Aux origines de la crise malienne, Le refus algérien d’une intervention armée

Aux origines de la crise malienne, Le refus algérien d’une intervention armée

Les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) se sont réunis le 11 novembre en sommet extraordinaire à Abuja, la capitale nigériane, pour entériner un plan d’action qui définit les grands axes de l’intervention militaire dans le nord du Mali afin de restaurer “le rétablissement de l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire”.

En plus des quinze membres de la Cédéao, d’autres pays africains y ont participé en qualité d’observateurs parmi lesquels l’Algérie, représentée par M. Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des Questions africaines et maghrébines qui a réitéré la position algérienne sur la question, soit le refus de l’intervention tant qu’existent encore des chances d’aboutir à une solution pacifique. Tout en définissant le projet d’intervention, le sommet privilégie encore le dialogue avec les “groupes armés non impliqués dans les activités terroristes et criminelles et qui acceptent sans condition de reconnaître l’unité et l’intégrité territoriales du Mali ainsi que le caractère laïque de l’État”.

Le plan d’action en question a été exigé le 12 octobre dernier par la résolution 2 071 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) à la Cédéao et à l’Union africaine afin de créer une force internationale d’assistance aux autorités maliennes pour leur permettre de recouvrer la totalité de leur territoire. Le plan sera donc soumis à l’ONU en vue de l’adoption d’une nouvelle résolution qui permettrait l’intervention de la future force, appelée désormais Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (Misma), dans les zones actuellement sous contrôle des groupes armés du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), d’Ansar Dine, d’Aqmi et du Mujao.

Le Mali, un État souverain, demande à l’ONU une solution à son problème. La Cédéao dont il est membre, le soutient pour rétablir son droit sur son territoire. Vu comme cela, rien ne semble devoir gêner l’Algérie d’autant que le Mali vit une crise humanitaire grave, avec des exécutions sommaires, des déplacements de populations, des destructions du patrimoine national… Or, les autorités algériennes sont opposées à cette éventualité, allant jusqu’à menacer de fermer les frontières avec le Mali bien que l’intervention soit composée de soldats africains. La Libye, le Maroc et la Mauritanie sont aussi opposés à cette option. Alger a subi les pressions internationales (visite d’Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine, de Catherine Ashton, représentante de l’Union européenne à la politique extérieure, de Romano Prodi, représentant spécial de l’ONU au Sahel, de Laurent Fabius) pour le convaincre de participer aux opérations militaires au Mali. Les déclarations américaines et françaises semblant se contredire, beaucoup d’observateurs sont allés dans des spéculations au sujet des “divergences” entre ces deux pays. La volonté d’Alger de donner leur chance aux missions de bons offices, doublée d’une communication zéro a fait croire que notre pays ne serait pas opposé à une intervention s’il s’agissait d’en découdre uniquement avec Aqmi et le Mujao. Puis le 19 novembre dernier, sur les ondes de la radio Chaîne I, le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, a carrément déclaré que l’option militaire au Mali “est inscrite dans des agendas”, raison pour laquelle il fallait donner la priorité à la solution politique. Généralement, quand on parle d’agenda on signifie “programme de déstabilisation” et on vise le bloc de l’Alliance atlantique. Selon M. Medelci, la solution politique est aussi retenue par la “communauté internationale”, sans préciser laquelle, car il n’y a pas une communauté internationale mais deux : celle du bloc soviétique, de la Chine et des Brics ou celle dominée par l’Alliance atlantique et ses alliés du Golfe ? M. Medelci dit que “la guerre pourrait démarrer sur de bonnes intentions ou alors avoir des visées inavouées. Le résultat sera le renforcement et la propagation des hostilités et leur prolongement dans le temps”, avant d’asséner : “Nous ne voulons pas de guerre dans notre voisinage”. Bonne intention maintenant que l’épine est dans l’œil. Même de concert avec les autres pays du Maghreb, l’Algérie peut-elle s’opposer au rouleau compresseur de l’Occident si l’intervention est réellement inscrite dans son agenda ?

Effet domino du “printemps” libyen

En tout cas, l’Algérie a enfin sorti ce qu’elle avait sur le cœur et lancé le débat sur la crise. D’abord il faut dire que la situation au Sahel est la conséquence directe de ce qui est arrivé en Libye, devenue un arsenal à ciel ouvert pour les groupes armés : ceci pour abonder dans le sens des déclarations de notre ministre des AE, sauf que l’Algérie ne semble pas avoir vu la menace venir et ce, depuis des décennies, voire depuis la mort de Boumediene lorsqu’elle a cessé de jouer son rôle de leader en Afrique du Nord bien que la nature ait horreur du vide. Aujourd’hui, plusieurs observateurs parlent déjà d’un scénario afghan au Sahel. Avant d’apporter les arguments d’une conspiration – et des craintes de M. Medelci – il y a une évidence que nul ne peut nier : pour précipiter la chute de Kadhafi, l’Otan a distribué 20 000 tonnes d’armes et de munitions aux groupes islamistes libyens par l’entremise du ministre de la Défense du Qatar. En septembre 2011, ce ministre fut chargé par l’Otan de récupérer les armes en question mais il a laissé des arsenaux entiers à disposition du groupe islamique combattant en Libye. Le 10 novembre dernier, Mahmoud Jibril, chef de l’Alliance des forces nationales libyennes qui a remporté les élections du 7 juillet 2012, disait sur la chaîne irakienne Al Hurra que le Qatar refusait toujours de récupérer les armes qu’il a distribuées aux groupes rebelles qui ont “libéré” son pays, ce qui signifie que Doha a toujours le contrôle sur ces groupes. En vérité, ce sont les USA et la France qui sont les premiers responsables de cette situation car le Qatar ne peut laisser des armes dans la nature sans blanc-seing. Selon un responsable de l’Otan, 10 000 missiles sol-air auraient également disparu ! Une partie a rejoint la Syrie, et une autre s’est volatilisée dans le désert…

La “révolution” libyenne de 2011 a eu un effet domino sur toute la région : dissémination d’immenses arsenaux dépassant ceux de certains États de la région, apparition de nébuleuses islamistes et séparatistes, fragilisation de l’armée malienne et occupation de sa partie septentrionale. Tout le monde s’est servi dans des arsenaux à ciel ouvert, y compris les groupes qui ont été formés au Mali dans le sillage des Printemps arabes. C’est en octobre 2011 qu’est apparu, comme par hasard, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) avec comme objectif la création d’un État indépendant dans la région Nord du Mali ! À partir du 17 janvier 2012, il mène – conjointement avec Aqmi et Ansar Dine – des attaques contre des casernes et conquiert les principales villes du septentrion malien, dont Kidal, Gao et Tombouctou.

L’alliance contre nature des séparatistes et des islamistes sera de courte durée : ne comptant que quelques dizaines d’éléments, le MNLA ne tardera pas à être bouté des régions conquises. Le profil de ses éléments montre que ce mouvement prétendument séparatiste n’a aucune conviction politique réelle et que sa création s’insère dans un agenda étranger.

Son premier ex-secrétaire général, Mohamed Ag Najem, est né au Mali.

Il s’installe en Libye en 1983 puis, en 1990, il rejoint la rébellion du Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA) créé en 1988 par Iyad Ag Ghali. Après les accords de 1992, il retourne en Libye où il obtient le grade de colonel. Il déserte en 2011, bien avant la chute de Kadhafi et revient au Mali où il fonde le MNLA à l’instigation de l’Otan et de la France, selon des officiers maliens (Voir Jeune Afrique du 9 mars 2012).

Génération spontanée de groupes armés

Ansar Dine, un groupe islamiste né lui aussi à la même période, se composait d’une dizaine de Touareg de la fraction des Irayakane à sa création. Son chef n’est autre qu’Iyad Ag Ghali, le responsable du MPLA cité plus haut qui signe les accords de 1992 avant de créer un autre mouvement, le MPA, qu’il dissout en 1996.

En mai 2006, il fonde le Mouvement de l’alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC) aux côtés de Hassan Fagaga (un ex-officier de l’armée libyenne) et d’Ibrahim Ag Bahanga (un ancien berger). L’ADC mène des attaques contre deux garnisons à Kidal le 23 mai 2006 puis accepte de signer les accords d’Alger la même année.

En 2007, Iyad Ag Ghali est alors affecté comme conseiller consulaire du Mali à Djeddah. Suspecté de connivence avec des extrémistes, il est déclaré “persona non grata” par le royaume saoudien et se retrouve à Paris à fréquenter les mosquées avant de revenir au Mali en 2010 puis de créer Ansar Dine aux côtés d’une poignée d’anciennes recrues pseudo-indépendantistes. Le chef “rebelle” reformate son cerveau et passe des revendications ethniques à des revendications jihadistes mais oublie de dissoudre l’ADC. Avec les dollars que des agents qataris sont venus lui remettre, il recrute des centaines de jihadistes maliens et africains et même des enfants pour pallier le manque de combattants autochtones.

Aux dernières nouvelles, ses éléments désertent par dizaines afin de ne pas avoir à affronter la future armée de la Cédéao.

Également né fin 2011 avec les Printemps arabes, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ne s’attaque qu’aux intérêts et aux citoyens algériens et sahraouis.

En visant essentiellement les intérêts de l’Algérie et des Sahraouis, ce groupe semble vouloir stigmatiser les relations algéro-marocaines. Tout comme Aqmi, il est impliqué dans le trafic de drogue, avec la charia comme fonds de commerce.

Sa création semble s’inscrire dans un scénario identique à celui qui a précipité l’ex-URSS dans le piège afghan pour l’affaiblir, scénario qui a causé la chute du communisme et détruit l’Afghanistan et son voisin pakistanais.

Un bourbier pour l’armée nationale, telle semble être la vraie crainte d’Alger car ce ne sont pas les terroristes qui font peur mais ceux qui les arment et les soutiennent. Aujourd’hui, plusieurs pays occidentaux utilisent le terrorisme comme instrument de politique étrangère.

A. E. T