Arezki Larbi expose à l’ESPACO: Mémoires et sens en mouvement

Arezki Larbi expose à l’ESPACO: Mémoires et sens en mouvement

Après une absence des salles d’exposition longue de plusieurs années, l’artiste-plasticien Arezki Larbi revient en force avec «Alter-Ego», visible à l’espace d’art contemporain d’El Achour jusqu’au 1er décembre.

Du cliché au fusain, en passant par l’acrylique et l’encre de Chine, Arezki Larbi traverse les matières, les visages et les souvenirs pour faire de la toile, le papier ou le bois le réceptacle ultime d’une mémoire errante.

«Alter-Ego» raconte des visages, des histoires et des rencontres tracés pudiquement sur des supports capables à la fois de porter l’œuvre et d’en faire partie. Comme dans beaucoup de ses travaux, la matière devient pour Arezki Larbi un partenaire de jeu et une entité vivante à malaxer, à interroger et à faire jaillir sur la forme naissante. Celle-ci se décline en plusieurs segments, arbore moult sémantiques et construit, dans ses nombreuses ramifications, une spirale narrative vacillant entre l’intime et l’universel.

A l’entrée de la galerie, le visiteur découvrira en effet des mosaïques lancinantes composées de centaines de visages photographiés en face-profil. Ce travail intitulé «Memo’art» s’est égrené au fil des années, rassemblant sur des planches carrées une multitude de minuscules photographies représentant des visages amis, allant des artistes aux gens lambda, en passant par des écrivains, intellectuels ou journalistes. Arezki Larbi décrit ainsi ce travail : «De prime abord, il s’agit de mémoire, cet œil dans la tête qui s’est nourri d’heures de règne et d’autres d’altérité (…) C’est un chemin du cœur, mélancolique parfois, éclairé par des envolées de poésie involontaire et, comme souvent dans la solitude, la candeur n’ayant pas de but, elle trébuche sur des souvenirs. La mémoire n’est pas un film qui se déroule en séquences organisées, c’est des replis dans l’ombre, des entassements d’oublis et d’écritures vaines (…) Des centaines de photographies, prises de face et de profil, de personnes côtoyées dans la vie ou dans le travail ne sont pas que des clichés figés mais des vies, des moments bleus. Des pans de vie qu’il m’est donné de manipuler ludiquement, pour déramer les empilements et redessiner autrement ceux qui me peuplent et me portent (…). Il est assez curieux de constater en faisant ce travail que la vie de mes amis, c’est aussi un peu la mienne. Le sel de ma vie.»

Dans un tout autre registre, entourant ses deux tables de travail et un «autel» où trônent les souvenirs d’artistes récemment décédés (Djamel Allem, Salah Hioun et Abdelwahab Mokrani), se dressent d’autres visages, longilignes, terreux, énigmatiques. Leurs traits burinés, émaciés, semblent avoir être griffés sur le bois ou le papier kraft. Il s’agit sans doute ici d’une évocation, voire une convocation, du défunt artiste-peintre Abdelwahab Mokrani mort en 2015 par suicide. On y retrouve, non pas un hommage mimétique à l’immense œuvre de ce dernier mais plutôt un dialogue fraternel, complice et douloureux avec un être qui s’est donné corps et âme à l’art. Arezki Larbi y voit «un serment» car «au départ, ces dessins n’étaient pas destinés à une quelconque exposition mais comme une promesse faite à un mort. Le premier serment était de faire un millier de dessins comme pensée permanente et non comme un hommage d’un jour». Le plasticien Djaoudet Guessouma, commissaire de l’exposition, y voit «une démarche altière et altruiste» : «Le plasticien laisse souvent la couleur en deuxième roue de la charrette, son contact est direct avec la matière ; seule la main sait ! Entre des noirs qui ne sont point obscurs, des blancs pas aussi virginaux que cela, et des couleurs qui ne veulent plus rien dire par simple attitude iconoclaste, mais qui posent encore de nombreuses questions. Arezki Larbi se laisse aller à des voyages dans les profondeurs humaines, il évoque les souvenirs d’un ami parti trop tôt, lui offre un grand pan de sa mémoire… Il continue ses introspections sur quelque 80 pistes dessinées, peintes, entreprises dans l’art subtil, quasiment minimaliste.»

S. H.