« Nous avons déposé aujourd’hui (hier dimanche) deux plaintes, l’une pour « faux » contre le juge d’instruction chargé de l’affaire de l’assassinat du DGSN Ali Tounsi, la seconde pour « faux témoignage » contre les deux médecins légistes qui ont établi l’autopsie de la victime.
Car depuis le 25 février, jour de l’assassinat de M. Tounsi, les règles les plus élémentaires du code de procédure pénale en matière d’enquête sont piétinées, violées sans vergogne », lancent maîtres Youcef Dilem et Belarif Mohand Tayeb, avocats de Chouaïb Oultache, assassin présumé de l’ancien patron de la police, qui exigent par la même voie l’éviction du juge d’instruction de l’affaire Tounsi.
Selon les deux avocats, la plainte ciblant le juge d’instruction est motivée par « l’altération volontaire des propos » de leur client, M. Oultache suite à la reconstitution du crime à la DGSN. « M. Oultache, durant la reconstitution, a déclaré avoir tiré quatre balles en direction du côté droit du thorax de M. Tounsi en faisant avec ses doigts le signe ‘quatre’. Une photo a été prise lorsque Oultache a fait ce signe. Or dans son rapport, le juge d’instruction affirme que Oultache a déclaré qu’il avait tiré deux balles et que quatre autres étaient restées dans le barillet de son revolver P 38 Smith & Wesson. »
Les avocats de la défense ont fait remarquer au juge d’instruction la différence des versions entre les déclarations de Oultache lors de la reconstitution et le commentaire du magistrat à propos de la photo montrant l’assassin présumé faire le geste « quatre ».
« Le juge d’instruction s’est emporté et s’est senti accusé de mensonge avant de se rattraper quelques jours après pour donner raison à la défense sans toutefois rectifier son rapport », explique maître Belarif, qui s’étonne que le juge d’instruction les informe le jeudi 24 juin qu’il auditionnera Oultache aujourd’hui, 28 juin, pour établir un procès-verbal récapitulatif à adresser au parquet et… partir en vacances ! « Donc le dossier sera transmis au parquet sans rectificatif ! », s’indignent les avocats de la défense, qui affirment que « la falsification des propos de Oultache relève d’une logique qui, depuis le jour de l’assassinat de M. Tounsi le 25 février, veut accréditer la thèse des deux coups de feu mortels ».
Maître Belarif insiste : « Cette thèse a été dès le départ émise par la police judiciaire qui affirme, dans son rapport technique, que quatre balles percutées mais non explosées ont été retrouvées dans l’arme de Oultache et que deux douilles vides ont été relevées sur la scène du crime. C’est curieusement la même thèse qu’on retrouve, grossièrement étayée, dans le rapport d’autopsie. » Et c’est là que la défense s’attaque au deuxième volet des couacs de l’enquête : la médecine légale.
« Les deux médecins légistes déclarent que le corps de M. Tounsi leur a été transféré de la morgue de l’hôpital Mustapha Bacha, sans préciser l’heure à laquelle on a entreposé le corps à la morgue ni celle du transfert ni si le défunt était habillé ou non ! Ils affirment avoir eux-mêmes procédé à toute l’opération d’expertise de l’autopsie (radiographie du thorax, etc.) au CHU Mustapha Bacha, alors que le rapport technique de la police mentionne que les radios et les photos du thorax ont été réalisées à la clinique de la police des Glycines ! », explique maître Belarif. L’autre dysfonctionnement grave de l’enquête est l’incroyable trajectoire de la balle fatale qui rappelle la fameuse « balle magique » de l’affaire de l’assassinat du président John Kennedy.
« Les meilleurs experts en balistique et en médecine légale que nous avons sollicités, indiquent les avocats de la défense, qualifient la trajectoire d’impossible. La balle fatale aurait, selon le rapport d’autopsie, touché l’os orbital puis le palais, le larynx, frôlé les vertèbres cervicales, ensuite l’omoplate pour se loger enfin dans le thorax ! Faut-il rappeler que les munitions du P 38 de Oultache sont des balles semi-blindées à tête creuse, des balles qui explosent à l’impact… »
Encore des anomalies de l’enquête ? Les deux avocats ne tarissent pas. Ils reviennent sur la journée même de l’assassinat, ce 25 février, dans le bureau du DGSN, à Bab El Oued, à Alger. « Une bonne dizaine de commissaires divisionnaires – le sommet de la hiérarchie de la police judiciaire – étaient présents sur les lieux.
Ce sont les premiers à savoir que, dans le code de procédure pénale, dans une affaire de crime flagrant, tout officier de la PJ doit préserver les lieux du crime et veiller à ce qu’aucun indice ne soit déplacé, rappellent les avocats de la défense. Or, tout le monde entrait et sortait du bureau du défunt DGSN.
Un chaos incroyable. Et, plus grave, personne n’a eu l’idée d’appeler le médecin de la DGSN présent sur place, ne serait-ce que pour vérifier si la victime était encore en vie ! M. Oultache avait déclaré en déposition, que M. Tounsi ‘respirait encore’ quand le tireur a regagné le bureau et s’est affaissé à un mètre du DGSN, après avoir été blessé par balle dans le couloir ! En plus, tout officier de la PJ sait qu’il doit immédiatement, selon le code de procédure pénale, informer le procureur qui doit se déplacer sur place accompagné du médecin légiste.
Ce dernier doit faire les premières constatations avant même l’intervention de la police scientifique. Or, rien de tout cela n’a été fait ! » Selon la défense et d’après les photos prises sur le lieu du crime, le corps de M. Tounsi a été « déplacé, retourné », ce qui équivaut, d’après les deux avocats, à « une altération des preuves qui appelle à une responsabilité pénale ». Il a été procédé à l’enlèvement du corps, précise la défense de Oultache, sans la présence d’un médecin légiste, en contradiction avec la loi.
Les deux avocats sont excédés : ils évoquent des « manipulations », notamment le fait que « la chemise du défunt a été manipulée – taches d’impact au début de l’instruction, rouge de sang et déchirée du côté droit quelques semaines après » et surtout d’avoir « chargé la Brigade de recherche et d’investigation (BRI) de l’enquête alors que la police est juge et partie ! », selon maîtres Belarif et Dilem.
« Nous ne nous faisons pas d’illusions, mais nous nous battrons pour faire valoir le droit. Aujourd’hui (dimanche), des avocats internationaux nous ont confirmé leur accord de s’associer à nous pour faire éclater la vérité », ont conclu les avocats de la défense du colonel Oultache.
Par Adlène Meddi