ALGER – C’est pratiquement devenu un sport national: le commerce informel ou ce que les sociologues désignent comme le sous-emploi, fait rage dans les grandes villes du pays, alors qu’à Alger, le phénomène est si bien enraciné qu’il a fini par faire partie du »décorum » des marchés populaires.
Au populaire marché »T’nache », entre Belouizdad et la place du 1er Mai, des étals de fortune sont dorénavant installés par des revendeurs occasionnels de fruits et légumes, en particulier. »Avant, ce marché a été baptisé marché T’nache (douze en arabe) car il fermait à midi tapantes. Aujourd’hui, hélas, il est envahi par le commerce informel à longueur de journée », se désole Mustapha, un natif du quartier, qui se plait le vendredi à venir y flâner à la recherche de quelques bonnes pièces de daurade ou de denti.
Ce marché ne fait pas une exception dans une capitale envahie par le commerce informel, en particulier au niveau des grands marchés de fruits et légumes de la capitale, aussi bien à Bab El Oued, à Ferhat Boussad, à El Harrach, Bachdjarrah, El Biar ou les marchés couverts du plateau de Mustapha, dont celui de Ali Mellah.
»Tous les marchés sont squattés par les revendeurs occasionnels, des marchands ambulants de fruits, de légumes, d’agrumes, de poissons et souvent des articles de pacotille de Chine et du Nankin. Et, par la force des choses, ils se sont arrogés le droit de squatter et même sous louer les murs des ruelles de ces marchés », affirme un habitant de Bab El Oued.
Le marché couvert de Bab El Oued, qui attire chaque jour des milliers de clients et de badauds est »pratiquement asphyxié par ces revendeurs informels. Ils ont depuis longtemps fermé les rues qui y mènent, pour étaler leurs marchandises souvent à même le sol », ajoute cet habitant de Bab El Oued, emporté par des »souvenirs des belles salles de cinémas du quartier, et de la belle ambiance qui régnait ici dans les années 1970 ».
Cette situation est pratiquement la même dans l’ensemble des marchés couverts de la capitale, qui y drainent un commerce informel qui fait feu de tout bois, au point de »gêner la circulation automobile et souvent les évacuations d’urgence de la protection civile », affirme Abbes, un natif de Notre Dame d’Afrique, sur les hauteurs de Bab El Oued.
Jeunes vs chômage
A la direction du commerce de la wilaya d’Alger, pourtant, aucune explication au phénomène n’a pu être glanée auprès des responsables. »Nous ne sommes pas habilités à vous donner la moindre information sur ce sujet », a indiqué le directeur de wilaya du commerce, qui a cependant précisé que »nous sommes disposés à vous donner ce que vous voulez, mais pas sur le commerce informel ».
La propagation du commerce informel, ou ce que l’on appelle le sous-emploi, »une situation sociale précaire avec des revenus aléatoires, dans la capitale est une réponse concrète au chômage des jeunes surtout », explique Hamid K. sociologue de la ville.
»L’explosion démographique dans la capitale, le rétrécissement des opportunités d’emploi dans le secteur privé, le tour de vis dans les entreprises et les conditions draconiennes de recrutement dans la fonction publique font que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail n’ont que le commerce informel pour vivre », explique-t-il.
C’est au mois d’août 2012 que la première grande compagne d’éradication du commerce informel a été lancée, avec des solutions alternatives consistant à offrir des locaux commerciaux aux jeunes versés dans ces activités.
A la fin du mois d’octobre 2013, quelque 833 marchés informels à l’échelle nationale ont été éradiqués sur les 1.368 existants et 17.577 sur les 40.000 intervenants dans ces marchés ont été redéployés dans de nouveaux marchés de proximité, selon les données du ministère du commerce.
A Alger, près de119 marchés informels ont été éliminés, et il en restait encore 52 autres à fin 2013 à éradiquer. La direction du commerce de la wilaya d’Alger n’a pas également communiqué sur le bilan de cette opération.
Pour autant, les trottoirs et ruelles des marchés couverts des quartiers d’Alger sont toujours occupés par les revendeurs occasionnels. Pis, certains quartiers du grand Alger sont devenus des marchés à ciel ouvert, drainant des centaines d’occasionnels du commerce de proximité.
»Les opérations coups de poing organisées de temps en temps ne sont pas efficaces, car tant que des solutions concrètes ne sont pas mise en place pour mieux gérer le chômage des jeunes, et surtout mieux encadrer le sous-emploi dans les grandes villes du pays, le commerce informel ne fera que prospérer », explique encore Hamid K.
Un constat amer à Alger: les 30 marchés de proximité qui devaient être réalisés durant le 1er semestre 2013, dont celui de Boumati, ne sont toujours pas livrés une année après pour lutter contre la prolifération des marchés informels.
En 2013, l’ex-ministre du Commerce, Mustapha Benbada, avait indiqué que l’état avait consacré 10 milliards de DA pour la réalisation de marchés et d’espaces commerciaux légaux et adaptés. La dernière réunion gouvernement-walis de mai 20132 avait également consacré de larges débats à ce phénomène.