Azazga – Les voyantes et cheikhs, l’autre renommée d’une région gastronomique: Un phénomène de société qui appâte toujours

Azazga – Les voyantes et cheikhs, l’autre renommée d’une région gastronomique: Un phénomène de société qui appâte toujours

Ils prétendent guérir, prédire l’avenir, se disent dotés d’un don divinatoire et d’un grand pouvoir spirituel, ceux qui exercent cette pratique bien médiévale, encore très répandue dans la société, sont légion.

Ces voyantes et cheikhs disent avoir la solution pour toutes les préoccupations de la vie : problèmes sociaux, maladies, malchance, divorce, mauvais œil, mariage, chômage… Ils font croire au remède «miracle» qu’ils vendent… à bon prix. Les voyantes pullulent en Kabylie. Il n’y a pratiquement pas de localité qui n’en compte pas.

A Azazga, à une trentaine de kilomètres à l’Est de la ville de Tizi-Ouzou, chef-lieu de wilaya, s’étend cette belle citée réputée pour son civisme, ses bons restaurants et sa bonne bouffe. Paradoxalement, elle est aussi connue pour ses multiples voyantes et cheikhs. Ceux qui connaissent les lieux savent que chaque quartier, que ce soit de l’ancien village (Tadarth), ou de la nouvelle ville (Tizi Bouchène), abrite au moins une ou un.

En empruntant les ruelles étroites de l’ancien village, le potentiel client n’a qu’à demander aux passants de le guider chez la voyante du coin. Là, il s’aperçoit de l’embarras du choix. L’la Ouardia a une réputation qui dépasse les frontières de la localité. La porte de sa maison franchie, une dizaine de personnes était déjà dans la cour, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre.

L’ambiance est plutôt tendue, rappelant celle des salles d’attente des hôpitaux ou des cabinets médicaux. Bizarrement, la clientèle est, majoritairement, de la gent féminine, plutôt jeune et citadine. Il a suffi d’un simple échange pour que les uns et les autres se livrent.

Zohra raconte son histoire : «Je suis enseignante de français, je travaille dans un CEM. Je ne pensais pas venir un jour ici. Je suis toujours célibataire malgré mes multiples prétendants que j’ai eu !», raconte-t-elle en soupirant. «C’est cette voyante qui m’a ouvert les yeux. J’ai appris qu’on m’a jeté un mauvais sort depuis mon adolescence», lance-t-elle. La jeune femme semble convaincue de ce qu’elle avance. Zohra, apprend-on, est à sa quatrième visite chez cette voyante. D’après ses dires «c’est important de suivre le traitement pour chasser définitivement le mauvais sort.»

Le dernier consiste à «prendre une douche sous la Baraka de la voyante, ses mains sont bénies et l’eau est mélangée à beaucoup d’herbes, faire fondre du plomb et utiliser les B’khors», et pour tout couronner, «un hidjab à porter avec soi». Zohra, la quadragénaire, y croit très fort et ne désespère pas de rencontrer l’âme sœur grâce à la bénédiction de «L’la Ouardia». Ferroudja, quant à elle, livre une autre bataille, face à «la stérilité». Mariée depuis 10 ans, elle n’a pas encore d’enfants.

Le patient face au désespoir

La pression familiale l’a poussée dans les bras des voyantes et cheikhs. Elle en a vu plusieurs, avant d’entendre parler de L’la Ouardia. Seule contre tous, elle dit «qu’après Dieu, elle compte sur cette voyante». Désespérée, elle applique toutes les recettes qu’elle lui prescrit mais sans résultat pour le moment. «Grâce à ces rites, j’ai au moins la paix chez moi, ce qui n’était pas le cas auparavant», dit-elle.

En réponse à la question de ne pas avoir recouru aux méthodes scientifiques, elle explique : «Je ne perds rien à essayer, j’ai vu des médecins et je verrai aussi des voyantes : pourvu que ça marche». Un jeune homme à l’autre bout de la cour capte attention. Il semble très agacé par l’attente. Lui, avec un sourire, raconte sa mésaventure avec… le travail. Il a occupé plusieurs postes importants vu qu’il est ingénieur de formation, mais n’arrive à en garder aucun. Pour lui, c’est évident «il s’agit d’un sortilège».

Son objectif est donc de «se libérer de ce sortilège». Il vient pour la première fois après que son ami l’ait convaincu. Notre tour est venu de rencontrer cette mystérieuse dame. Plutôt belle, la cinquantaine, maigrichonne avec un regard troublant, ce qu’elle a tenu à faire savoir, est que la relation entre elle et le client est avant tout une «relation de confiance». Elle dit jouer le « rôle du psychologue». Elle nous apprendra, toutefois, que «les traitements prescrits aux malades sont inoffensifs», réfutant l’utilisation de «la magie noire». «Mon rôle c’est de guérir, apporter du bonheur et améliorer au mieux que je peux la vie de ces malheureux», affirme-t-elle, ajoutant : «c’est ma destinée, je n’ai pas fait le choix.

Depuis que j’avais 8 ans, les signes commençaient à apparaitre, je m’isolais, et je faisais des rêves prémonitoires. Avec le temps, les choses s’accentuaient et le résultat est devant vous», murmure-t-elle. Quittant la demeure de la voyante, on s’est rendus chez un cheikh tout aussi connu dans la région et ailleurs. Il habite une cité pas loin de l’arrêt des fourgons de Fréha. Il a aménagé son F3 familial pour accueillir sa clientèle qui se compte en dizaines par jour. L’ambiance est différente, chez lui.

Les adeptes sont pour la plupart des «envoûtés ou possédés par des Djins» et «des gens auxquels on a jeté des sorts maléfiques», explique-t-il. Utilisant le Coran mais aussi d’autres rites, ce Cheikh accompli «des miracles», selon certains. Les expériences des uns et des autres sont différentes. On a d’un coté, ceux qui y croient et qui semblent donner du crédit à ces pratiques pensant même aux bienfaits de «la thérapie». D’autres moins convaincus, voire septiques, essaient sans grande conviction. La tentation, la curiosité en sont les principales motivations.

Entre l’interdit du religieux et l’ambigüité du juridique

Le phénomène du point de vue religieux est «illicite», nous dira un Imam. Du point de vue juridique, la loi ne parle pas précisément de «voyance» ou de «sorcellerie», nous dira maitre Merah. Expliquant que la loi parle toutefois de certaines pratiques incriminées, liées à cet exercice, comme porter atteinte aux cimetières, dont l’exhumation des morts, passible de prison ferme. Ce vide juridique explique pourquoi ces voyantes et ces cheikhs ne sont pas inquiétés et exercent au vu et su de tous.

Pour les spécialistes en anthropologie sociale comme le Pr Youcef Hantabli, le recours à cette pratique dénote d’une «perte de contrôle de la réalité physique, qui incite à la recherche des solutions méta-réalistes». «Le recours à la magie du point de vue anthropologique, est un phénomène humain connu des sociétés primitives, mais aussi des sociétés développées», explique-t-il. «Les horizons de changement et de localisation de soi, ainsi que la recherche d’une reconnaissance sociale, sont devenus insaisissables de manière rationnelle, en fonction des réalités et des possibilités de réalisation».

Cette pratique moyenâgeuse considérée comme du charlatanisme, attire beaucoup d’adeptes prêts à débourser des sommes colossales dans l’espoir de voir leur vie améliorée et leurs soucis résolus. Les voyantes et Cheikhs, de leurs cotés, promettent monts et merveilles aux clients et profitent de leur naïveté et crédulité pour leur soustraire le maximum. Alors que la clientèle était, il ya des années de cela, réduite à une tranche d’âge définie, à savoir les femmes âgées, aujourd’hui, la pratique s’est étendue à toute la société, même des intellectuels. Désespoir quand tu nous tiens !

Kamela Haddoum.