Réalisation de routes, équipement et entretien des écoles et des établissements de santé : ce sont quelques domaines où la coordination citoyenne d’Ath Kouffi s’implique pour pallier le délaissement dont souffre la région.
Il
fait beau en ce début de l’hiver. Le Djurdjura porte déjà un beau manteau blanc. Les villages accrochés à ce majestueux massif montagneux, eux aussi, ont été surpris par cette neige arrivée plus tôt que prévu. Pour arriver jusqu’à l’aârch N’Ath Kouffi, il faut emprunter un long chemin escarpé, à flanc de montagne, d’une dizaine de kilomètres. Notre véhicule peine à avancer en dépit de l’élargissement de la route réalisé de fraîche date. Il y a quelques mois à peine, cet axe routier qui relie toute une grappe de villages au chef-lieu communal, Boghni, n’avait que trois mètres de largeur tout au plus, et était entièrement dégradé, à tel point qu’il rendait le déplacement périlleux et la vie dure pour les milliers de paisibles montagnards de cette région nichée dans ces fins fonds du Djurdjura. Surpris par l’état de cette route non bitumée, nous allons quand même à la recherche de Rachid Mammeri, président de la coordination d’Ath Kouffi, pour nous renseigner sur ce projet qu’on croyait abandonné par les pouvoirs publics. “Notre douar se compose de 12 villages, en plus de Mahvane et d’Ighzer N’chevel. Au total, ce sont environ 8 000 habitants qui y vivent en dépit des conditions difficiles d’accès, notamment en ce qui concerne cette route que vous venez d’évoquer”, commencera par nous dire notre interlocuteur. Ath Kouffi est l’un de ces douars qui ont tant donné pour l’indépendance du pays. “Dites-vous bien que pas moins de 375 enfants valeureux de notre douar sont tombés au champ d’honneur. Entre 1957 et 1962, tout le douar avait été vidé de ses habitants après les représailles de l’armée coloniale. Les gens d’Ath Kouffi ont été déplacés de force vers d’autres villages. À l’indépendance, il n’y avait que des enfants et des vieillards qui sont restés au bled, si bien que notre région fut abandonnée à son sort avec tous les manques que vous savez. Même pour avoir de l’électricité, en 1984, il a fallu que nous fermions la station hydroélectrique sise en contrebas des villages en guise de contestation populaire. Pour les autres structures, rien n’est venu nous soulager. Tout est vétuste”, explique notre interlocuteur. En revanche, à notre question sur l’état lamentable de la route, il nous répondra : “Tout ce que vous avez vu a été réalisé grâce à la solidarité villageoise.” Ce tamen (délégué) reviendra sur la genèse de cette opération : “Au départ, l’APC a pris en charge uniquement une tranche d’un kilomètre sur son PCD. D’ailleurs, cela nous a causé de nombreux désagréments en novembre 2016 car il a fallu dévier la circulation du côté d’Ath Mendès. Mais peu de temps après, nous avons constaté que le problème d’accès vers tout le douar se posait toujours avec acuité. La coordination a alors décidé de prendre le taureau par les cornes. Je vous confierais que nous avons commencé cet énorme projet avec seulement 20 000 DA. L’APC a mis à notre disposition deux engins durant une vingtaine de jours seulement. L’un est tombé en panne et l’autre a quitté les lieux sans que l’on en sache les raisons. C’est à ce moment-là que nous avons compris qu’il fallait compter sur nous-mêmes.” C’est ce qui fait que la coordination villageoise a appelé à des collectes d’argent et a fait appel à la diaspora vivant à l’étranger, originaire de l’aârch, ainsi qu’aux investisseurs établis dans la région. “Nous avons loué deux engins à chenilles et nous avons mené notre action jusqu’au bout. Il fallait voir l’engouement de tous les habitants. Personne n’a émis d’opposition, aussi minime soit-elle. Vraiment, tout le monde était satisfait du travail accompli et il ne restait que le problème du bitumage. Enfin, nous avions une route de 7 mètres de large, et ce, à la faveur d’un exploit purement citoyen”, clamera un autre membre de la coordination.
Le wali s’engage, mais…
Lors de la visite du wali de Tizi Ouzou, Mohamed Bouderbali, l’an dernier à la zaouïa Sidi-Ali-Ouyahia, située sur les hauteurs de Boghni, en compagnie du ministre des Affaires religieuses et des Waqfs, Mohamed Aïssa, la coordination des villages l’a sollicité pour la prise en charge de cet axe routier et il prit la décision sur le champ. La Direction des travaux publics de la wilaya a inscrit le projet en y incluant même des ouvrages d’art. Les habitants de cette contrée étaient aux anges et croyaient que c’était acquis mais ils allaient vite déchanter car Sonelgaz a malheureusement émis une opposition. “Nous sommes confrontés à un grand problème car nous ne sommes pas en mesure de déplacer une conduite de gaz naturel sur une distance de plusieurs kilomètres”, nous dira le brave homme. Il est vrai que lorsque cette conduite avait été réalisée, elle suivait l’accotement d’un chemin de campagne de moins de quatre mètres de largeur. Mais, depuis cet élargissement, elle s’est retrouvée au centre de cette route large de plus de sept mètres, en certains endroits, ce qui est considéré comme un réel danger. “Nous interpellons tous les responsables de la wilaya, notamment le wali et le directeur de l’industrie et des mines pour prendre des mesures urgentes, prendre en charge les travaux de déplacement de la conduite de gaz principale sinon, c’est le retour à la case départ”, lâchera Zoheir Mammeri, en sa qualité de secrétaire général de la dite coordination.
Une région en marge du développement
Si le gaz naturel est arrivé fort heureusement, dans tous les villages du douar à l’exception d’Ijaâlilène où les travaux de raccordement sont à l’arrêt, il n’en est pas de même pour l’école primaire du village qui est entièrement délaissée par les autorités locales. “Quand les carreaux sont cassés, c’est la coordination villageoise qui les répare. Dernièrement, un bienfaiteur a lui-même remplacé l’ancien portail de l’école par un autre, plus solide et, de surcroît, surélevé de hautes grilles”, nous dira-t-il à propos de cet établissement scolaire qui a vu défiler plusieurs générations d’élèves dont certains sont aujourd’hui de hauts cadres de l’État. En ce qui concerne l’eau potable, même si cette contrée lointaine est desservie à partir du barrage de Koudiet Acerdoune, dans la wilaya de Bouira, l’eau n’arrive dans les robinets que sporadiquement. “En principe, nous ne devrions pas manquer d’eau parce que nous sommes au pied du Djurdjura et nous avons des sources dont le débit est très important et il faut que la Direction de l’hydraulique les prenne en charge comme il se doit. Par ailleurs, tout le réseau de distribution d’eau potable devrait être refait de fond en comble”, estime l’un de nos interlocuteurs. Par ailleurs, c’est grâce aux efforts soutenus de la coordination que la salle de soins a repris du service. “Après le départ des membres du personnel à la retraite, il a fallu que nous fassions des démarches pour les remplacer. En plus de cela, c’est la coordination qui a installé un fauteuil dentaire et nous avons doté le local d’un climatiseur et réalisé une installation d’eau, neuve, et installé aussi une citerne”, nous confiera-t-il.
Les jeunes du douar livrés à eux-mêmes
Dans ce douar où les jeunes constituent la majorité de la population, les infrastructures juvéniles font défaut : ni aire de jeux, ni salle de sport, ni foyer pour jeunes. Quant à la bibliothèque rurale de lecture publique, c’est un rêve utopique que caressent les collégiens, les lycéens et les étudiants d’Ath Kouffi. D’ailleurs, notre guide n’a pas omis d’interpeller les autorités locales et les inviter à regarder un peu plus du côté de ce versant isolé de la wilaya. Devant tant de manques, les jeunes n’ont que les cafés maures pour tuer le temps et passer de longues journées à jouer aux dominos ou à regarder les matches de football diffusés sur les chaînes satellitaires s’ils ne versent pas parfois dans des vices aussi dévastateurs les uns que les autres, tels que la drogue ou l’alcool.
L’agriculture de montagne en quête de valorisation
“Nous avons de vastes oliveraies mais, chaque année, elles sont malheureusement dévastées par les incendies et les récoltes ont sensiblement diminué durant ces dernières années”, fera remarquer le premier responsable de la coordination. “Nous espérons que la Direction des services agricoles et les services des forêts multiplient les pistes agricoles dans cette contrée montagneuse pour éviter des désastres. Notre versant est délimité par deux grandes rivières et pour pouvoir regagner nos champs, il faut les traverser, ce qui n’est pas évident quand elles sont en crue. C’est pourquoi notre coordination demande des dalots ou carrément des ponts afin d’assurer la sécurité des citoyens pendant la saison oléicole”, conclut Rachid Mammeri. Avant de regagner la ville de Boghni, nous avons appris que le wali a finalement mis en service le réseau de gaz naturel au village reculé d’Ath Ali après avoir effectué une visite d’inspection à la station climatique de Tala Guilef pour lancer un grand projet de restauration du complexe touristique El-Arz laissé à l’abandon depuis plus de deux décennies après qu’il eut été incendié à deux reprises par des groupes terroristes au milieu des années 90. C’est dire que la population locale garde, tout de même, l’espoir de voir tous ces problèmes socioculturels pris en charge avec l’arrivée du nouvel exécutif communal issu des élections locales de novembre dernier pour la sortir définitivement de son désenclavement et caresser le fol espoir de voir enfin le secteur du tourisme valorisé dans toute cette belle région de haute montagne.