Avant-projet de la Constitution : passage en force ?

Avant-projet de la Constitution : passage en force ?

Le président Bouteflika a validé l’avant-projet de la Constitution, il a préféré le Parlement au référendum pour voter le texte final.

Après plusieurs mois de tergiversation et lors d’un Conseil restreint tenu le lundi 28 décembre, le premier magistrat du pays a finalement donné son feu vert à cette proposition « substantielle » de la Loi fondamentale du pays. Il précise qu’elle sera soumise « à l’appréciation du Conseil constitutionnel qui, à la lumière des articles 174 et 176 de la Constitution, rendra son avis sur la procédure par laquelle ce texte sera examiné et adopté par le Parlement », mais avant, elle sera adressée « aux personnalités, partis politiques et associations, consultés, au cours de sa préparation ». Cette démarche en dit long sur les équilibres et rapports de forces sur la scène politique algérienne.

QUESTION DE LEGITIMITE :

L’envoi exclusif de cette proposition aux participants à « sa préparation » va certainement renforcer le statu quo dans la posture des boycotteurs. C’est le détail qui résume bien l’état d’esprit et la détermination de l’homme fort d’El-Mouradia qui veut aller jusqu’au bout de son projet quitte à exclure une frange non négligeable du champ politique. En fait, les partis et personnalités ayant refusé ces consultations, auront connaissance du contenu de l’avant-projet dans les médias comme tous les citoyens. Ali Benflis, tous les partis de la CNLTD et les autres ne vont pas, forcément, apprécier cette méthode ni encore moins approuver un texte qui ne leur a pas été destiné. Par conséquent, la démarche du chef de l’Etat ne va pas arranger les choses d’une scène politique marquée déjà par une radicalisation palpable y compris chez ses « anciens amis ».

Cela va accentuer et alimenter une animosité qui se transforme peu à peu en une « exécration » qui commence à se sentir à travers une sale guerre alimentée par les coups-bas en divulguant les « prévarications » des uns et des autres par médias interposés.

Ce passage en force va certainement exaspérer une opposition très « allergique » au parentalisme des gouvernants. Ces partis politiques connaissent parfaitement l’attitude du président et son opiniâtreté, beaucoup parmi eux considèrent cette proposition comme étant, d’ores et déjà, le texte final de la nouvelle Constitution.

D’autant plus que le cheminement même de la validation de l’avant-projet va dans ce sens, il doit passer par le Conseil des ministres présidé par le chef d’Etat, puis le Conseil constitutionnel qui ne va pas, certainement, toucher un seul mot du texte et enfin, et là c’est l’étape la plus intéressante, le Parlement, notamment la chambre basse, où on assistera probablement à des séances houleuses. Toutefois, mis à part des amendements de fond qui engendreront un vrai coup de théâtre et provoqueront ainsi une fissure dans le bloc de l’opposition radicale, les positions des très opposés ne changeront guère. Mais, le vote sera acquis de toute manière grâce à la majorité absolue dont jouit le président de la République. Ce dernier a choisi, justement et aux antipodes de toute la stratégie des opposants-radicaux qui se base sur la délégitimation des institutions, la stabilité et surtout la légitimité de ces institutions de l’Etat : le Conseil constitutionnel et le Parlement avec ses deux chambres qui subissent des critiques très sévères mettant en cause leur représentativité même. Dès lors, l’année 2016 s’annonce très mouvementée et la Loi fondamentale du pays ne constituera pas le consensus tant attendu, elle sera en effet sujette aux clivages les plus retentissants. En revanche, le bloc des anti-Bouteflika résiste-t-il face aux tentations des amendements qui concernent une surveillance très transparente des élections et qui donnent plus de pouvoir aux parlementaires ? Ou assistons-nous à une unième fissure dans les rangs de l’opposition radicale et donc à une recomposition de la scène politique autour de ces réformes ? Wait and see !

LES SECRETS DE LA FORCE !

D’où vient donc cette assurance qui permet au chef de l’Etat ce passage en force surtout dans ce contexte politique et économique plutôt morose?

Après l’épreuve du quatrième mandat qui reste, quand même, l’une des élections les plus inédites au monde, là où un président a été élu haut la main sans s’adresser, ne serait-ce qu’une seule fois, au peuple, Abdelaziz Bouteflika, malgré son handicap physique, a démontré dès 2014 qu’il n’est pas prêt à renoncer à ses réformes et il va imposer sa vison durant son dernier quinquennat ! Quant à l’année 2015, elle a débuté sur fond de chute vertigineuse du prix de baril et des grandes difficultés économiques, néanmoins l’année est passée en douceur sans grands déséquilibres socio-économiques. Et l’année 2016 ne s’annonce pas si catastrophique qu’on le croit à hémicycle, puisque les marges de manœuvres restent, tout de même, assez larges pour le gouvernement.

Cette année restera aussi dans les annales de la politique algérienne grâce à la disgrâce du général major Mohamed Mediène dit Toufik, après plus de 25 ans à la tête du tout puissant DRS ou l’Etat dans l’Etat, « rab d’zair » communique désormais par lettre via la presse écrite. Il n’était pas seul, puisque une cinquantaine de hauts gradés dont des généraux- majors, très influents, ont été remerciés. Bouteflika est plus que jamais « les quatre quarts du président ».

La fin de l’année 2015 a apporté aussi une très bonne nouvelle aux Algériens, par le retour enfin de l’industrie. Le ministre du secteur parle même de « révolution industrielle» mais qui n’a peut-être pas la même signification, au moins sur le registre idéologique, que celle du défunt Houari Boumediene dont on célèbre sa disparition ces jours-ci. L’ampleur de cette « révolution » peut propulser Bouchouareb au poste du Premier ministre après l’amendement de la Constitution. Sans oublier, bien évidemment, le soutien international impressionnant sur lequel s’appuie l’ex-chef de la diplomatie de Boumediene. Des puissances occidentales à la Russie et la Chine en passant par l’Iran et les pays arabes, jusqu’aux pays africains comme ceux de l’Amérique latine, aucun pays n’a mis ne serait-ce qu’une seule réserve ou le moindre doute sur la légitimité de Bouteflika.

Bref, tous ces éléments réunis, qui sont des vraies réussites malgré une communication médiocre, donnent au président des gages de confiance afin d’assurer ce passage en force mais qui risque, à contrario, d’approfondir davantage la fracture politique existante.