La mouture de l’avant-projet de révision de la Constitution, finalisée pourtant après la réunion de plusieurs conseils restreints présidés par le chef de l’État, est truffée d’aberrations, d’incohérences, voire d’articles en totale contradiction avec des dispositions cardinales de la Constitution.
Les incohérences et les contradictions dans un texte qui a pourtant bénéficié de quatre années d’incubation sont tellement flagrantes qu’il n’est point besoin d’érudition en matière de droit constitutionnel pour s’en rendre compte. C’est à croire que l’avant-projet de révision de la Constitution, porté depuis avant-hier à la connaissance de l’opinion publique, n’a pas fait l’objet d’un examen attentif et minutieux de la part des participants aux rencontres restreintes consacrées à sa finalisation convoquées et présidées par le président Bouteflika. Sinon comment expliquer alors que tant d’incongruités aient échappé à la vigilance et à la lucidité de l’aréopage de hauts commis de l’État, principalement des ministres de la République, mis à contribution dans l’effort d’élaboration de la mouture en question.
Le communiqué de la présidence de la République du 14 décembre dernier qui faisait état de la réunion du premier “conseil restreint” indiquait qu’y avaient pris part le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le ministre d’État directeur de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia, le ministre d’État, conseiller spécial auprès de M. le président de la République, Tayeb Belaïz, le vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’Armée nationale populaire, Ahmed Gaïd Salah, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Louh, et Boualem Bessaïeh, conseiller auprès de M. le président de la République.
À supposer que la rédaction du texte n’ait pas été confiée à des spécialistes, il est tout de même parmi le panel consulté par Bouteflika, au moins deux personnes qui pouvaient relever les incohérences, Ahmed Ouyahia et Boualem Bessaieh, en l’occurrence, le premier a enseigné le droit constitutionnel, le second a présidé le Conseil constitutionnel. Notamment lorsqu’il s’agit de contradictions criantes. Qu’on en juge, d’ailleurs.
Les rédacteurs du texte ont bien formulé l’article 73 comme suit : “Pour être éligible à la présidence de la République, le candidat doit : (…) justifier de la nationalité algérienne d’origine unique du conjoint. Justifier d’une résidence permanente exclusive en Algérie durant un minimum de dix années précédant le dépôt de candidature.” Cet article est en contradiction avec les articles 24 bis et 31 qui stipulent respectivement que “l’État œuvre à la protection des droits et des intérêts des citoyens à l’étranger dans le respect du droit international, des conventions conclues avec les pays d’accueil, de la législation nationale et de celles de pays de résidence.
L’État veille à la sauvegarde de l’identité des citoyens résidant à l’étranger, au renforcement de leurs liens avec la nation, ainsi qu’à la mobilisation de leur contribution au développement de leur pays d’origine” et “les institutions ont pour finalité d’assurer l’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous, à la vie politique, économique, sociale et culturelle”.
L’article 73 est surtout en contradiction avec une disposition cardinale de la loi fondamentale stipulée dans l’article 29 : “Les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale.” Ceci pour les contradictions, les aberrations, elles, sont confinées notamment dans les articles 42 bis qui stipule que “dans le respect des dispositions de l’article 42 ci-dessous, les partis politiques agréés bénéficient, sans discrimination, notamment des droits suivants : (…) un temps d’antenne dans les médias publics, proportionnel avec leur représentativité au niveau national”, ou encore l’article 54 bis qui dispose, lui, que “(…) l’État encourage la réalisation de logements”.
Ces dispositions, comme tant d’autres, à l’instar de celle qui constitutionnalise le droit à la sécurité sociale pour les travailleurs, n’ont pas à être dans la Constitution qui énonce des principes généraux, tant est qu’elles relèvent soit de dispositions techniques ou d’engagement programmatique, voire du slogan.