Ça devait être une journée semblable à toutes les autres. Une journée pendant laquelle on parcourt le même trajet pour rentrer chez soi.
Mais ce jour-là, le 25 juin 1998, ce ne fut pas le cas pour Matoub Lounès assassiné à bout portant sur la route de Tala Bounane. Un drame qui a secoué toute une région et qui a marqué le début d’une rébellion sans précédent. Matoub rentrait à peine de l’étranger. Pour ses proches, la période était peut-être mal choisie car sensible et délicate. D’autant plus que l’artiste, le Rebelle, venait à peine de terminer l’enregistrement de son œuvre, la dernière d’ailleurs. Une œuvre qui porte un message aux «traîtres» qui n’est pas des moindres, signifié au rythme de l’hymne national.
Mais pour Lounès, il n’est pas question de ne pas revoir ces montagnes qu’il aime tant et sur lesquels il a tant chanté. Ce jour la donc, il rejoint Tizi-Ouzou en compagnie de sa femme Nadia et de deux de ses belles sœurs. L’historique de cette journée fatidique, tout le monde la connaît depuis, notamment de l’escale faite au Concorde où ils déjeunent tous ensemble. Un repas auquel le Rebelle «ne prend pas vraiment goût», selon le témoignage recueilli bien après auprès de Nadia, la veuve de l’artiste.
Une appréhension ou un simple hasard, personne ne le saura. Le chemin vers la maison familiale à Taourirt Moussa reprend au début de l’après-midi. Le chemin est un peu long mais bien fréquenté par les usagers, étant le seul à mener vers le chef-lieu. Mais pas ce jour-là où tout semblait calme, jusqu’au retentissement de la première balle assassine visant la Mercedes du chantre. L’attaque a eu lieu au lieu dit Tabarkouket à Tala Bounanane, dans la commune de Ben Aïssi, et ne laissa aucune chance de survie à l’icône identitaire et contestataire kabyle. Les autres occupants du véhicule étaient blessés.
Matoub, atteint de plusieurs balles, meure sur le coup, son véhicule criblé de balles reste le témoin de la brutalité de cette embuscade abominable. La triste nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et tout de suite après toute la région de la Kabylie est ébranlée. Personne ne pouvait croire en la nouvelle. Mais la réalité est là, le Rebelle est assassiné laissant derrière lui une Kabylie qui s’embrase des jours durant. Les jeunes sortent dans les rues et envahissent les lieux publics afin de clamer que les assassins de Matoub soient condamnés et que la vérité se fasse sur ce crime «impardonnable» à leurs yeux. Les manifestations se succèdent et l’information est reprise par les médias, mêmes étrangers, à travers lesquels la mort de Matoub Lounès prône.
Le jour de son enterrement a vu se réaliser le rêve tant cher à l’artiste. Celui de voir tous les kabyles réunis, main dans la main. Ce jour-là en effet, des centaines de milliers d’hommes et de femmes sont venus lui rendre un dernier hommage. La route qui menait de la capitale de la Kabylie à Taourirt Moussa avait du mal à contenir toute cette foule qui s’étendait sur plusieurs kilomètres. Cette enterrement est resté dans les anales comme est resté l’homme qui a fait ses adieux à cette population à qui il a tant donné. Dans les anales aussi est resté cet énigmatique assassinat qui a donné lieu à tant de spéculations de suppositions.
La justice, elle, s’est penchée en 2011 sur la question. Les mis en cause, Malik Medjnoun et Abdelhakim Chenoui, ont même purgé leur peine de 12 ans de prison. Un procès qui n’a pas convaincu. La famille du Rebelle en premier qui réclame toujours la vérité et croit toujours que le «procès Matoub» n’a encore jamais eu lieu. 17 ans après sa mort, Matoub continu d’exister. Ses chansons, ses textes, ses expressions font le quotidien des jeunes et moins jeunes qui continuent de s’inspirer de son dévouement pour la lutte identitaire.
Tassadit Ch.