Azeffoun déshéritée malgré ses richesses et ses potentialités,Vivre d’attente et d’espoir

Azeffoun déshéritée malgré ses richesses et ses potentialités,Vivre d’attente et d’espoir

laune.jpgVille balnéaire, dont la renommée dépasse les frontières du pays par ses vestiges et ses sites pittoresques, Azeffoun n’arrive toujours pas à s’arracher aux griffes de la ruralité et du retard économique, malgré ses énormes potentialités. Ses nombreux atouts n’ont, hélas, pas joué en sa faveur.

Au port, début d’après-midi d’une journée printanière. Des pêcheurs assis au bord du quai bavardent, nettoient et rafistolent leurs filets, tout en profitant de la douce chaleur du soleil.

Quelques badauds déambulent en savourant la quiétude et la sérénité des lieux. Hormis eux, les lieux sont caractérisés par une inertie sans égale. Au loin, les pêcheurs se démènent avec des jerricans de gasoil et d’eau, à l’approche du moment d’aller à la pêche. «C’est une corvée à laquelle on s’est habitué», rétorque l’un d’eux à son compagnon qui, visiblement, s’échine sous le poids du jerrican.

De l’autre côté, à quelques encablures de là, un incessant va-et-vient est perceptible à la station des fourgons reliant Azeffoun à Fréha. Le chef-lieu de la daïra, Azzeffoun, est situé à 65 km du chef-lieu de la wilaya (Tizi Ouzou) et à 82 km de Béjaïa. La daïra compte près de 40 000 âmes réparties à travers des villages enclavés.

En dépit du don de Dame nature à la daïra d’Azeffoun, forte de ses 37 km de côte bénie par les saints et adorée par les hommes, la pêche demeure une activité aux méthodes artisanales.

Une virée inopinée au port permet de noter les dures, inadéquates et aléatoires conditions dans lesquelles travaillent au quotidien les marins pêcheurs. «La production de la pêche a chuté de 90 %. Il y a eu surexploitation de la zone par les chalutiers qui dépassent la vingtaine (…) On n’a pas aidé les professionnels de la pêche», nous dit Hacene Hemdani, vice-président de la Chambre de pêche de Tizi Ouzou. Ce qui cadre parfaitement avec l’état des lieux et les propos des professionnels du secteur.

«Notre espace, dont la moitié est occupée par le matériel de la marine, demeure encore en chantier. Même l’opération de dragage n’est pas encore effectuée. Au moindre mauvais temps, il faut évacuer les barques…

On peut justifier les dommages d’une barque une fois mais pas tout le temps «, nous dit d’emblée Omar, pêcheur plaisancier depuis longtemps qui ajoute : «Si les marins pêcheurs vous content tous leurs déboires, ils n’en finiront pas.» Sympathique et très disponible, Omar nous a accompagnés le long de notre séjour dans la localité d’Azeffoun.

Abdellah, un crevettier qui s’apprêtait à prendre le large en compagnie de ses copains de toujours et trois lieutenants stagiaires envoyés par l’Institut supérieur de pêche d’Alger, n’en revient pas de sérier les obstacles qu’ils rencontrent au quotidien : «Vous avez vu mes copains avec des jerricans de gasoil et d’eau (…)

Je suis marin pêcheur depuis quinze ans, je connais ce métier par cœur. On manque de matériel et de moyens. L’état ne nous encourage pas par des aides ; même le gasoil on le paie au même prix que les autres.

L’huile moteur est achetée au marché noir, un filet bas de gamme coûte 50 millions de centimes…Vous savez, si l’on suit la filière, c’est des problèmes partout», dit-il, et d’enchaîner : «Je me suis gardé d’exhiber mes cinq diplômes et brevets.

On est presque à un mois sans activité. Vous imaginez, on est rentré de la dernière sortie avec une seule caisse de crevettes de 10 kg au maximum». «On n’est pas protégé. Les armateurs ne défendent que leurs intérêts», résume-t-il, tout en essayant de calmer ses ardeurs.

M. Khoumri de Anis El-baraka, pêcheur crevettier de père en fils, qui a investi dans le cadre de la relance économique en 2003, lui aussi n’est pas au bout de ses peines. Il s’est plaint à en perdre haleine.

Pourtant, la relation étroite qui le lie au monde marin est ancienne. Il a sillonné pratiquement toute la côte algérienne. «On est sur un terrain difficile qui ne nous permet pas d’améliorer la production, faute d’une étude océanographique non faite encore.

Le ministre nous a promis, lors des assises de la pêche tenues à Alger en octobre dernier ; rien ne pointe à l’horizon à présent», nous dit-il, non sans peine et regret, tout en soulevant un pan d’un filet. Il ajoute : «Regardez, tous ces filets que vous voyez là-bas sont endommagés à la suite des sorties au pif.» Ayant réalisé son projet à financement triangulaire – banque 50 %, Etat 40 % et 10 % d’apport personnel – l’investisseur conteste le système intérêt-dette qu’on lui applique.

C’est l’équivalent, dit-il, de reprendre par la main gauche ce que la main droite a concédé. «On demande à ce que les intérêts soient pris dans le cadre du remboursement du principal et que l’on nous échelonne notre crédit sur une période que l’on déterminera conjointement avec les services concernés.

C’est cela le confortement», dit-il avec insistance et de conclure : «Nous, on est à vocation agricole et non à caractère industriel. Si l’on nous donne les moyens, on améliorera notre production pour contribuer à l’autosuffisance en produit, de mer. Le kilo de sardines est à 400 DA ; c’est honteux et grave».

…Et vint le festival

«Il faut qu’il y ait toujours des festivals», ironise Hamid, un jeune de la localité, à l’occasion du Festival du film amazigh qui a atterri cette année à Azeffoun. Un festival qui a sorti cette paisible localité de sa torpeur générale, à la faveur des rayons de soleil qui dardent en ce mois de mars. Une occasion propice, peut-être aussi, de rappeler aux pouvoirs publics que même si la région se prête volontiers aux différentes activités artistiques et culturelles, elle garde à présent ses potentialités en jachère. Leur exploration et leur valorisation demeurent au stade de vœux pieux.

Les citoyens vivent au rythme des projets annoncés en grande pompe et qui demeurent inachevés de longues années plus tard. Tant de projets, dont les populations locales sont en attente, patinent et tardent à voir le jour pour des raisons que l’on a du mal à expliquer.

Les exemples ne manquent pas : cela va de la relance effective de la filière pêche à la prise en charge effective des vestiges chargés d’histoire (les allées couvertes du village d’Aït Rehouna et les ruines romaines du vieil Azeffoun), en passant par le projet du port qui s’éternise dans le temps… Il est lancé en 1989.

Leur exploration, réalisation et valorisation permettront la création de richesses, offriront de l’emploi aux jeunes de la région laminés par le chômage. No comment ! Le décor sec qui colle à la contrée, visiblement, ne changera pas de sitôt.

L’atmosphère générale qui prévaut dans la région, qui a longtemps souffert de l’isolement et des affres du terrorisme des années durant, est davantage plombée par l’absence d’un développement économique viable. Ce qui en fait de la daïra une contrée pauvre.

L’avancée rapide du bâtiment qui phagocyte les quelques terres vouées à l’agriculture, par contre, n’échappe pas aux visiteurs. En effet, les vignobles et autres abricotiers qui, autrefois, faisaient la réputation de l’ex-port Gueydon se sont évanouis, effacés face à la culture du tout béton qui avance de manière effrénée ces dernières années.

«Même les enfants de la région désirent inconsciemment que la région reste le bled où il viendront passer quelques jours en été. Ils ne souhaitent guère, je suppose, que la région s’épanouisse sur tous les plans.

Ce temps est à jamais révolu, le monde est devenu un petit village. Des potentialités existent. Qu’attend-on pour les exploiter, en 2050, peut-être ?», lâche Mohamed, 32 ans, restaurateur à Alger qui est rentré au bercail pour quelques jours à l’occasion du Festival du film amazigh. Réflexion qui, à elle seule, résume la réalité amère de la localité et que partagent nombre de jeunes de la région.

L’infinie attente du patrimoine archéologique

M. Arrigh Amar, président de l’association Tigguemi Ouzzefoun et qui s’occupe de la préservation du patrimoine historique, a noté la façon sommaire dont est considéré le patrimoine. «On est presque à deux ans de la création de l’Agence locale d’archéologie. Ce qui est un bon début mais on a l’impression que ça traîne. Il y a manque concret d’initiatives», affirme-t-il.

Il enchaîne : «On peut bien mettre en exposition les pièces archéologiques, dès l’approche de la saison estivale, à la placette de la ville.

Cela attirera beaucoup de visiteurs et donnera un bon résultat à coup sûr». «On a fait l’expérience à l’occasion de la célébration du 20 avril, surtout que les peintres et les dessinateurs de la région sont prêts à apporter leur touche «, argumente-t-il.

Selon Hemdad Belkacem de l’Office de gestion et d’exploitation des biens culturels, une enveloppe budgétaire a été dégagée par la direction de la culture de la wilaya pour assurer les travaux d’urgence que nécessitent les parties menaçant effondrement, en attendant les travaux de restauration.

Ce qui rend encore l’opération de confortement, de consolidation et de restauration, donc de protection et de préservation de ce patrimoine plus complexe, c’est le fait que celui-ci se situe dans des propriétés privées. Le premier magistrat de la daïra, Bouhaït Lamri, affirme quant à lui, que «la classification du patrimoine n’est pas aussi simple qu’on le pense.

C’est une démarche assez longue «, tout en souhaitant la participation active des associations locales pour contribuer à la levée des contraintes qui pourraient, éventuellement, surgir au dernier moment. M. Bouhaït n’a pas manqué de suggérer la tenue d’un événement se rapportant à la mise en valeur et à la prospection de cet inestimable trésor qu’est le patrimoine archéologique. «Ce qui sera très bénéfique pour la région à plus d’un titre», soutient-il.

Même J.P. Laporte, éminent archéologue français, qui travaille depuis 1970 sur les ruines romaines d’Azeffoun, a avoué, lors d’une conférence en 2010, qu’il y a encore du pain sur la planche sur le site, puisque jamais des fouilles n’ont été entreprises.

«Il reste beaucoup de zones d’ombre à éclaircir sur cette importante cité Rusazus», a-t-il avoué. L’énigmatique mur en pierres sèches et une tour, ou ce bâtiment dont il subsiste encore deux façades, entre autres. Toutefois, le chercheur a souhaité qu’un jour il y aient des fouilles sérieuses qui apporteraient plus de précisions. En somme, le patrimoine reste dans l’infinie attente d’être déterré

«Le projet du port, pourvu qu’on y vive… »

Le projet du port, qui sera érigé en pôle régional de construction et de réparation navales, sera une «réalité économique et sociale avérée», commente le chef de daïra, Bouhaït Lamri, tout en notant que le lancement du projet n’est qu’une affaire de jours. Le projet est pris en charge par deux entreprises, une algérienne et une autre coréenne. «Le port connaîtra son extension véritable une fois la construction et la réparation navales entamées», a-t-il précisé.

Un citoyen, trentenaire, interrogé à ce propos, assène avec une note d’ironie et un sourire narquois : «C’est tout comme le métro ; cela fait des années qu’on parle de lui. Celui qui aura une longue vie verra sa réalisation. Pourvu qu’on vive jusque-là…», ironise-t-il et d’ajouter : «Tout comme le hall de vente de poisson qui existe, sans, toutefois, qu’il soit opérationnel».

De même, les zones d’extension touristique et la zone d’activité sont en léthargie. Pour les ZET, à l’exception de Carroubier qui a fait l’objet d’appel d’offres, celles de M’lata, d’Aït-Chafaa (Sidi- Khlifa) sont dans l’interminable attente.

La zone d’activité, créée sous l’égide de l’Office de gestion des zones d’activités, pour assurer une réponse aux demandes d’investissement, est quasiment déserte. Seulement 3 projets sont réalisés : une biscuiterie, une unité de fabrication de semoule et de farine et une unité de réparation de flotte de transport. Plus d’une vingtaine de projets sont restés au stade de la prospection.

Le port mixte, promu en pôle régional, qui aurait pu être opérationnel, la zone d’activités de M’latta et les deux zones d’extension touristique qui demeurent au stade de l’étude, avec l’espoir qu’elles puissent voir le jour d’ici un avenir proche, donneraient un coup de rein à l’économie locale et résorberaient un certain nombre de problèmes.

Ahmed Kessi