L’enlèvement des sept moines du monastère de Tibéhirine en 1996 a été commandité par la Sécurité militaire algérienne pour « faire du chantage vis à vis de la France et jeter un discrédit sur les mouvements islamistes », affirme un ex-officier algérien interrogé par le juge antiterroriste Marc Trévidic. Ce nouveau témoignage, pas inédit, relance davantage l’enquête sur l’enlèvement et l’assassinat des sept religieux français.
« Il s’agissait d’un mouvement axé sur la manipulation et l’infiltration permettant de faire du chantage vis-à-vis de la France et de jeter le discrédit sur les mouvements islamistes », a dit l’ancien militaire Abdelkader Tigha lors de son audition, selon le procès-verbal publié vendredi sur le site internet de France Inter
Après plusieurs tentatives d’audition avortées, le juge chargé de l’enquête sur la mort en 1996 en Algérie des sept religieux avait entendu, en novembre à Amsterdam, Abdelkader Tigha qui était officier en poste à Blida (sud d’Alger) au moment de leur enlèvement
M. Tigha avait affirmé dès 2002 au journal Libération, trois ans après son départ d’Algérie, que la Sécurité militaire algérienne avait organisé l’enlèvement.
Les sept moines trappistes ont été enlevés le 26 mars 1996 et séquestrés pendant deux mois avant d’être décapités.
Officiellement l’enlèvement suivi de l’assassinat des sept moines trappistes a été revendiqué par le GIA, à l’époque dirigé par Djamel Zitouni.
Cette thèse, défendue par les autorités algériennes, est remise en cause par de multiples témoignages qui accréditent la thèse d’une manipulation, voire d’une bavure de l’armée algérienne.
Selon M. Tigha, « les GIA (Groupes islamistes armés, ndlr) étaient en train de gagner » et le général Smaïn Lamari, patron de la DCE algérienne (Direction du contre-espionnage) à l’époque, « n’avait qu’une seule option, à savoir l’infiltration ».
« Les GIA ont enlevé les moines », et « les services secrets avaient organisé l’enlèvement », raconte M. Tigha, selon lequel les moines ont ensuite « séjourné dans les locaux militaires de Blida à environ 48 km de Tibéhirine ».
Mais « je n’ai pas vu entrer les moines, j’ai vu entrer les véhicules », précise-t-il. « Une opération militaire a alors été engagée pour donner l’impression que l’on recherchait les moines de manière sérieuse ».
Après avoir déserté et fui l’Algérie en 1999, Abdelkader Tigha a fait un périple à travers la Tunisie, la Syrie, la Thaïlande, la Jordanie, les Pays-Bas et la France en quête d’un refuge politique. En 2006, il est longuement débriefé par des agents de la DST (Direction de la surveillance du territoire) en échange d’une protection et d’un asile politique en France.
Le deal capote et Tigha est expulsé de Paris en mai 2007 et part s’installer aux Pays-Bas. En 2008, Il publie «Contre-espionnage algérien : notre guerre contre les islamistes», paru aux éditions Nouveau Monde.
Pour l’avocat des parties civiles, Me Patrick Baudoin, le témoignage de M. Tigha « n’est pas nouveau » mais « il est important », car « c’est la première fois qu’il s’exprime dans le cadre de l’enquête judiciaire ».
« Il confirme ce qu’il avait dit et écrit notamment sur les conditions de l’enlèvement des moines », a dit Me Baudoin à l’AFP. Selon lui, le témoignage « est à prendre avec beaucoup de sérieux mais aussi de précaution ».
« Il est le seul à faire ce témoignage, il faudrait que cela soit conforté » par d’autres témoignages.
M. Tigha devrait être à nouveau interrogé par le juge Trévidic pour préciser ses déclarations.
L’enquête sur l’assassinat des moines trappistes a connu un rebondissement spectaculaire en juin 2009 avec la déposition du général Bushwalter, ancien attaché militaire à l’ambassade de France en Algérie. Le général avait indiqué que la mort des moines pourrait être provoquée par une bavure de l’armée algérienne.
A l’appui de ses propos, l’ex attaché militaire avait rapporté le témoignage d’un officier algérien dont le frère pilotait un hélicoptère au moment du raid aérien qui aurait causé la mort des sept religieux.