La situation est grave. Le front du refus contre le quatrième mandat s’élargit au fur et à mesure que la date du scrutin présidentiel s’approche. Une seule apparition publique du Président-candidat, le montrant dans une forme physique qui l’habiliterait à diriger le pays pendant cinq autres années, suffira à baisser d’un cran la tension. Jusqu’alors, rien ne confirme encore les dires de ses proches et de ses soutiens, qui affirment que le président Bouteflika est complètement remis de son AVC.
Encore une fois, il s’est adressé, hier, aux électeurs, par le biais d’un communiqué laconique lu, en son nom, par le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Louh, au cérémonial du 50e anniversaire de l’installation de la Cour suprême. Sans aborder franchement la cacophonie qui entoure la présidentielle, l’écrit qu’on attribue au chef de l’État appelle “tous les citoyens à participer massivement à ce rendez-vous (élection présidentielle du 17 avril 2014, ndlr) et à s’exprimer pour choisir la personne qu’ils jugent la plus apte à diriger le pays lors de la prochaine
étape (…). Le peuple algérien donnera, comme de coutume, une leçon de citoyenneté à ceux qui veulent nuire à notre chère patrie et fera taire tous ceux qui doutent de sa maturité politique et de sa capacité à préserver ses acquis, sa sécurité et sa stabilité”. Ainsi, l’épouvantail de l’instabilité politique et sécuritaire est brandi pour mettre en garde contre les velléités de contrecarrer, par la résistance ou l’offensive, le projet d’une nouvelle mandature au profit d’Abdelaziz Bouteflika. Tout semble être mis en œuvre pour étouffer les voix discordantes, mais surtout pour éviter le scénario d’un taux d’abstention trop élevé. Au-delà du degré de nuisance de l’opposition, c’est le spectre des bureaux de vote vides qui semble hanter les partisans d’un nouveau quinquennat à l’actif de l’actuel locataire du palais d’El-Mouradia. Dès lors, d’innombrables partis politiques dont ceux majoritaires au Parlement, le gouvernement, les médias lourds… font carrément de la propagande à la gloire du Président-candidat, en violation des règles élémentaires de la neutralité et impartialité imposées aux institutions de l’État et aux organes assujettis au service public lors du processus électoral. Même la commission nationale de préparation des élections a pris cause et fait, sans aucune forme d’éthique, pour le quatrième mandat.
En témoigne la promptitude du Premier ministre, qui en est le président, à déclarer la candidature de Bouteflika en marge d’une rencontre internationale à Oran. Ce n’est certainement pas le communiqué présidentiel qui affirme que la Commission nationale de supervision des élections, formée par des magistrats, a été instituée, de même que celle composée par les représentants de candidats qui visaient “à conférer davantage de crédibilité aux différentes opérations électorales”, qui rassure les électeurs sur la réelle compétence des deux instances à assumer les missions pour lesquelles elles ont été créées. Il n’en demeure pas moins que c’est à l’épreuve du terrain que se profileront nettement toutes les incongruités de la démarche présidentielle. Les écueils du dépôt du dossier de candidature au Conseil constitutionnel (dernier délai fixé au 4 mars) et de l’animation de la campagne électorale peuvent être contournés par le recours à divers artifices juridiques. Il n’en demeure pas moins qu’il sera très difficile, si le président Bouteflika est réélu — et il le sera certainement si l’on poursuit la cadence du forcing — de faire l’impasse sur la cérémonie d’investiture et de prestation de serment sans entamer sérieusement la légitimité du quatrième mandat. Élire le premier magistrat du pays et chef de l’État par procuration est déjà un scandale. Administrer les affaires du pays par un chef d’État qui, comme l’arlésienne, on en entend parler mais on ne le voit pas, c’est prendre le risque de plonger l’Algérie dans une crise politique profonde.

S. H