L’Algérie possède tous les moyen pour sauver son marché monétaire, selon Jean-Michel Beacco, un expert international en marchés financiers et membre du Conseil Scientifique de la Cosob (Commission d’organisation et de surveillance des opérations de bourse) qui a voulu se prêter à notre jeu de questions-réponses dans cet entretien exclusif accordé à notre quotidien Le Chiffre d’Affaires, où il fait un tour d’horizon de la situation du marché financier.
L’expert, qui pour rappel, est diplômé de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées (France), MBA de l’université de Stanford, assumé plusieurs responsabilités depuis 1992, où il a pris la responsabilité des activités de crédits dans les marchés de capitaux au sein de la Société Générale (1992-2000), du Crédit Agricole CIB (2000-2005) et de Natixis (2005-2009). En 2009, Jean-Michel Beacco a été nommé Délégué Général de l’Institut Louis Bachelier, puis Directeur Général Adjoint de l’Institut Europlace de Finance (EIF). Ainsi, et tout en assurant parallèlement les fonctions de professeur associé à l’Université Paris-Dauphine, il est également Président du Directoire de la Fondation du Risque.
Dans cet entretien, l’expert attitré qu’est Jean-Michel Beacco, décortique la situation du marché monétaire algérien qui, selon lui, souffre de pas mal d’anomalies ; mais qui toutefois offre bien des possibilités d’évolution «positive». L’expert se base dans son analyse sur plusieurs facteurs considérés comme étant porteurs de promesses à l’avenir, tels que le développement démographique dans le pays, notamment la prédominance de la jeunesse, et les perspectives d’ouverture du marché national corollaire d’une politique d’investissement ambitieuse engagée à travers les différents plans de développement multisectoriels dans le pays. Entretien.
Le chiffre d’affaires: Quelles sont, d’après-vous, les répercutions de la chute des cours de pétrole sur les marchés monétaires?
Contrairement aux marchés obligataires (long terme), les marchés monétaires (court-terme) réagissent plus aux politiques monétaires des banques centrales qu’aux fluctuations des cours du pétrole.
Néanmoins, un effet de second ordre existe entre chute des cours pétroliers et marché monétaire, via les anticipations d’inflation qui peuvent elles-mêmes induire des changements de politiques monétaires.
Soutenue par la baisse du coût des matières premières, la diminution des pressions inflationnistes devrait permettre aux pays émergents disposant de saines finances internes et externes d’assouplir leurs politiques monétaires, apportant un soutien aux obligations des marchés émergents en devises locales.
Comment les politiques des Etats peuvent réussir ou détruire le marché monétaire? Est ce que la démocratie comme système politique engendre systématiquement un marché monétaire cohérent?
La politique d’une banque Centrale repose avant tout sur la confiance et la prédictibilité de ces actions. Un système politique démocratique engendre de la confiance et nécessite de la transparence. Il engendre donc systématiquement une politique monétaire lisible et un marché monétaire cohérent.
N’oublions pas par contre, que la confiance des populations et des marchés dans l’Etat est un élément qui prend du temps à se construire et peut se détruire très vite.
Dans combien de temps l’Algérie peut avoir ou peut réaliser une courbe des taux cohérente et adéquate avec le marché international?
3 à 5 ans, à condition d’entreprendre dès maintenant des mesures d’assainissement et de gestion transparente des finances publiques, d’annoncer un programme régulier d’émissions obligataires court, moyen et long terme pour pallier à la baisse des revenus des matières premières et mobiliser l’épargne domestique.
N’oublions pas que ce processus va prendre du temps, va connaître des hauts et des bas et que si l’Algérie souhaite disposer en 2020 d’un vrai marché de dettes et d’une courbe des taux, c’est maintenant qu’il faut s’y mettre.
Quelles sont les techniques les plus rapides pour normaliser la courbe des taux en Algérie?
– Explication des enjeux en terme de finances publiques, de disposer d’un marché de dette complet et cohérent.
– Transparence au niveau des chiffres concernant les besoins de financement et les supports de financement.
– Eviter le «go and stop» mais préférer une politique d’annonces des émissions à l’avance, de préparation du marché des investisseurs.
– Enfin, disposer de banques «teneurs de marché» afin de préparer une liquidité pour des opérations de petites tailles.
Quel est le rôle du trésor dans cette démarche?
Au centre du jeu avec les banques. C’est aussi la cellule qui doit inspirer confiance sur la durée.
Comment peut-on prévoir l’inflation et les risques dans les marchés financiers?
Personne ne sait répondre précisément à ces questions, ou alors cette personne serait «très riche». Pour autant, les marchés disposent d’instruments de modélisation macro-économiques et micro-économiques qui ont le mérite de donner des chiffres. Ensuite, ce sont des modèles, pas des certitudes.
La structure actuelle de notre marché financier est-elle en mesure de s’adapter avec les normes mondiales si le système change de réflexions monétaires?
Oui. Les normes mondiales ont été testées, affinées, prêtes à l’emploi si j’ose dire. Elles se prêtent donc particulièrement bien à la naissance d’un nouveau marché comme celui de l’Algérie.
En parlant des pratiques bancaires et financières en Algérie ; les chefs d’entreprise et des PME pensent que les banques étrangères en Algérie telles que Société Générale, BNP Paribas, HSBC… ne rendent pas l’ascenseur, autrement dit des banques qui ne pensent qu’à leurs intérêts et ne jouent pas le rôle de partenaire, contrairement en Europe où la banque protège ses clients et les émergent?
Je ne sais pas qui a raison dans ce débat. Par contre, il illustre bien l’importance de disposer de banques locales algériennes publiques ou privées fortes et au centre du jeu. Ensuite, tout le monde reviendra à de bonnes pratiques dès que le business se sera installé.
Comment sensibiliser les investisseurs et l’ensemble des régulateurs à contribuer dans le changement du marché monétaire?
L’urgence commande avec la chute des prix pétroliers de préparer un marché de capitaux (dettes et actions) permettant à l’Etat et les entreprises de se financer. Comme ce processus prend du temps, il faut le démarrer maintenant afin de pouvoir s’en servir quand on en a besoin.
On ne crée jamais un marché dans le besoin. On l’utilise à ce moment là, mais on le crée bien avant.
Quelle est votre évaluation pour la bourse d’Alger?
Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, mais je constate que le marché boursier algérien est peu profond et peu liquide. Peut mieux faire donc…
Est ce que l’Algérie est dans une situation critique, sachant que ses exportations en pétrole constituent plus de 60% de ses recettes?
Critique oui, mais à nouveau tout risque est aussi une opportunité. L’Algérie a la chance de ne pas être endettée, d’avoir une population jeune et en bonne santé qui peut bien travailler, une population de retraités avec une forte longévité, trois ingrédients permettant une offre de dette et d’actions pour l’Etat et les entreprises à des consommateurs ou épargnants qui en ont besoin pour vivre mieux.