Ce livre taille en pièces la thèse d’une bavure de l’armée algérienne dans la mort des sept moines français, enlevés en mars puis tués en mai 1996. « En quête de vérité: le martyre des moines de Tibhirine» (éd. Calmann-Lévy), de l’écrivain et philosophe René Guitton, apporte des éléments inédits sur l’enlèvement puis l’assassinat des sept moins trappistes du monastère de Tibhirine.
René Guitton qui a déjà signé en 2001 un ouvrage sur les moines de Tibhririne « Si nous nous taisons… Le martyre de moines de Tibhrine) apporte de nouvelles pièces qui démontent la version du général Buchwalter, attaché militaire à l’ambassade de France à Alger au moment des faits.
L’auteur qui s’est rendu à plusieurs reprises en Algérie, en Belgique, en Italie, en Suisse, s’est appuyé sur de nouveaux témoignages des acteurs directs et indirects de cette tragédie ainsi que sur des pièces qui n’ont pas été jusque là portées à la connaissance du public.
Le contexte
Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept moines du monastère de Tibhiirine, à Médéa, sont enlevés par un groupe armé. Le 30 mai 1996, les têtes des sept religieux ont été retrouvées au bord d’une route, certaines enveloppées dans un sac suspendu à un arbre. Le Groupe Islamique Armé (GIA) à l’époque dirigé par Djamel Zitouni, avait revendiqué l’enlèvement et l’assassinat des sept trappistes.
Les trois thèses sur l’assassinat
Quinze ans après les faits, trois théories sont avancées par les uns et les autres pour expliquer cette tragédie. Pour les officiels algériens, la mort des moines ne fait aucun doute dès lors qu’elle a été revendiquée par le GIA.
Cette thèse est contestée par des déserteurs de l’armée algérienne lesquels affirment que les services secrets de leur pays avaient manipulé Djamel Zitouni pour discréditer le GIA et obtenir le soutien de la France dans la lutte anti-terroriste.
Depuis juin 2009, une nouvelle thèse est venue relancer l’enquête sur ce dossier devenu au fil des ans une véritable affaire d’Etat. Cette théorie a été avancée par le général Buchwalter, attaché militaire à Alger au moment de l’enlèvement et de la mise à mort des religieux.
Ce que Buchwalter a dit au juge
Le 25 juin 2009, le général François Buchwalter affirmait au juge d’instruction Marc Trévidic que les moines avaient, en réalité, été tués par les tirs d’hélicoptères de l’armée alors qu’ils bivouaquaient avec leurs ravisseurs. Voici l’extrait de sa déposition qui a mis le feu aux poudres :
« Pour que vous compreniez, j’ai eu des liens d’amitié avec divers officiers algériens qui avaient fait leur formation à Saint-Cyr et c’est ainsi que j’ai connu une personne dont je préfère ne pas vous dire le nom car il est possible que son frère soit encore en Algérie. (…) C’était un ami. Quelques jours après les obsèques des moines, il m’a fait part d’une confidence de son frère
. Son frère commandait l’une des deux escadrilles d’hélicoptères affectées à la 1ère région militaire dont le siège était à Blida. Son frère pilotait l’un des deux hélicoptères lors d’une mission dans l’Atlas blidéen, entre Blida et Médéa. C’était donc une zone vidée et les hélicoptères ont vu un bivouac. Comme cette zone était vidée, ça ne pouvait être qu’un groupe armé. Ils ont donc tiré sur le bivouac. Ils se sont ensuite posés, ce qui était assez courageux car il y aurait pu y avoir des survivants. Ils ont pris des risques. Une fois posés, ils ont découvert qu’ils avaient tiré notamment sur les moines. Les corps des moines étaient criblés de balles. (…) »
En clair, les moines ont été tués par méprise suite à des tirs de l’armée algérienne. Le crime a été ensuite maquillé pour en endosser la responsabilité au GIA.
Eléments nouveaux
René Guitton a enquêté pendant plusieurs années en France, en Algérie et ailleurs pour tenter de lever des zones troubles de cette affaire. Il a interrogé différents acteurs politiques et consulté l’ensemble des pièces du dossier, notamment les réponses fournies par les autorités algériennes à la commission rogatoire diligenté en novembre 2006 par l’ancien juge chargé du dossier Jean Louis Bruguière.
Il a également consulté les clichés des têtes moines qu’il a soumis à des experts français tout comme il révèle pour la première fois le nom de la personne auteur de confidences faites à Buchwalter.
Le nom de l’informateur de Buchwalter révélé
Au cours de sa déposition devant le juge Marc Trévidic, le général Buchwalter a refuséde divulguer le nom de son informateur afin, dit-il, de le protéger contre d’éventuelles représailles.
Or, explique René Guitton, Buchwalter a donné suffisamment d’indices sur cet informateur pour que l’identité de ce dernier soit retrouvée.
Cet ami s’appelle Arezki Bensaid. « Simplement, le général Buchwalter avait un ami algérien qui se nommait Arezki Bensaid », écrit Guitton dans son livre à la page 243.
Arezki Bensaid est donc l’auteur des fameuses confidences.
Qui est Arezki Bensaid ?
Ancien de l’armée française durant la guerre d’Algérie, Bensaid a été « réintégré dans l’armée algérienne en qualité d’instructeur, puisqu’il n’avait pas directement participé, dans les rangs de l’armée française, à la lutte contre l’indépendance ».
Ancien commandant d’escadron, Bensaid, originaire de Kabylie, état à la retraite au moment de l’affaire des moines. Devenu hommes d’affaires, il avait fondé une compagnie de transport de bus avant de décéder. Son frère, qui selon Buchwalter, avait participé au raid de l’armée algérienne, « coule une retraite tranquille aujourd’hui en Algérie. »
Le juge Marc Trévédic, explique Guitton, pourrait ainsi l’interroger dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, pour recueillir son témoignage.
Les clichés des têtes soumis à des expertises
L’autre élément nouveau révélé par livre, et non moins important, concerne l’autopsie des têtes des sept moines.
L’auteur a pu consulter « la planche photographique montrant les têtes des moines telles qu’elles furent retrouvées, fin mai 1996, par la gendarmerie de Médéa, avant leur transfert à l’hôpital Aïn Nadja d’Alger. »
Et c’est ainsi qu’il a soumis ces clichés à plusieurs spécialistes français pour des expertises médico-légales, sans pour autant divulguer à ces experts « l’identité des têtes ».
Les conclusions de ces experts ne constituent pas des avis tranchés et définitifs, mais de simples suppositions. « Un examen approfondi des têtes permettrait d’en avoir l’absolue certitude », explique René Guitton.
Un seul impact de balle
Première conclusion : Les têtes n’auraient pas été mises en terre immédiatement ou elles auraient été inhumées superficiellement sur une terre sablonneuse.
Deuxième conclusion : Les têtes ne portent pas de séquelles de napalm. Pourquoi napalm ? Parce que plusieurs témoignages indiquent que l’armée algérienne utiliserait du napalm lorsqu’elle bombardait les maquis islamistes.
Troisième conclusion : Clichés à l’appui, certaines têtes étaient « presque intactes » et chacune portait « un seul impact de balle ». Ces impacts de balles résultent d’un tir « dirigé de haut vers le bas ». Les moines auraient donc été exécutés par un homme debout alors qu’ils étaient en position agenouillés.
« Sur ces clichés, écrit l’auteur, le plus caractéristique, on l’a dit, est que chaque tête ne porte a priori qu’un seul impact de balle, mais que de plus le tir semble dirigé, de manière quasi systématique, plutôt du haut vers le bas, tiré plutôt du côté gauche avec sortie du côté droit des faces. Ce qui pourrait accréditer l’hypothèse des moines assis au sol, ou agenouillés, exécutés chacun d’une balle tirée par des hommes debout. »
Quid des tirs supposés à partir d’un hélicoptère ?
Les hélicoptères MI 24 de l’armée algérienne étaient équipés de canons circulaires 38 mm, de roquettes antichar et de mitrailleuses de calibre 12,7 mm. Cet arsenal militaire était-il susceptible d’être utilisé dans le cadre de la mort des moines?
Explications de l’auteur : « L’utilisation de ces types d’armes, avec tirs d’altitude, contre des hommes au sol, aurait eu pour effet, a priori, et avec toutes les précautions d’usage, de créer des dégâts beaucoup plus importants que ceux apparaissant sur les photos. Ces tirs auraient vraisemblablement créé plusieurs impacts de mitrailleuse puisque automatiques, entraînant l’éclatement des têtes, peu compatible avec le fait qu’elles paraissent, malgré d’importants dommages, être pour certaines presque intactes ou qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’une reconstruction complexe au moment de leur découverte. Dès lors, les tirs depuis hélicoptère par roquettes ou par tirs de 12/7 sembleraient très improbables. »
En clair, les traces de balles retrouvées sur les têtes des moines ne pouvaient résulter de tirs déclenchées à partir d’un hélicoptère. Voilà donc des éléments nouveaux qui taillent en pièce la théorie de Buchwalter laquelle repose, faut-il le préciser, sur des confidences faites par un ami algérien.
Ces nouveaux témoignages et documents, s’ils ne constituent pas des vérités absolues, l’auteur se garde d’ailleurs d’asséner ses révélations comme telles, permettent de faire la lumière sur des zones d’ombre concernant cette affaire qui continue d’empoisonner autant les relations entre Paris et Alger qu’elles mettent dans l’embarras les différentes institutions françaises qui ont à gérer directement ou indirectement ce dossier.