est-ce que c’est logique aujourd’hui de faire un film sur Ben M’hidi qui coûte 25% du film de Hors-la-loi et du film Ce que le jour doit à la nuit, qui traite de la même époque? Parce que si le ministère pense qu’il a donné beaucoup d’argent il se trompe. C’est légitime de jouer la carte de l’orgueil, mais dans ce cas-là, qu’on l’assume. Quand on a signé le contrat, l’euro coûtait 90 dinars.

Aujourd’hui, à la banque il est à 120. Cela veut dire qu’il a perdu 30% de sa valeur. Bien sûr, ce n’est pas de leur faute, mais à la situation. On ne doit pas niveler vers le bas et personne ne pourra me tirer vers le bas. Ils n’avaient pas à produire dans ce cas 200 films, où il y a à peine 5% de films valables. Ils n’étaient pas obligés de faire autant de films que de festivals. Vous avez des films sérieux, il faut les soutenir. Nous, on forme aussi des jeunes sur nos plateaux. Nous sommes à peine trois producteurs ou quatre qui faisons de la formation. Je prends des débutants pour qu’ils apprennent. Parce que nous, on milite. On ne fait pas du commerce. Ce n’est pas tout le monde qui le fait. Le budget ce n’est pas moi qui le prend, il y a des salaires, des charges, des prestataires, des impôts. On fait travailler des gens, des décors, des costumes. Nous avons plus de 140 acteurs,60 techniciens qui travaillent. Ils n’avaient pas à refuser des producteurs étrangers. Les anciens responsables, les anciens ministres, c’est à eux de rendre des comptes. Ce n’est pas moi. On a souffert pour avoir des autorisations. Aujourd’hui que ceux qui ont bloqué ce film rendent des comptes. Le ministre actuel n’est pas responsable. Je ne lui reproche rien. Il n’était pas là. En 2013 ils ont refusé de nous donner les autorisations…

Ils étaient occupés avec le film L’Emir Abdelkader…

Tout à fait. Ils ont mis le paquet sur L’Emir Abdelkader. Ils sont dépensé 150 milliards de centimes. Qu’ils aillent demander des comptes à ceux qui ont donné cet argent sans avoir tourner une seule image! Ce que l’Etat algérien a dépensé pour le réalisateur américain, son salaire, son billet d’avion, sa prise en charge dépasse l’argent du budget du film de Ben M’hidi. Et j’assume mes propos. Ce qu’il a reçu lui, comme argent c’est plus que les 80% que j’ai reçus moi, pour Ben M’hidi. Que ceux qui veulent me donner une leçon de morale qu’ils aillent ouvrir ce dossier!