Mes condoléances pour les parents, les proches et les camarades d’Haroun et d’Ibrahim en espérant que leurs douleurs et leurs souffrances puissent s’atténuer et leur permettre de continuer à mener une vie normale et les voir transcender le sentiment de haine et de vengeance qui ne rajoute que du malheur au malheur. Je compatis également devant la douleur et la souffrance des parents des assassins présumés, que j’espère, se remettrons eux aussi de ce terrible traumatisme qu’ils viennent de subir.
Officiellement, les deux enfants assassinés sont morts par strangulation et n’ont subi aucune amputation dans leurs corps. Monsieur Mohamed Abdelli, le procureur chargé de l’affaire, a insisté à le préciser, avec le rapport du médecin légiste qui a pratiqué l’autopsie à l’appuis. Il tenait à rassurer tout le monde. Une première dans les annales de la communication de la justice algérienne avec la population. On peut s’attendre à des communications similaires dans les affaires de corruption en cours. Enfin, le Président A. Bouteflika se met à l’œuvre pour commencer à tenir ses promesses : la transparence de l’État par une communication de qualité avec la société.
Aucun détail de l’affaire ne doit échapper aux citoyens. Le procureur va plus loin encore dans la communication et conclu sur le mobile du crime, avant même d’avoir commencé l’enquête. Leurs deux assassins sont immédiatement arrêtés et leurs aveux sont sans ambiguïté : ils ont agi de manière « isolée », donc, ils ne sont liés à aucune organisation criminelle. Leur crime ne peut être « lié au crime organisé » dira avec certitude monsieur le procureur de la République. Leurs aveux ont été spontanés, et puis d’ailleurs, ce sont des récidivistes, qui ont effectué plusieurs séjours en prison, il tenait aussi à le préciser. On ne saura pas plus sur les deux assassins, condamnés avant même leur jugement, avant même les conclusions de l’enquête. Exécutés autant de fois et par autant de manières des plus barbares, par une population assoiffée de haine et de vengeance. Sauf que tout le monde connaissait les deux gardiens de parking de la nouvelle ville de Ali-Mendjeli.
Ces pauvres hères, qui meublaient la voirie de jour comme de nuit, comme les lampadaires disposés sur les trottoirs et qui n’ont jamais éclairé personne. Ces pauvres hères, qui ont perdu jusqu’à la notion d’État, de Nation, de Société et de citoyenneté, qui ne l’ont jamais eu d’ailleurs, étaient déjà des monstres avant même d’avoir été diabolisés dans cette affaire. Des monstres, comme il en existe par millions et qui sont parqués dans des villes bidonvilisées, pourtant nouvelles et dont Benyounes pleurait la bidonvilisation, il n’y a pas longtemps encore.
En ce lieux même, où vient d’être construit l’un des plus importants centre de regroupement de la gendarmerie nationale de l’Est, en cas ou ! on ne sait jamais. La presse d’État, épaulée par la presse libre, – plutôt indépendante ! disons privée pour éviter les amalgames, enfin, celle qui respecte la déontologie de la profession – n’a pas cédé à l’émotion et avait accompli son travail avec un grand professionnalisme. À l’unisson avec la justice et la population, elle s’est muée en porte-voix unanime pour porter le deuil à la nation entière et médiatiser au moindre détail, les conclusions du procureur, toujours avec la déontologie qui convient et le professionnalisme que l’on lui connaît, par respect des engagements publicitaires contractés, sans recule, sans critiques, sans même une lueur d’interrogation. Dans la foulée, elle a préféré taire le nom des monstres pour ne leur permettre aucune faveur d’humanité.
C’est ainsi que la conscience collective en a décidé et ils doivent s’y plier. La concurrence sur le marché publicitaire oblige. Sinon ! ils subiront le même sort que le farfelu canard DNA, obligé de jeter l’éponge, pour ne pas avoir obtempéré. Comme le sort qui a été réservé au Matin et dont les ricanements des confrères, qui ont suivi, ne présentaient pas une meilleure apparence que celle des monstres, dont ils ont omis de citer les noms et de regarder autour d’eux pour en avoir le cœur net et la conscience tranquille.
Pourtant, la rumeur courrait avant même cette affaire. Depuis que des enfants ont commencé à être enlevés dans plusieurs régions du pays, depuis longtemps déjà. La rumeur qui courait et qui commençait à gonfler et à gronder sur tout le territoire National. Depuis l’affaire de trafic d’organes entre le Maroc et la région frontalière de Maghnia et ses environs. Sans oublier la dernière affaire, qui défia la chronique pornographique et la prostitution sur mineures à Annaba.
Dans l’intérêt de tous, la loi de l’omerta doit être respectée scrupuleusement, aussi bien par la presse, par le procureur que par la population elle-même. Aucun rapprochement de ces affaires ne doit transparaître. Et pourtant, le téléphone arabe est saturé dans l’espace public du constantinois, jusqu’au bogue même. Certains ont même identifié l’appartement qui servait de laboratoire d’ablation d’organes, maquillé en cabinet médical dans la ville où l’horreur s’est produite. Un cabinet médical sur équiper, un vrai laboratoire chirurgical.
Des témoins oculaires de l’hôpital de constantine, où avait eu lieu l’autopsie, dont une infirmière et un médecin ont affirmé que Haroun et Ibrahim n’avaient plus leurs yeux, ni leurs reins au moment de l’opération. Un cadre de la police avait quant à lui affirmer à ses proches, que les corps n’avaient ni cœur, ni reins, ni foie et ni yeux.
D’autres témoins affirment avoir eu connaissance d’une pression de la police sur les parents de Haroun et Ibrahim pour les soumettre à la loi de l’omerta. Même la mère du plus jeune des assassins présumés a accouru précipitamment, affirmant que son fils était venu à la maison quelque temps avant la découverte des corps, pour emporter la valise dans laquelle a été trouvé l’un des deux cadavres. L’on s’attend certainement, constatant le progrès dans la communication entre l’État et la société, que monsieur le procureur de la République nous explique pourquoi les corps ont été jetés au bas des immeubles chinois et pas ailleurs ? Chose curieuse, la population constantinoise et de ses environs ont soudainement pris conscience de la dimunition spectaculaire des fous errants et des sans domicile fixe. Hallucination ou vérité ?
Dire l’horreur et taire le scandale, c’est rajouter de l’horreur à l’horreur et permettre que d’autres scandales puissent avoir lieu, dans l’indifférence de l’État, la complicité d’une presse abjecte et la douloureuse souffrance des prochaines victimes et de leurs parents. Dire l’horreur et taire le scandale, c’est rajouter de la souffrance aux souffrances déjà endurées, des parents des assassins présumés, et permettre à la foule de devenir hystérique et crier haine et vengeance dans une conscience aveugle.
Une foule hystérique, dont les cris de vengeance et de haine ont été rapportés et appuyés par une presse, – ayant perdu jusqu’au sens de l’éthique professionnelle, voir, le sens de l’éthique tout court – jusqu’aux confins de l’inconscient collectif. Une foule avide de sang et d’horreur, dissimulée derrière l’écran de sa face virtuelle sur la toile, réclamant la mort des deux assassins présumés, par les moyens les plus barbares, les plus horribles, qui dépassent jusqu’à l’entendement humain. Tuer un homme pour avoir commis un crime si odieux, ne règle pas en soi le problème.
Cela en rajoute plutôt, parce que l’on aura au bout du compte deux familles endeuillées au lieu d’une. Cela ne règle pas le problème en soit, également, parce que ce genre de comportement criminel n’est pas soutenu par une rationalité comportementale saine et consciente. Tuer un homme pour un tel crime, ne dissuade personne, parce que les personnes saines sont conditionnées par le réflexe culturel d’inhibition du passage à l’acte et les personnes malsaines (cliniquement), sont indisposées à la réception du message de la sanction suprême : la peine de mort, par leur autisme.
Enfin! cette façon de punir ceux qui transgressent les lois de la société, diffuse dans l’imaginaire collectif un sentiment de malaise et de gène, devant la violence de l’exécution du condamné à mort et l’impression de brutalité qui l’accompagne, qui auront pour conséquence d’augmenter le climat de violence dans la société.
Les États d’Amérique, qui s’opposent encore à l’abolition de la peine de mort, en savent beaucoup. Les deux sentiments négatifs, qui accompagnent l’exécution d’un condamné à mort, sont à coup sûr : la haine et la vengeance. Je ne pense pas que la bonne gouvernance consiste à régler les problèmes de société en diffusant les sentiments de haine et de vengeance dans l’imaginaire collectif et abandonner l’éducation et l’investissement dans la prévention de toutes sortes de crimes et de malversations, y compris la corruption.
L’abolition de la peine de mort est un acquis universel, dont, aucun crime, aussi abject soit-il, ne doit justifier son recours. La bonne gouvernance consiste à bien éduquer et laisser les désirs et les libertés s’épanouir. Devant ce genre de circonstances odieuses, la bonne gouvernance consiste à s’investir plus pour améliorer les moyens de prévention et de sécurité publique et la prise en charge des déficiences mentales et certainement sociales et politiques.
La bonne gouvernance, aussi, doit faire respecter la liberté d’expression. On peut ne pas être d’accord avec l’opinion de l’autre, mais on n’a pas le droit de le priver de l’exprimer. On a le droit de ne pas être d’accord avec lui, mais on a le devoir de le respecter. Cela s’appelle la démocratie et un bon gouvernement doit garantir l’exercice de la démocratie à tous les citoyens de la République.
Youcef Benzatat