Après que l’Algérie est devenue un pays sans usines, c’est aujourd’hui un pays déserté par les touristes. Pourquoi ? Une tentative d’explication par deux grands experts nationaux.
“Peut-on considérer le tourisme en Algérie comme l’une des alternatives face à la chute des cours du pétrole ?” La réponse est, d’emblée, “négative dans l’immédiat” pour les deux éminents spécialistes de ce secteur, invités hier au Forum de Liberté, en l’occurrence Athmane Sahnoune et Saïd Boukhelifa. Pour M. Sahnoune, membre du Cnes et ancien directeur général de l’Office national du tourisme (ONT), le premier à prendre la parole, la question n’est pas nouvelle. Jugeons-en. “À chaque situation de crise, on pense soudainement au tourisme et à l’agriculture.
Mais dès que la situation s’améliore quelque peu, on revient très vite aux mauvaises habitudes. Cette fois, on a parlé de tourisme bien avant la crise…”. Doit-on parler, pour autant, de “prise de conscience” ? Pour M. Sahnoune, “la vraie question” qui se pose, c’est, d’abord, que faut-il faire pour que le tourisme algérien puisse contribuer à l’essor économique du pays ? Quels sont les leviers ? Et quelles sont les exigences ? En déclinant ce chapitre se rapportant aux conditions minimales pour une véritable relance du tourisme en Algérie, l’ancien DG de l’EGT Sidi-Fredj a tracé, somme toute, le long chemin qui nous reste à parcourir. En effet, le tourisme ne peut être envisagé sans “une sécurité absolue”, sans “une hygiène irréprochable” sans “être nourri correctement”, sans bénéficier de “la qualité de service” et sans disposer d’un certain “degré de liberté”.
Pour cet expert, quelle que soit la capacité d’accueil à offrir en matière d’hébergement, ces besoins doivent être impérativement satisfaits car, selon lui, ils sont “fondamentaux”. Face à l’ampleur de la tâche, il est clair qu’un seul secteur de l’État, en l’occurrence le ministère en charge du Tourisme ne peut, à lui seul, garantir la satisfaction de tous ces besoins. D’où “l’absolue nécessité d’une vision transversale” qui doit impliquer, selon lui, la plupart des autres secteurs. “Nous savons ce qu’il faut faire, nous ne sommes pas aussi idiots que ça ! Nous savons surtout ce qu’il ne faut pas faire”, martèle M. Sahnoune, rappelant que l’Algérie a accumulé, à cet effet, une succession d’échecs et d’erreurs. C’est pour cela qu’il pose un postulat de base, une autre évidence à ses yeux.
“Il n’y a pas de secret : tous les pays qui ont réussi à avoir un secteur touristique performant ont bénéficié de ressources excédentaires par rapport aux besoins de leur population, notamment en matière de disponibilité de produits alimentaires, principalement agricoles, une variété et une densité de l’infrastructure de transport et de l’offre d’hébergement. À cela s’ajoutent naturellement, les traditions d’accueil d’étrangers et de visiteurs en général…”. Sur ce plan, l’Algérie est aujourd’hui de plus en plus mal lotie, reflétant une image négative qui accentue davantage son isolement international. “Les principaux reproches faits à l’Algérie relèvent de la culture de l’accueil caractérisée chez nous par un manque de courtoisie et une absence d’hygiène rédhibitoire pour toute action en faveur du tourisme.” Pour M. Boukhelifa, le tourisme commence d’abord au consulat d’Algérie à l’étranger. Sur ce point, il fera une révélation très grave. “On veut dissuader les quelques touristes qui veulent encore s’aventurer à venir chez nous par affinité ou autres. Nous avons reçu du courrier au ministère où il était nettement indiqué que les employés de consulats algériens proposaient d’autres destinations”.
Ainsi, à l’heure même où les autorités continuent à pérorer quant au retour de notre pays dans le concert des nations, nos comptes extérieurs ne traduisent pas, eux, vraiment cette “résurgence” tant clamée. “On pourrait croire que le tourisme d’affaires ne s’est jamais mieux porté dans notre pays à l’annonce des bilans positifs des grands hôtels algérois. Mais ce n’est qu’un leurre…”. Pour Saïd Boukhelifa, ancien conseiller au ministère du Tourisme et de l’Artisanat, la plupart des hommes d’affaires qui frayent avec Algérie sont essentiellement des “vendeurs”.
Par conséquent, tous les frais de leurs séjours sont répercutés, in fine, dans le coût final des produits ou des services qu’ils proposent en Algérie. De ce point de vue, la balance des paiements n’y gagne rien… Au contraire, le tourisme d’affaires ne consiste plus qu’à gonfler alors la facture d’importation.