Quinze mois après l’intervention militaire Serval, le nord du Mali reste une zone hors de contrôle. En dépit d’accords préliminaires signés en juin 2013, les négociations entre Bamako et mouvements rebelles, touareg et arabe, sont au point mort. Et la multiplication des médiateurs complique encore la donne.
Quinze mois après l’intervention militaire Serval, le nord du mali reste une « zone grise », hors de contrôle.
Aussi bien sur le plan sécuritaire que politique. Au début de l’année 2013, l’armée française, épaulée par des militaires tchadiens, a détruit les principaux sanctuaires djihadistes et forcé leurs combattants à s’égailler dans le désert.
Depuis le début de 2014, une quarantaine d’islamistes armés, dont plusieurs chefs, comme Oumar Ould Hamaha, ont été tués, a déclaré Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense, le 20 mars dernier.
Mais, dans le même temps, de petits groupes, fondus au sein de la population ou cachés dans les massifs montagneux de Tigharghar ou de Timetrine, se réactivent. Affiliés à Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) ou au Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ils font peser une menace, certes « résiduelle », mais bien réelle sur les trois régions du nord du Mali : Gao, Tombouctou et Kidal. « Leurs moyens logistiques ont été démantelés.
Ils ne peuvent plus mener d’actions d’envergure, mais ils guettent la monde occasion pour frapper », analyse Philippe Hugon, spécialiste du Mali et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
La liste des actions terroristes menées ces derniers mois est révélatrice. Le 2 novembre 2013, deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, sont enlevés aux abords de la ville de Kidal, puis assassinés par balles.
Probablement sur ordre d’un djihadiste touareg lié à Aqmi. Depuis, à trois reprises, entre le 14 février et le 7 avril, des roquettes sont tirées sur Gao, Tombouctou et Kidal. Sans toutefois faire de victimes.
A deux reprises, un véhicule circulant dans la région a sauté sur une mine, faisant au total six blessés graves. Et plusieurs enlèvements ont eu lieu, sans que l’on connaisse toujours les responsables ni leurs motivations.
Le contre-terrorisme a ses limites
Les forces françaises mènent périodiquement des raids avec appui aérien (hélicoptères et avions de combat) contre les groupes djihadistes. Mais ces opérations de contre-terrorisme ont leurs limites.
Agissant depuis la base aérienne de Tessalit, ou à partir de Gao et Tombouctou, les militaires présents dans le nord du Mali (ils sont 1600 dans l’ensemble du pays) surveillent de près toute activité suspecte. Mais ils ne peuvent quadriller au sol l’immensité désertique.
Et encore moins exercer un droit de suite vers la frontière algérienne, officiellement fermée depuis l’année dernière… Par ailleurs, ni les forces armées maliennes, encore convalescentes, ni le contingent de la Mission intégrée des nations-Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) _ dont les effectifs stagnent à moins de 6000 casques bleus, sur les 11200 prévus _ ne peuvent remplacer la présence française.
Des négociations mort-nées
Sur le plan politique, les discussions sur le statut et le développement des régions du nord sont enlisés depuis six mois. En signant les accords « préliminaires » de Ouagadougou, en juin 2013, Bamako, d’une part, et les groupes armés touareg et arabe maliens, en rébellion depuis l’année précédente, d’autre part, s’étaient engagés à entamer des négociations. Et cela, 60 jours après l’élection d’un nouveau président de la République.
Autrement dit, le 11 octobre 2013, au plus tard. Ces accords comprennent plusieurs préalables. Tout d’abord, la préservation de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Mali, taillée en pièces par l’occupation du nord du pays par les rebelles touareg, au printemps 2012 _ qui furent rapidement supplantés par Aqmi et ses alliés islamistes.
Ensuite, ces accords prévoient le désarmement des groupes rebelles et leur cantonnement dans des casernes, ainsi que « le déploiement progressif des force de défense et de sécurité maliennes dans la région de Kidal » (article 7).
En contrepartie, Bamako promet d’engager un dialogue sur le statut administratif « des régions du nord du Mali, désignées par certains sous le terme Azawad » (article 12).
Une référence directe à la revendication des rebelles, qui voudraient obtenir une forme d’autonomie sur ce territoire, après avoir renoncé à l’indépendance, que le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) avait proclamé unilatéralement au début d’avril 2012.
Où en est aujourd’hui cette esquisse de dialogue ? Quasiment nulle part. Les combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (touareg), du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (touareg) et du Mouvement arabe de l’Azawad sont toujours armés et nullement cantonnés.
Les soldats français et la Minusma font tampon entre ces groupes et les quelques détachement de l’armée malienne déployés dans la zone, pour éviter toute escarmouche qui remettrait le feu aux poudres. De fait, le Mali n’a toujours pas recouvré sa souveraineté sur Kidal, fief Touareg, et sa région, à l’extrême nord-est du territoire.
« Bamako mise sur l’épuisement des groupes armés »
A quoi tient un tel immobilisme ? Essentiellement au fait qu’aucune des parties ne souhaite céder un pouce de terrain. « L’Etat malien, protégé par la présence française et la Minusma contre la menace djihadiste ou une éventuelle reprise de la rébellion, n’est pas disposé à faire de concessions, explique Mathieu Pellerin, spécialiste du Sahel et directeur de la société Cisca (centre d’intelligence stratégique sur le continent africain). En fait, Bamako mise sur l’épuisement de ces groupes armés qui ne parviennent pas à coordonner leurs revendications. »
De plus, ouvrir de véritables négociations sur un nouveau statut des régions du nord sera immanquablement vécu comme une provcation par la majorité de la population malienne, en particulier au sud du pays. Entré en fonction le 5 avril, le nouveau premier ministre, Moussa Mara, a immédiatement déclaré que « la crise du nord ne peut être résolue dans l’immédiat. »
Les mouvements rebelles touareg et arabe campent sur leurs positions
De leurs côtés, les mouvements Touareg ne sont pas plus pressés d’entamer de véritables discussions, qui pourraient affaiblir leurs positions sur le terrain. Chassé des villes du nord en 2012, par les groupes djihadistes, le MNLA a été remis en selle l’année dernière par l’opération Serval.
Ses combattants ont servi de guides aux troupes françaises lors des opérations de « nettoyage » des repaires d’Aqmi et durant les recherches destinées à retrouver les otages français. De son côté, le HCUA _ qui a recyclé d’anciens membres d’Ansar ed-Dine, mouvement touareg salafiste un temps allié d’Aqmi _ tente de se refaire une respectabilité.
Du moins en apparence : deux de ses leaders, Mohamed ag Intalla (fils du chef traditionnel des Touareg de la région de Kidal) et Ahmada ag Bibi, ont d’ailleurs été élus députés en décembre dernier, sous la bannière du Rassemblement pour le Mali (RPM), le parti du président Ibrahim Boubacar Keïta… Sans que cela ne fasse pour autant rentrer dans le rang les clans touareg affiliés au HCUA.
De fait, MNLA et HCUA n’ont pas l’intention de rendre les armes avant d’avoir obtenu des avancées sur le statut du nord. En attendant, ils s’accrochent à leur bastion de Kidal, sachant qu’aucun accord global ne pourra être signé sans eux.
Le ballet des médiateurs
Cette situation complexe est rendue encore plus inextricable par le rôle, parfois trouble, joué par les puissances régionales et internationales. Le Sahara _ bien que gangrené par les trafics en tout genre et la menace djihadiste _ est une zone stratégique majeure, riche en matières premières. Les groupes armés locaux obtiennent facilement le soutien d’états riverains ou plus lointains. Mais la tentation est grande pour ces derniers de les manipuler comme des pions susceptibles de servir leurs intérêts.
Le MNLA, en perte de vitesse auprès des Français, traditionnellement plutôt « touaregophiles », cherche désormais à « internationaliser » davantage la question du nord malien. Une délégation a été reçue à Moscou, le 17 mars dernier, par le vice-ministre russe des Affaires étrangères.
Le Mali a aussitôt répliqué en convoquant l’ambassadeur de Russie à Bamako. Quelques jours plus tard, des représentants du MNLA, HCUA et MAA, se sont réunis à Rome, pour tenter d’établir une plate-forme de revendications communes.
Cela sous les auspices de la communauté catholique Sant’ Egidio _ les « casques blancs » du Pape _ connus pour leur rôle de médiateur dans plusieurs conflits, notamment sur le continent africain. A cette occasion, les autorités italiennes ont également été approchées par les trois mouvements dissidents du nord du Mali.
Auparavant, le 31 janvier, Bilal ag Acherif, secrétaire général du MNLA, a été reçu par le roi du Maroc, Mohamed VI. Ce dernier s’est rendu dans la foulée, le 18 mars, en visite officielle au Mali, pour souligner que le royaume cherifien entend bien jouer le « monsieur bons offices » dans la crise.
Du coup, c’est l’Algérie, la grande puissance régionale, qui se braque. « Le conflit au nord du Mali exacerbe la rivalité entre le Maroc et l’Algérie sur la question du Sahara et leurs zones d’ influence respectives », résume Philippe Hugon.
L’Algérie veut garder la main
Coïncidence ? Le 18 mars, un nouveau mouvement dissident, la Coalition du peuple pour l’Azawad (CPA), annonce sa création, en plein désert, à Hassi labyad, à 350 kilomètres au nord-ouest de Tombouctou.
Son fondateur, Ibrahim ag Mohamed Assaleh, est un ancien cadre du MNLA chargé des relations extérieurs. Joint par téléphone, ce dernier explique « vouloir débloquer le processus de négociations avec Bamako sur la base des accords de Ouagadougou. » A l’origine, la naissance du CPA devrait être annoncée depuis… Alger. Mais la ficelle était un peu grosse.
Surtout, cela aurait rappelé un « étrange » précédent. En 2012, quelques mois après la constitution du MNLA (indépendantiste), un autre groupe rebelle touareg, d’obédience salafiste, avait vu le jour : Ansar ed-Dine. Certains observateurs y avaient vu la main de l’Algérie, soucieuse de préserver son influence dans le grand nord malien, qu’elle considère comme son « arrière-cour ». Ansar ed-Dine avait aggravé la crise au nord, jouant tout à la fois de son origine touareg et de sa porosité avec les djihadistes d’Aqmi.
La Coalition pour le peuple de l’Azawad, qui veut attirer à lui les combattants des autres mouvements, serait-il un nouvel avatar de ce genre ? « C’est une évidence, affirme une source touareg au Niger.
Alger ne tolère pas qu’une mouvance touareg indépendante puisse exister dans sa zone d’influence. Cela créerait un précédent, un élan pour les autres populations berbères d’Algérie… »
Des communautés épuisées
Tandis que le MNLA refuse de participer aux réunions préparatoires aux négociations à Bamako, une importante réunion de concertation s’est déroulée à Niamey (Niger), du 17 au 19 mars derniers.
Des représentants de toutes les communautés du nord du Mali (Peuls, Songhoïs, Arabes, Touareg, …) se sont rassemblés, pour esquisser un dialogue, en présence du ministre malien de la réconciliation nationale.
Un premier pas dans le sens d’un apaisement entre les communautés, épuisées par les conséquences de deux années de crise. Occupation djihadiste, problème des réfugiés, vengeances interethniques : les principales victimes de ce lancinant « problème du nord » restent les populations civiles.