Rachedi met fin à l’Histoire officielle au cinéma
La fameuse devise «un seul héros le peuple», est une nouvelle fois tombée jeudi à l’occasion de la projection d’un nouveau film sur la révolution: Krim Belkacem.
Très attendus par les historiens et par la presse après la polémique sur Messali et Ben Bella, le film Krim Belkacem réalisé par Ahmed Rachedi et dédié au parcours révolutionnaire et politique d’un des symboles de la guerre de libération et un des principaux négociateurs aux accords d’Evian, a officiellement mis un terme à l’Histoire officielle qui était jusque-là enseignée dans les manuels scolaires. Le réalisateur Ahmed Rachedi qui a maintes fois reporté la présentation du film, en raison de l’emploi du temps chargé du Premier ministre Abdelmalek Sellal, l’a finalement présenté à la presse, devant un parterre de révolutionnaires et de hautes personnalités. D’une durée de 150 mn, ce film a été produit par le Centre national d’études et de recherche sur le Mouvement national et la révolution du 1er Novembre 1954, dépendant du ministère des Moudjahidine sur un scénario co-écrit entre Ahmed Rachedi, Boukhalfa Amazit (l’un des rares journalistes spécialisés dans les questions historiques) et le commandant Azzeddine (de son vrai nom Rabah Zerrari, chef de la Wilaya IV historique).
Le film retrace le parcours de Krim Belkacem à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il a participé, avant de revenir dans son village natal de Oued Ksari où son père était caïd, et son départ à Draâ El Mizan ainsi que son engagement dans les rangs du Parti du peuple algérien (PPA-Mtld). Militant actif, Krim Belkacem est poursuivi en 1947 pour atteinte à la souveraineté de l’Etat et rejoint le maquis avant d’être condamné à mort pour une embuscade contre le caïd, son propre cousin. Un fait qui a été modifié par le réalisateur pour les besoins de la fiction. En 1954, il rompt avec les Messalistes, rejoint le groupe des six chefs du FLN (Boudiaf, Ben Boulaïd, Didouche, Bitat, Ben M’hidi) et prend la tête de la région de Kabylie, au déclenchement de la guerre de libération le 1er Novembre de la même année. Le film relate également le déroulement de l’opération «Oiseau bleu», une tentative de créer un contre-maquis clandestin composé d’Algériens de la région, armés et financés par l’armée coloniale, déjouée par Krim Belkacem et Amar Ouamrane. Autour de Abane Ramdane, la fiction relate l’organisation et la tenue du Congrès de la Soummam, événement majeur ayant permis la structuration de la révolution par la création du Cnra (Conseil national de la révolution) et du Cce (Comité de coordination et d’exécution).
Le film revient brièvement sur le rôle de Krim Belkacem dans la Zone autonome d’Alger avant de s’intéresser au «conflit» ayant opposé Krim Belkacem, Lakhdar Bentobal et Abdelhafidh Boussouf (les trois B) à Abane Ramdane avant sa mort en 1957. La fiction montre aussi le rôle de Krim Belkacem dans le Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra), où il occupait la fonction de ministre de la Défense, et aux négociations d’Evian. Pour réussir son film le réalisateur de l’Opium et le bâton s’est basé sur un casting local. Le rôle principal de Krim Belkacem a été joué par Sami Allam qui avait campé le même personnage dans le film Benboulaïd, Hassen Kechache dans le rôle de Mahmoud Cherfi. Kamel Rouini interprète le rôle de Boussouf, Djamel Dekar celui de Saâd Dahleb, Ahmed Rezzak représente Amar Ouamrane, Mustapha Laribi incarne Abane Ramdane, alors que Bahia Rachedi est dans le film, la mère de Krim Belkacem, enfin Mabrek Menad joue le rôle du commandant Kaci. Quant au colonel Amirouche, son rôle est incarné par Boualem Zeblah, Hassan Alloua représente Youcef Zighoud et Slimane Ben Ouari qui était très convaincant s’est vu attribuer le rôle de Larbi Ben M’hidi. Dans le film, les deux femmes de Krim Belkacem sont Imen Noel, la première épouse en Kabylie, et Razika Ferhane (la deuxième épouse).
Le réalisateur a focalisé son travail sur le personnage principal, Sami Allam et à un degré moindre sur des ténors de la Révolution comme Amirouche, Zighoud, Larbi et Abane. Quelques nouvelles générations de comédiens se sont imposés dans le film à l’image de ceux qui ont joué les rôles de Frantz Fanon et Bentobal. La palme de la mauvaise interprétation sera décernée à Djamel Dekar qui a interprété d’une manière très comique (son registre habituel) le rôle de Saâd Dahleb. L’autre point de discorde soulevé par le public nombreux venu à l’avant-première du film Krim Belkacem, c’est la langue. Le réalisateur n’a pas voulu trop utiliser la langue kabyle, utilisée dans l’environnement social du chef de la révolution et s’est contenté de quelques expressions seulement.
Certains spectateurs auraient souhaité l’utilisation de la langue amazighe dans les scènes du village de Krim Belkacem ou encore entre les membres de sa famille et plus particulièrement durant les discussions avec ses femmes et sa mère. Mais le réalisateur s’est défendu en indiquant que le cinéma algérien a toujours eu un problème de langue. «Contrairement aux films égyptiens, nous avons toujours opté soit pour l’arabe ou le français dans nos films, ce qui a toujours constitué comme un obstacle dans la diffusion du film». Sur le plan technique, le film reste loin des oeuvres réalisées par Ahmed Rachedi qui demeure le cinéaste le plus prolifique en matière de films sur la révolution, après Lakhdar Hamina. Des lenteurs, de faux raccords et une grande légèreté dans la reconstitution des décors d’époque ont été constatés par le plus naïf des spectateurs. De plus, l’utilisation abusive d’effets spéciaux dans les scènes de bataille, l’utilisation injustifiée d’images d’archives dans un certain plan. Le producteur et réalisateur s’est d’ailleurs expliqué lors de la conférence de presse qu’il n’était pas nécessaire d’acheter les images d’archives. Mais l’utilisation d’images d’archives des accords d’Evian téléchargées d’Internet a complètement faussé la belle qualité d’image HD du film. Du point de vue du texte, le scénario est resté fidèle aux textes historiques, mais le réalisateur et ses auteurs se sont permis certaines libertés dans la fiction, comme cette scène où le cousin de Krim agresse sa femme en lui enlevant sa boucle d’oreille. Ce même cousin est exécuté à Alger, alors qu’en réalité il a été tué dans sa localité à la descente du bus.
Les spectateurs présents ont regretté que le film s’arrête au 17 mars 1962, date de la proclamation du cessez-le-feu, alors que le héros du film a été assassiné huit ans plus tard en Allemagne. Le réalisateur a répondu que l’histoire de Krim après-62 ne l’intéresse pas, car il voulait faire un film sur le parcours du révolutionnaire pas de l’opposant et que cette période nécessitait un autre film. D’ailleurs, lors de la projection en soirée devant le Premier ministre Sellal, le producteur et représentant du ministère des Moudjahidine M.Yahiaoui n’a pas attendu que le générique soit terminé et a empêché les gens présents à lire le passage où il était indiqué que Krim Belkacem a été tué en 1970 à Francfort. Les scènes fortes du film ont montré pour la première fois le conflit existant entre Krim Belkacem et Houari Boumediene, ainsi suggéré la responsabilité des «trois B» dans la disparition de Abane Ramdane.
Et la meilleure scène pour illustrer ce conflit est visible dans la réplique entre Frantz Fanon et Krim Belkacem. Interrogé sur ces points par les journalistes présents, le commandant Azzeddine (un des adjoints de Boumediene, chef de l’Etat-major à partir de 1960) a indiqué que les faits qu’il qualifie d’erreur «n’incombaient pas seulement à ces trois personnalités», mais aussi à «d’autres figures (de la guerre de libération) porteuses d’ambitions et de projets de société différents». Enfin, en matière de coûts de production, le directeur du Centre national d’études et de recherche sur le Mouvement national et la révolution du 1er Novembre 1954, dépendant du ministère des Moudjahidine, M.Yahiaoui, a déclaré lors de la conférence de presse que le film a nécessité un budget de moins de 33 milliards de centimes. Un budget jugé exorbitant par les gens de la profession devant les résultats technique et artistique du film.