Au préalable, il faut mettre en relief l’effritement du système d’information car il existe des différences notables entre les données de l’enquête du recensement économique (RE) publiée le 2 août, réalisée par l’Office national des statistiques (ONS), concernant 990.496 entités et celles du Centre national du registre de commence (CNRC).
L’économie nationale est assise sur le commerce avec une absente flagrante d’un tissu de production.
Ainsi, pour le total, nous avons une différence de 462.678 entités économiques que ne prend pas en compte le RE. Si, ce dernier porte sur l’année 2010, je ne pense pas que les tendances lourdes aient changées entre 2011/2012. Peut-être assisterons-nous à une accélération entre 2013/2014 puisque aucun changement notable n’est envisagé et que l’avant-projet de loi de finances 2013 prévoit une réduction du budget de fonctionnement de la majorité des secteurs ainsi que certains projets non stratégiques. Ainsi, en synthèse, voici cinq importantes conclusions de ce recensement pour établir un bilan objectif entre 2000/2012.
Le tissu économique national est fortement dominé par les micros-unités dont les personnes physiques à 95% (888.794) alors que les personnes morales (entreprises) représentent seulement 5%, soit 45.456 entités. La structure de l’emploi en est le reflet avec une très forte concentration des entreprises au niveau de la tranche d’effectif 0-9 occupés, où sur les 934 250 entités économiques, près de 914 106 se situent sur la tranche d’effectifs 0-9 salariés, soit 97,8% de l’ensemble des entités économiques. Il y a lieu de noter que seules 932 entités économiques emploient 250 occupés ou plus.
Par strate, environ 83,7% des entités économiques employant moins de dix salariés sont dans le secteur urbain. La structure des personnes morales au niveau des wilayas, montre que sur les 934.250 entités économiques, 84% (781.439) sont implantées en milieu urbain contre 16% (152.811) en milieu rural avec une concentration de 21% dans la capitale, suivie par les wilayas d’Oran (6,8%) et Sétif 5,3%. La répartition selon le genre du chef d’entreprise montre que sur les 888 794 personnes physiques recensées, 798. 026, soit 89,8 % sont des hommes contre 90.768 femmes, soit 10,2 %. Sur les 934 250 entités économiques recensées, 557 908 relèvent du régime d’imposition forfaitaire, soit 59,7%,la part des entités économiques soumises au régime réel se situant à 12,7%. Par secteur d’activité, le commerce représente 58,7% dans le forfait, 37,4% dans le réel et 42,8% dans l’exonéré. Le commerce est suivi de près par les services avec des parts respectives de 32%, 45,4% et 35,8%. Pour le soutien des agences d’investissements, l’enquête relève que seulement 4% des enquêtés ont bénéficié des dispositifs d’aide à la création de l’entreprise dont 65,7% ont bénéficié du dispositif de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (ANSEJ). Par ailleurs, 22,3% des 4% ont bénéficié de l’aide de l’Agence nationale des investissements (ANDI). 83,2% des entreprises privées employant entre 50 et 249 salariés ont bénéficié de cette aide dont 42,9% dans la construction. Le dispositif de l’Agence de Gestion du Micro crédit (ANGEM) a été sollicité par 5,9% des enquêtés et le crédit CNAC a bénéficié à 6,1% des enquêtés, particulièrement pour les petites entreprises employant moins de 10 salariés (6,3%).
L’enquête met en relief la prédominance du secteur commercial avec 511.700 entités, soit près de 55% de l’ensemble, dont 84% de l’activité est concentrée dans le commerce de détail, le reste est partagé entre le commerce de gros et celui de l’automobile et des motocycles. Le secteur des services (dont transport 18,8% et restauration 14,5%) avec 317.988 représente 34% de l’ensemble des entités économiques du pays. Donc secteur commercial et services concentrent 83% des activités de l’économie algérienne en 2010, 829.688 entités économiques activant dans le secteur tertiaire, soit 89% du total, ce qui dénote clairement le caractère tertiaire de l’économie nationale. Concernant l’industrie, sur 95 .445 entités recensés, 24,8 % activent dans les industries agroalimentaires (travail de grain, lait et produits laitiers, boissons etc.), 23,4 % dans la fabrication de produits métalliques, 11,1 % dans l’habillement, 1,7 % dans le travail du bois et la fabrication d’articles en bois et en liège, 1,3 % dans le textile, 1,3 % dans la réparation et l’installation de machines et d’équipement. L’Algérie ne compte que 9 117 entreprises dans la construction, soit 1 % de l’ensemble des entités économiques recensées.
« Il est évident que ce chiffre est largement en deçà de la réalité du terrain » reconnaît toutefois l’ONS où l’informel n’a pas été pris en compte. Sur les 934 250 entités recensées (morales + physiques), 2,2 % ont été créées avant 1980, 4,2 % entre 1980 et 1989, 17 % entre 1990 et 1999 et enfin 76,6 %, soit 716. 026 entre 2000 et 2011. Et sur les 716 .026 entités créées entre 2000 et 2011, plus de la moitié (55 %) concerne le secteur commercial. Près de 95 % des entreprises privées ont un chiffre d’affaires inférieur ou égal à 20 millions de DA alors que la part des entreprises publiques qui sont dans cette même tranche de chiffre d’affaires n’est que de 41,4 %. Les entités économiques dont le chiffre d’affaires se situe entre 20 et 200 millions de DA sont au nombre de 53. 153 et représentent environ 5,7 % du nombre total d’entités recensées. 1 % des entités recensées ont un chiffre d’affaires annuel supérieur ou égal à 200 millions de DA. Seules 423 entités sur les 95. 445 entités industrielles ont un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 2 milliards de DA. Sur l’ensemble des entités économiques appartenant à la première tranche de chiffre d’affaires (moins de 20 millions de DA), 99,1% appartiennent au secteur privé, 0,8% au secteur public et le reste des entités relève du secteur étranger.
Pour les entraves à la création d’entreprises, selon le RE, près de 40% des chefs d’entreprises considèrent que les délais de création d’une entreprise sont longs : par secteur juridique, 40,1% des entreprises privées contre seulement 24,0% des entreprises du secteur public. Pour les formalités administratives, 43,9% des chefs d’entreprises estiment que le dossier administratif afférant à la création de l’entreprise est complexe contre 39,3% qui déclarent le contraire. Pour les moyens financiers 59,0% des entreprises considèrent la disponibilité des moyens financiers comme facteur important dans la décision initiale d’investir contre près du quart des entreprises qui estiment le contraire dont 37,0% des entreprises publiques. Le RE note que le recours par les entreprises aux emprunts bancaires n’est pas une pratique courante. En effet, seulement 3,3% des entreprises déclarent les emprunts bancaires comme principale source de leur financement. Néanmoins, 22,1% des entreprises employant entre 50 et 249 salariés et 23,1% de plus de 250 salariés ont eu recours à des emprunts bancaires 83,2% des entreprises tous secteurs confondus déclarent s’autofinancer.
Toujours selon l’enquête les subventions de l’Etat ont concerné près de 5% des entités tous secteurs confondus. 4,2% revient au secteur privé. Pour les infrastructures, 46,3% des chefs d’entreprises considèrent la qualité des infrastructures comme un facteur important dans la décision initiale d’investissement, dont 46,5% pour les entreprises privées et 33,9% pour les entreprises publiques. Près de 66% jugent que la fiscalité constitue un handicap pour leur entreprise, notamment pour le secteur privé (66,6%). Le problème est plus prononcé dans le commerce avec 68,9% suivi de l’industrie (65,1%) et 63,7% pour les services, avec une accentuation pour les très petites entreprises (64,3%).. L’accès au foncier reste un handicap pour près de 27,0% des chefs d’entreprises dont les entreprises privées (27,2%). Selon l’ONS, ce sont les très petites entreprises qui sont les plus touchées avec 27,0% et l’accès au foncier et difficile en milieu urbain (27,3%) qu’en milieu rural (24,7%). Concernant les l’énergie, la moitié des chefs d’entreprises estime que la disponibilité de l’énergie (Electricité, gaz, etc.) est un élément important dans la prise de la décision d’investir. En revanche, environ 31,5% considèrent que la disponibilité de l’énergie n’est pas importante pour leur investissement. Par secteur juridique, 50,2% des entreprises privées jugent important la disponibilité de l’énergie contre 35,4% pour les entreprises publiques. Enfin le facteur transport où 39,1%considèrent ce facteur comme important, notamment les très petites entreprises avec respectivement 39,7% et 39,0%.
Quatrième facteur important, l’enquête de l’ONS révèle que 3,9 millions d’Algériens travaillent dans l’informel, contre 1,6 millions en 2001, le nombre ayant quasiment doublé malgré une injection sans précédent de la dépense publique qui devait permettre une création permanente de nouveaux postes d’emploi productifs. 45,3% de l’emploi informel relève du secteur du commerce et services, 37,4% du secteur des bâtiments et travaux publics, et 17,3% de l’industrie. L’offre d’emploi déclaré a augmenté de 43,1% durant cette même période, mais n’a pas suffit à réduire le développement du travail non déclaré. Ainsi si l’on pend le milieu rural où domine l’informel, on peut en déduire qu’entre 50/60% de la population active y compris la population féminine est dans l’informel sans couvertures sociales et que la surface économique hors hydrocarbures de l’informel dépasse les 60%. Car sont touchés également les femmes qui se concentrent principalement dans deux secteurs, des services qui emploient la moitié de cette catégorie de femmes et l’industrie (artisanale). Ce qui me conduit à m’interroger sur les raisons du poids important de l’emploi informel féminin où un examen détaillé de la composition de l’emploi informel indiquerait vraisemblablement qu’il s’agit en général de catégories de population qui exercent des activités marginales, au sens d’activité d’appoint ou peu rémunératrices. La répartition selon le secteur d’activité fait ressortir que 45,3% de l’emploi informel dont le faible niveau d’instruction, 79,8% n’avaient pas dépassé le cycle moyen, relève du secteur du commerce et services, 37,4% du secteur du bâtiment et des travaux publics, et 17,3% de l’industrie. L’enquête révèle que près de la moitié de cette population est constituée de salariés non permanents (47,9%) et 44,3% de personnes travaillant pour leur propre compte. Près d’un employé de l’informel sur cinq était âgé entre 15 et 24 ans et un sur quatre est âgé entre 25 et 29 ans, soit près de la moitié (44,5% étaient âgés de moins de 30 ans).
Quelles conséquences en déduire de cette importante enquête pourtant réalisée par une institution gouvernementale n’étant que la face apparente d’un iceberg dont la partie cachée, semble-t-il, est plus large ? L’Algérie actuellement est en plein syndrome hollandais et malgré une dépense publique programmée sans précédent de 500 milliards de dollars entre 2000/2013 (part devises et part en dinars) n’a pas d’économie. L’enquête révèle l’échec de la politique de l’emploi et des salaires menée actuellement, caractérisée par des versements des revenus sans contreparties productives, la facilité d’aller vers des emplois rentes non créateur de valeur ajoutée et donc l’incapacité d’absorption du marché du travail qui n’arrive plus à suivre le flux de main d’œuvre en quête d’emploi, entre 350.000/400.000 demandes d’emplois additionnels par an. Par ailleurs marginaliser l’entreprise créatrice de richesses dans la mesure où importer des biens devient plus avantageux que de les produire localement. Il s’ensuit une moindre incitation à produire localement avec commet impact une plus forte dépendance aux importations et la généralisation du gain facile où la récompense de l’effort devient accessoire par rapport à la débrouillardise comme le montre la dominance de la sphère informelle analysée précédemment avec des structures monopolistiques au niveau de cette sphère (concentration du capital argent). La majorité de la dépense publique, alimentant la majorité des programmes d’investissement provient de la rente des hydrocarbures. Malgré le préprogramme 1999/2003 (7 milliards de dollars US), le programme 2004/2009, dont le montant clôturé à 200 milliards de dollars US fin 2009, (aucun bilan à ce jour) et le nouveau programme 2010/2014 de 286 milliards de dollars dont 130 sont des restes à réaliser du programme 2004/2009 les résultats sont mitigés. Toujours 98% d’exportation provenant des hydrocarbures et important 70/75% des besoins des ménages et des besoins des entreprises publiques et privées. L’on se contente de relater les réalisations physiques à dominance d’infrastructures (70% de ces dépenses) sans se préoccuper des couts et des impacts réels. Les taux de croissance, de chômage et d’inflation officiels sont des taux artificiels que voile la rente des hydrocarbures où nous assistons à une redistribution passive de revenus pour une paix sociale éphémère.
Devant ce bilan mitigé des réformes établi pour la première fois par l’ONS, il s’avère qu’il y a urgence d’un changement de cap de la politique, socio-économique de l’Algérie. En effet, face à une population de plus de 37 millions d’habitants au 1er janvier 2012 (allant vers les 50 millions dans quelques années), avec une demande additionnelle d’emplois annuelle croissante, malgré des réserves de change toujours grâce aux hydrocarbures qui clôtureront à 200 milliards de dollars fin décembre 2012, richesse virtuelle, dont 90% sont placées à l’étranger, allant vers l’épuisement (15 ans pétrole, 25 ans gaz) nous assistons à une croissance du PIB très faible non proportionnelle aux dépenses monétaires. L’Algérie selon les experts un récent rapport international dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultat par rapport aux pays similaires montrant la mauvaise gestion pour ne pas dire la corruption socialisée. Cela n’est que le résultat du manque de cohérence et de visibilité de la politique socio économique, de l’instabilité juridique, de l’inefficacité des institutions actuelles ne correspondant pas à la nouvelle situation, où par de l’activisme on dépense sans compter pour paraphraser la directrice du FMI et du manque de vision de la transformation du monde caractérisée par des ententes régionales,les micros Etats étant révolus. Malgré ces dépenses colossales assises sur la dépense publique entre 2000/2011,(500 milliards de dollars entre 2004/2014) l’Algérie n’a pas et ne pourra pas réussir, sans changement de gouvernance à inverser les tendances profondes de la dynamique rentière destructrice, assistant à un gaspillage des ressources financières. Faible taux de croissance réel,(moyenne de 3% entre 2000/2011), économie totalement extravertie dominée par les hydrocarbures, la tertiairisation et l’informel, produit du système bureaucratique rentier, retour de l’inflation, pourtant comprimée artificiellement par des subventions, nous assistons donc à une nette détérioration du pouvoir d’achat de la majorité de la population où 70% vivent avec un revenu inférieur à 30.000 dinars par mois consacrant plus de 70% de ce modeste revenu aux produits de première nécessité et ce avec une inflation galopante amplifiée par l’extension de la sphère informelle qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation et 65% des segments de produits de première nécessité. Cette situation de l’Algérie de 2012, avec des tensions sociales qui tendent à se généraliser, une nette concentration du revenu au profit de couches rentières au détriment des producteurs de valeur ajoutée directement (la sphère économique) ou indirectement (l’Education, la Santé), trouve son essence dans le fait que les deux piliers du développement du XXIème siècle, la bonne gouvernance, la valorisation de l’entreprise et son soubassement le savoir sont subordonnées aux intérêts rentiers dominants. Or la future carte géostratégique mondiale qui se dessine au niveau de la région euro-méditerranéenne et tout le continent Afrique, espace social naturel de l’Algérie, dont les tensions au Sahel, implique en urgence une stratégie d’adaptation, fondée sur l’Etat de droit, l’efficacité économique, la cohésion sociale et la démocratie loin des utopies autoritaires des années 1970. Il y va de la sécurité du pays.
Dr Abderrahmane Mebtoul, expert International en management stratégique