C’est à un nouvel épisode de l’époque de la guerre froide que se livrent, depuis vendredi, la Turquie et la Syrie après que celle-ci ait abattu un avion de combat turc qui a violé l’espace aérien syrien, selon Damas. Tous les ingrédients de la guerre froide sont là : un pays, la Turquie, qui affirme qu’un de ses avions de combat de type F-4 a été abattu dans l’espace aérien international par la DCA syrienne, et l’autre, la Syrie, qui affirme que l’avion a violé l’intégrité de son territoire, en sont venus à hausser le ton et font craindre une montée en puissance, dans les prochains jours, de leur différend.
Et, pour corser l’addition côté turc, un de ses avions qui participait samedi aux recherches pour localiser l’épave du F-4 et ses pilotes, toujours portés disparus, a été pris pour cible par la DCA syrienne. L’incident, qui n’a fait ni victime ni dégât, s’est produit au-dessus de la Méditerranée, selon une source diplomatique européenne. Il s’agissait d’un avion Casa CN-235 qui a été visé par un système de défense sol-air syrien, l’étape ultime avant l’ouverture de feu, a expliqué cette source. Ce système de défense comprend un radar et des missiles. «Lorsqu’un avion est pointé par un système de défense, il en est averti par ses instruments, et c’est ce qui s’est produit», a-t-on précisé. Cet incident a été rapporté par le chef de la diplomatie turc Ahmet Davutoglu, qui en a informé ses collègues de l’OTAN, dont la réunion, ce mardi, convoquée par Ankara, devrait condamner la destruction de l’avion de combat turc par la Syrie, de plus en plus isolée.
Mais, si du côté de l’OTAN, il est beaucoup plus question d’un acte belliqueux, concernant la destruction par la DCA syrienne de l’avion de combat turc, de l’autre «côté du Mur», c’est une tout autre affaire. Et ce qui se dit ne fait pas partie d’un jeu, mais bien d’une guerre du renseignement que se livrent les pays membres de l’Alliance atlantique, à travers leur pion dans la région, la Turquie.
En fait, l’incursion dans l’espace syrien aurait été de trois minutes selon la Turquie, et de cinq selon la Syrie. L’arbitrage est compliqué par le fait que la Turquie n’a pas signé la Convention de Montego Bay (1982) sur le droit de la mer, à cause de ses différends territoriaux avec la Grèce. Pour autant, selon des experts russes de l’armement, le F-4 Phantom turc abattu testait la défense antiaérienne syrienne pour le compte de l’Otan et sa destruction a montré l’efficacité des systèmes russes dont est équipée la Syrie. Selon l’Agence « Ria Novosti », qui cite l’expert Saïd Aminov, le vol visait «selon toute probabilité à tester les systèmes de DCA syriens dans le but de mettre au jour ses éléments».
»L’avion volait à basse altitude, et c’est un des éléments clés de la violation de tout système de défense antiaérienne», ajoute M. Aminov, qui dirige le site spécialisé «Vestnik PVO» (Les nouvelles de la DCA). Une opinion partagée selon « Ria Novosti » par l’expert russe Igor Korotchenko, du Centre d’analyses des ventes d’armes internationales. Le but probable de la mission était «de forcer les moyens de visée des batteries syriennes à se déclencher, d’activer les stations radar, et peut-être de provoquer leur basculement en régime de combat», indique l’Agence, citant M. Korotchenko. «La Turquie est membre de l’Otan, où se pratique l’échange de données de reconnaissance avec les autres membres de l’alliance, et mène une activité de renseignements radio-électroniques active autour de la Syrie», ajoute « Ria Novosti ». Pour Said Aminov, cet incident «témoigne de l’efficacité de la DCA syrienne, dont la base est constituée de batteries de moyenne portée, de production russe Buk-M2E, Petchora-2M et de systèmes de DCA Pantsir-S1.
Suffisant pour que la Syrie mette en garde l’Otan, à la veille de la réunion d’urgence prévue à Bruxelles. Selon le porte-parole du ministère syrien des Affaires étrangères, Jihad Makdessi, le territoire syrien était «sacré», au cas où la réunion discuterait d’une «agression». «Si la réunion vise à calmer la situation (…), nous leur souhaitons bonne chance. Mais si l’objectif est une agression, nous leur disons que le territoire, l’espace aérien et les eaux syriens sont sacrés pour l’armée syrienne, tout comme le territoire turc (…) est sacré pour l’armée turque», a-t-il affirmé. Il a toutefois réaffirmé que la Syrie demeurait «attachée aux relations de bon voisinage avec la Turquie».»Nous n’avons aucune intention belliqueuse envers le peuple et l’Etat turcs».