Assemblée nationale,Les commissions sous le joug de l’administration centrale

Assemblée nationale,Les commissions sous le joug de l’administration centrale

La mainmise de l’Exécutif sur l’Assemblée nationale ne se limite pas au vote programmé des projets de loi, mais se prolonge jusqu’à atteindre le travail des commissions permanentes. Les directeurs centraux des ministères assistent aux délibérés et interviennent dans les discussions, mettant ainsi les parlementaires sous une influence permanente.

“Ce n’est pas normal, proteste le militant des droits de l’Homme et député FFS, Mustapha Bouchachi. Déjà que l’institution n’a pas énormément de prérogatives. 90 à 95% des projets de loi nous parviennent de l’Exécutif. Qu’ils assistent à la limite sans prendre la parole, mais qu’ils n’interviennent pas. Je ne comprends pas pourquoi les députés ne réagissent pas.” Il ajoute : “Ces directeurs centraux des ministères assistent aux travaux de délibérations en violation de la loi, depuis quinze ans. C’est là, l’illustration de l’une des formes de soumission du pouvoir législatif devant l’Exécutif.” Mustapha Bouchachi, membre de la commission juridique, finit par claquer la porte. Il demande au chef de son groupe parlementaire de saisir le président de l’Assemblée, lui rappelant qu’il n’existe pas dans la loi organique, ni dans le règlement intérieur de l’Assemblée un article qui permette aux représentants des ministères de participer au travail des commissions. Ould Khalifa fait la sourde oreille. “Cela fait presque deux mois. Jusqu’à ce jour, je n’ai pas reçu de réponse.”

Au nombre de douze, les commissions permanentes répondent au besoin d’étudier en formation réduite les textes avant la séance publique. Elles sont composées de membres désignés à la proportionnelle des groupes parlementaires, un parlementaire ne pouvant appartenir qu’à une seule commission. Elles sont chacune compétentes dans un domaine précisément défini. La commission désigne un rapporteur, effectue des auditions du ministre du secteur ou des experts et adopte un rapport et des amendements (modifications). Le document est censé être confidentiel.

Ali Brahimi a fait un mandat de député durant la législature 2007-2012. Il raconte ses déboires. “Il m’était arrivé, en automne 2010, d’avoir gagné le consentement de l’écrasante majorité des membres de la commission des finances pour imposer un alignement du minimum de la pension de retraite sur le SNMG. Le ministre des Finances, qui voulait prendre la parole une seconde fois contre l’argumentaire chiffré et implacable, se la verra refuser par des collègues membres de la commission pour délit de “tentative d’influence” des députés.” Mais la délibération finale aura lieu un autre jour, à minuit, sans quorum, contre son amendement. “Le même amendement recueillera la majorité en plénière, mais le président de l’APN conclura officiellement que l’Assemblée l’a rejeté, tout cela pour éviter qu’une telle mesure n’émane des députés censés, dans l’imagerie, officiellement imposée par la gouvernance Bouteflika-Ouyahia-Belkhadem, être toujours des béni-oui-oui opposés à leur peuple. Pourtant l’Exécutif révisera les pensions justes après.”

Les ministres, accompagnés de leurs proches collaborateurs, se rapprochent des commissions pour présenter un projet de loi et expliciter certaines questions évoquées dans le texte. La présence des directeurs centraux des ministères, pour la suite des travaux, n’est pas opportune. “La loi ne permet pas ce genre de présence”, dénonce Mustapha Bouchachi. Que stipulent justement les textes de loi ? L’article 27 alinéas 1 et 3 de la loi organique 99-02 permet, en effet, aux membres du gouvernement d’“assister aux travaux des commissions permanentes” sur leur demande ou lorsqu’ils sont requis par les responsables d’une commission. “Notez que la loi n’utilise pas le terme ‘délibération’ au sujet des commissions. Le règlement intérieur n’est pas revenu sur cette question et ne l’a pas plus détaillée. Il serait judicieux de le modifier pour faire délibérer à huis clos les commissions”, fait remarquer Ali Brahimi. Ce “délit d’influence” et cette “intrusion” sont donc rendus possibles grâce à de textes de loi vagues, mais aussi à cause de la frilosité et la complicité de la majorité des députés. Ce manque de réaction d’une Assemblée élue par la fraude a ouvert la porte à tous les dérives. Même quand un parlementaire réussit à faire passer une mesure en dépit de l’opposition du gouvernement, celui-ci peut illégalement refuser de l’appliquer. Ali Brahimi témoigne : “Un député a fait voter dans une loi de finances un seuil de 1% d’intérêt aux crédits consentis dans le cadre de l’Ansej. La mesure n’a pas été appliquée mais l’année suivante, l’Exécutif l’a ramenée dans la nouvelle loi de finances et s’en est targué comme d’un cadeau de Fakhamatouhou’. Un député du pouvoir a pu faire passer le rétablissement des licences d’importation de véhicules au profit des veuves et enfants de chahid, le gouvernement Ouyahia et son suivant refusent toujours d’appliquer cette mesure de la loi des finances 2012. La violation des lois est une constante de l’absence d’État de droit.” L’autorité du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, largement exercée lorsqu’il s’agit des questions sociales, s’accentue davantage pour les thématiques politiques. Sur ce terrain-là, peu de parlementaires s’aventurent à s’opposer aux représentants de l’Exécutif, ni dans les commissions ni dans les plénières. “Il en a été ainsi pour l’article 8 du code de procédure civile et administrative voté, malgré mes amendements, en violation de l’article 3 bis de la Constitution dès lors qu’il s’agit de tamazight. La fidélité à la filiation idéologique et le sectarisme partisan sont des constantes comme j’ai pu le vérifier lorsque des députés de l’opposition démocratique avaient refusé de signer ma proposition d’enquête parlementaire sur la corruption”, soutient Ali Brahimi. Ce qui s’est passé dernièrement dans le cadre du passage du projet de loi relatif à la profession d’avocat est éloquent. La commission juridique a fait l’objet de tractations multiples en fonction des rapports de force pour introduire ou retirer un amendement. Malgré le vote de cet texte de loi, le ministre de la Justice promet encore à la corporation d’avocats d’aller davantage dans le sens de leur revendications. Comment, sachant que le Sénat n’a jamais rejeté ou modifié considérablement un texte de loi voté par l’APN ?

Le député serait-il une simple marionnette qu’on agite à sa guise ? La réalité est plus complexe. En l’absence de centres autonomes de données et d’informations fiables et objectives sur les différents dossiers soulevés par un projet de loi, le député n’est pas édifié des situations qu’on soumet à son pouvoir législatif quand bien même la loi lui donne le droit de demander toute expertise qu’il juge nécessaire. “L’Exécutif, vrai et unique détenteur de la vraie information, a tout loisir d’influencer les députés, au besoin en recourant au mensonge et à l’intox. Dans le fond, ces questions renvoient toutes au système politique verrouillé. Tant que la passivité de la majorité des citoyens demeurera telle, le régime de non-droit s’imposera par la fraude électorale, la corruption et la répression”, conclut Ali Brahimi. De son côté, le député Bouchachi promet de sévir pour que les choses changent et d’effectuer ses sorties médiatiques pour “expliquer tout cela à l’opinion publique. Nous devons dénoncer l’hégémonie du pouvoir exécutif sur le législatif. C’est un devoir”.

N. H