L’Hôtel de ville, ancien château comtal de la fin du Moyen-Age où est née une certaine Marguerite de Valois, sœur du roi François 1er, natif, lui de Cognac à 40 kilomètres à l’ouest, s’est paré des panneaux électoraux à son entrée, mais, un peu plus loin, le spectacle est saisissant. Des bougies, des fleurs, des dessins ornent cette partie de la mairie qui attire quelques curieux. Beaucoup moins nombreux cependant qu’au lendemain des attentats. Certains n’hésitent cependant pas à se recueillir tous les jours devant ce qui peut être considéré comme un mémorial local en hommage aux victimes.
Sanglots
«Même si ça s’est passé à 500 kilomètres d’ici, c’est toute la France qui a été touchée», explique un passant d’une cinquantaine d’années qui, chaque jour, allume une bougie. «Je me sens meurtri, presque assassiné. Je ne comprends pas qu’on puisse s’en prendre à des femmes, à des hommes, simplement parce qu’ils prenaient un verre en terrasse ou assistaient à un concert au Bataclan. Je sais bien que les chances que Daech commette un carnage ici à Angoulême sont minimes, mais il va tout de même falloir se tenir sur ses gardes».
Pour cette femme, la trentaine, c’est toute sa génération qui a été touchée. «J’aurais très bien pu figurer parmi les victimes, raconte-t-elle entre deux sanglots, un mouchoir en papier dans la main droite. Chaque fois que je vois ces bougies et ces bouquets, j’ai un pincement au cœur, et je pense aux jours à venir qui peuvent être sombres pour tout le monde». Du reste, si Angoulême n’a pas connu d’attentat, une alerte a eu lieu une semaine après les attaques.
Une alerte au colis suspect dans les jardins mêmes de l’Hôtel de ville qui a entraîné une mobilisation des forces de l’ordre et d’une équipe de démineurs, venus du département voisin, la Charente-Maritime. La circulation a même été bloquée, entraînant des désagréments pour tous les usagers. Mais il s’agissait- là d’une fausse alerte, alors que les mesures relatives à l’application de l’état d’urgence se mettaient en place.
Alerte maximum
«Des fausses alertes comme celle-ci, il va y en avoir d’autres, prévient un chauffeur de bus de la Société de Transport du Grand Angoulême (STGA, équivalent local de l’Etusa). Ce n’est pas la dernière fois qu’on risque de trouver des colis suspects ou même qu’il y ait des plaisantins qui appellent la police pour leur signaler une alerte à la bombe». La population est donc sur une sorte de qui-vive qui ne dit pas encore son nom. Dans les magasins, supermarchés, hypermarchés et centres commerciaux, le plan Vigipirate a été renforcé à son niveau maximum. Dans de nombreuses boutiques, les fouilles sont de mise, même si des rumeurs fantaisistes circulent çà et là comme le cas d’une femme intégralement voilée qui aurait refusé d’être fouillée dans l’hypermarché Auchan La Couronne, et donc, interdite d’accès.
Après vérification, nous avons pu constater que cette information était fausse. Au centre commercial du Champ-de-Mars, au centre-ville d’Angoulême, les agents de sécurité et les forces de l’ordre circulent dans les allées. «Pour le bien-être des clients, surtout avec l’approche des fêtes», nous fait-on remarquer sur place. Les militaires sont invisibles. Selon une source bien informée, ils sont bien là, en civil pour certains, mais «la situation n’est pas aussi explosive ici à Angoulême qu’à Paris».
Barrières de sécurité
Quid des lieux de culte, et en particulier les lieux de culte musulman ? Au premier abord, la cathédrale Saint-Pierre où une messe s’était tenue le 16 novembre dernier en hommage aux victimes ne présente aucune force de l’ordre présente pour surveiller les lieux. Même chose pour les deux mosquées de l’agglomération, celle de Basseau, un quartier situé à l’ouest d’Angoulême, et celle de Soyaux, commune limitrophe d’Angoulême mais relevant de son agglomération, située dans le quartier du Champ de Manœuvre.
La première mosquée, de loin la plus grande, est située dans une ancienne école maternelle qui a été rachetée par les fidèles afin d’effectuer les aménagements nécessaires à l’intérieur. L’ancienne mosquée, située non loin de là, était en effet devenue trop exiguë pour accueillir tout le monde, et le concierge de l’époque, El Hadj Salah Karki, décédé en 2005, dont nombre de musulmans charentais ne cessent d’évoquer à ce jour la mémoire, avait alerté les autorités locales tout comme la Grande Mosquée de Paris.
C’est également grâce à El Hadj Salah Karki que la mosquée d’Angoulême avait pu, dès 1991, disposer d’un imam à plein temps, chose que l’immense majorité des musulmans rencontrés sur place n’ont jamais oubliée. Pas d’agent de sécurité ni de policier pour surveiller les lieux. Juste quelques barrières de sécurité. Nous avons tenté de rencontrer le président du Conseil Régional du Culte Musulman afin de l’interviewer. Visiblement, ni lui ni d’ailleurs le vice-président n’ont semblé intéressés par notre demande d’entretien alors qu’ils sont omniprésents dans les médias locaux tant écrits que télévisuels.
Voix dissonantes
Le président de l’Association des Musulmans de Charente, El Hadj El Mami, de la mosquée de Soyaux, s’est, lui, montré beaucoup plus accueillant et coopérant (cf. interview ci-contre). «Nous nous sentons en sécurité», explique un fidèle de la mosquée de Basseau. «Mais nous sommes inquiets quant à la tournure que pourraient prendre les événements par la suite. Nous avons peur de la stigmatisation, même si pour le moment, beaucoup de non-musulmans nous ont assuré de leur soutien. Certes, nous ne sommes pas dans la même configuration que les attentats de «Charlie Hebdo», puisque des musulmans ont été tués, mais nous avons cette petite peur.
Et les souvenirs de la mosquée de Cognac qui a été vandalisée cette année sont encore vivaces». L’onde de choc des attentats a donc atteint la communauté musulmane de la capitale historique de l’Angoumois, même si, de ci, de là, quelques voix dissonantes circulent dans le quartier de Basseau. Ce dernier, en pleine opération de renouvellement urbain (ORU), est en pleine transformation. De nombreux immeubles ont été détruits et de nouveaux, moins hauts et plus écologiques, devraient, dans les prochaines années, être construits. La place du marché est quasiment déserte. Il y a des années, elle était le centre névralgique du quartier. Un marché bihebdomadaire se tenait le mardi et le vendredi, et la boulangerie, la boucherie Chérif père et fils, et l’épicerie de M. Amraoui ne désemplissaient pas.
Le chômage, le carburant de la radicalisation
En cette fin d’année 2015, la boulangerie n’existe plus, l’épicerie a fermé. Ne subsiste plus que la boucherie qui tient encore le coup. Alain Chérif, le boucher, originaire d’Alger, a lui aussi été marqué par les attaques (cf. encadré Des Charentais musulmans s’expriment). Des clients aussi, telle cette femme voilée, la cinquantaine,mère de famille originaire, elle, de Sidi Bel Abbès, qui ne comprend pas «pourquoi de tels actes sont commis au nom de l’islam qui est une religion de paix et de tolérance. On ne peut pas cautionner de tels actes», ajoute-t-elle, à la fois émue et en colère.
Les responsables se trouvent à la fois chez nos gouvernants mais aussi à travers internet qui égare de nombreux jeunes de chez nous. Le chômage ambiant est aussi une cause de cette radicalisation chez certains.
Il existe à Angoulême des musulmans que l’on pourrait qualifier effectivement de «radicalisés». Jeunes pour la plupart, ils font partie de la mouvance salafiste et n’hésitent pas, pour certains d’entre eux, à faire du porte-à-porte auprès de leurs coreligionnaires pour les inciter à accomplir les cinq prières quotidiennes, première étape d’un aller sans retour… L’un d’eux, rencontré non loin de la mosquée, nous interpelle : «Nous ne sommes pas responsables de ce qui s’est passé à Paris» avance-t-il. «Je n’ai rien à voir avec ces gens-là. On nous fait croire que ce sont des musulmans, mais ce ne sont pas des musulmans. Ce sont les juifs qui sont derrière tout ça».
Chah fihoum !
Théorie du complot ? Notre interlocuteur n’a pas souhaité répondre. D’autant que les portes de la mosquée d’Angoulême restent désespérément fermées à un journaliste algérien, au grand dam de nombreux fidèles. Direction Soyaux où, comme nous l’avons signalé plus haut, l’accueil a été tout autre, en particulier de la part de El Hadj El Mami, mais aussi d’autres fidèles, comme El Hadj Ghachou, membre actif de l’Association des Musulmans de la Charente, qui fait remarquer que «la douleur des attentats est partagée autant par les non-musulmans que par les musulmans de la Charente». Le bâtiment qui fait office de mosquée est situé dans l’ancien centre commercial du Champ de Manœuvre. Entièrement racheté par l’association par le biais de dons des fidèles, l’édifice est nettement plus grand et plus spacieux que l’ancienne mosquée du quartier. «L’islam, ce n’est pas les kamikazes», rappelle un jeune fidèle d’origine marocaine.
«L’islam, ce n’est pas le fait de tuer quiconque n’est pas musulman. D’autant que dans cette tuerie du 13 novembre, des musulmans sont morts aussi. N’oublions pas que l’Algérie a été le premier pays à être victime du terrorisme dit ‘’islamiste’’. Elle en a payé le prix lourd, et la France devrait s’en inspirer un peu’. Du côté du nouveau centre commercial, où l’on trouve une pharmacie, un café-kébab, une boucherie, une boulangerie et un bureau de poste, ce discours revient comme un leitmotiv, même si, là aussi, de rares voix, comme celle de ce garçon à peine âgé de 14 ans, semble cautionner ces actes. «Chah fihoum ! a-t-il lancé. C’est tout ce qu’ils méritent. Ils bombardent la Syrie et après, ils sont surpris des représailles. La France n’a rien à faire en Syrie. La France devrait plutôt régler les problèmes liés au chômage». 14 ans, et déjà inquiet de son propre avenir, même si le raisonnement peut prêter à confusion.
Repli
Du côté du Centre Social Culturel et Sportif Flep (Foyer Laïc Education Permanente), les jeunes qui fréquentent les lieux condamnent unanimement les attentats. «Je ne me sens pas représenté par Abdelhamid Abaaoud ou bien par Salah Abdeslam», affirme l’un d’eux. Avant d’ajouter : «Pas plus que je ne me sens représenté par les responsables du Conseil Français du Culte Musulman qui mêlent politique et religion, parce qu’ils sont également élus à la mairie d’Angoulême ! Si au moins ils avaient un niveau…» La peur d’un repli peut cependant être là, comme le pense Imane Nouali, responsable au pôle insertion culture et jeunesse au sein du FLEP de Soyaux. «La pression sociale, familiale, l’ennui, le repli communautaire peuvent nous tuer», a-t-elle averti.
Dans tous les quartiers de l’agglomération angoumoisine, la bonne nouvelle reste la défaite du Front National aux dernières élections régionales qui ont vu la victoire de la liste conduite par Alain Rousset du Parti Socialiste, dont la tête de liste en Charente était Jean-François Dauré (cf. interview). «Avec ces attentats, nous avons cru à une vague bleue marine (couleur symbolique du FN), nous dit une électrice musulmane d’origine algérienne qui a voté aux deux tours du scrutin. «Au final, je me sens rassurée, car, même si j’ai voté pour le PS, je constate que ceux qui ont voté pour la droite ne font pas exagérément d’amalgame en ce qui concerne les musulmans.
Il faudra cependant continuer à rester vigilants, ici même en Charente, parce que les fous de Daech sont capables de commettre un carnage à l’extérieur de Paris. J’espère néanmoins que les Français, tous les Français, sans distinction de religion, sauront faire face au terrorisme, comme les Algériens qui, à l’époque, étaient bien seuls».