La Syrie est en deuil. Le président syrien Bachar Al Assad a décrété un deuil national à compter d’aujourd’hui suite à l’attentat-suicide à Damas qui a coûté la vie jeudi à 49 personnes, dont le célèbre et très respecté dignitaire religieux sunnite, cheikh Mohamed Saïd Al Bouti, et blessé près de 90 personnes, s’engageant à «nettoyer» le pays des extrémistes.
«Je présente mes condoléances au peuple syrien pour le martyre de cheikh Mohamed Saïd Al Bouti, ce grand personnage de la Syrie et du monde musulman», a dit le président syrien dans un message publié dans la nuit de jeudi par les médias officiels.
Dans un télégramme de condoléances adressé pour l’érudit Al Bouti, sa famille et les familles des victimes, le président Al Assad a noté que le martyr Al Bouti, qui représentait la vraie voix de l’Islam, était tombé en martyr alors qu’il enseignait la vraie religion.
«Vous manquez à la tribune de la mosquée des Omeyyades ainsi qu’à la nation musulmane tout entière. Vous avez transmis le message correct de l’Islam (…) Ils vous ont tué pour avoir élevé la voix face à leurs idées obscurantistes visant à détruire les principes de notre religion clémente», a indiqué le président syrien.
Et d’ajouter : «Je jure au peuple syrien que ton sang, celui de ton petit-fils et de tous les martyrs de la patrie n’aura pas coulé gratuitement, car nous serons fidèles à tes idées en anéantissant leur obscurantisme et leur incroyance jusqu’à la purification du pays.»
Les autorités syriennes ont condamné dès jeudi l’attentat commis dans la mosquée Al Imane dans le quartier de Mazraa, où cheikh Al Bouti avait l’habitude de donner des cours de religion les lundis et jeudis, accusant les terroristes d’être derrière l’attaque, faisant allusion aux «rebelles jihadistes» armés, dont beaucoup font partie d’Al Qaïda, et représentent «l’opposition» à l’origine du déclenchement de la crise syrienne depuis deux ans.
Menaces de mort
Ces derniers ayant revendiqué nombre d’attaques armées dont des attentats-suicide et le mode opératoire de l’attentat de jeudi rappelle leur façon de faire, ont fait remarquer les autorités.
Bien que l’attentat n’ait pas été revendiqué, l’opposition syrienne, aidée par l’Occident et ses relais qatari et saoudien, a tenté de s’en laver les mains après s’être trouvée pointée du doigt.
Ainsi, jeudi soir, le chef de la coalition nationale de l’opposition syrienne, l’islamiste Ahmed Moaz Al Khatib, a condamné l’attaque en disant soupçonner «le régime» d’être derrière l’attentat.
«C’est un crime à tout point de vue que nous rejetons complètement», a-t-il déclaré. Mais des discours virulents à l’encontre du cheikh Al Bouti ont été tenus par les leaders de l’opposition et les religieux les ayant soutenus.
Les personnalités médiatiques controversées, connues pour leurs prêches sulfureux, tels que les milliardaires qatari, Youssouf El Qaradaoui – qui a appelé en direct au meurtre de Kadhafi sur Al Jazeera – et koweïtien, Mohamed Al Arifi – qui prétend que des anges sur des chevaux blancs font la guerre sainte en Syrie – ont appelé publiquement à l’assassinat de «toute personne, y compris les savants religieux, s’opposant à l’armée syrienne libre», le bras armé de l’opposition syrienne.
Présenté comme pro-régime syrien, Cheikh Al Bouti était célèbre pour ses prêches en faveur de la paix. Retransmis à la télévision de l’Etat tous les vendredis, il n’avait de cesse appelé les différents protagonistes de la crise syrienne à la retenue et au dialogue, privilégiant les solutions pacifiques et mettant en garde contre le recours à la violence.
Anti-impérialiste
Membre d’une grande tribu kurde, cheikh Al Bouti, né en 1929, était respecté dans tout le monde musulman. Fermement opposé à l’extrémisme et à l’obscurantisme, le religieux était connu pour des positions en faveur d’un «Islam tel qu’enseigné par le Coran, et non tel que dicté pas les Américains».
Connu en Algérie pour avoir été le premier homme de religion arabo-musulman à condamner le terrorisme islamiste responsable du massacre de la population algérienne dans les années 1990, quand ce dernier était soutenu médiatiquement et financièrement par les wahhabites.
Cheikh Saïd Al Bouti dénonçait souvent, dans ses interventions, les courants salafistes et takfiristes des monarchies wahhabites du Golfe, principaux alliés des Etats-Unis dans la région, et mettait en garde contre l’application de l’agenda américain et de l’Otan dans la région.
Bien que des lieux de culte aient déjà été pris pour cible, la crise syrienne prend une tournure des plus alarmantes avec l’assassinat d’un des plus imminents théologiens musulmans de son époque.
Les réactions des pays voisins et des instances musulmanes, notamment de l’Organisation des Oulémas musulman, qui a pour président son ennemi juré, Youssef El Qaradaoui, tardent à venir.
Seuls l’Iran et la Russie ont condamné l’attentat aux côtés des différents groupes de la résistance palestinienne, qui perd un important ami.
Un grand homme de paix
L’éminent théologien syrien d’origine turque est né en 1929. Il est diplômé de l’université d’Al Azhar au Caire et est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages traitant de religion, de philosophie et de littérature.
Le savant était régulièrement invité dans des conférences et colloques à travers le monde et était respecté de tous les musulmans.
Le cheikh Mohamed Saïd Ramadan Al Bouti a été présenté comme pro-Bachar Al Assad après le début de la crise syrienne en mars 2011.
Le religieux condamnait l’agenda américain des «rebelles» et ne cautionnait cependant pas le meurtre de civils par des militaires.
Il était célèbre pour avoir de tout temps dénoncé le salafisme et le takfirisme des wahhabites du Golfe, et s’est opposé à l’Organisation des Oulémas musulmans, notamment après être devenue «le bras religieux» de l’Otan, avec le «printemps arabe».
Il a été le premier savant à condamner, les larmes aux yeux, les exactions des terroristes islamistes en Algérie.
Mehdia Belkadi