La démission surprise d’Ahmed Ouyahia ne finit pas d’alimenter les supputations et de faire jaser dans les chaumières. D’autant surprenante qu’elle survient au lendemain d’une victoire aux sénatoriales, un succès qui devait théoriquement revigorer l’homme face à ses détracteurs.
Quel sens, en effet, donner à un geste de celui qu’on a souvent présenté comme un enfant discipliné du système ? S’agit-il simplement d’une manœuvre destinée à tailler les croupières aux contestataires au sein du RND ? Ou alors était-il contraint de jeter l’éponge pour être en phase avec des scénarios politiques préétablis ? “Je pense qu’en réalité, il était appliqué dans son travail dans l’Exécutif, en négligeant le parti. Au niveau local, le parti n’avait pas, pour ainsi dire, de chef. Mais la décision est tellement précipitée que ça me paraît une démarche normale. Il y a des questionnements”, souligne un de ses proches, observateur averti de la scène politique nationale. En décidant de démissionner jeudi, Ahmed Ouyahia semble avoir pris de court ses détracteurs, particulièrement ceux qu’on appelle les “redresseurs” du RND.
Ces derniers ne manquent pas, d’ailleurs, de voir une manœuvre derrière cette démission. Et ce n’est sans doute sans raison qu’ils exigent que la démission d’Ouyahia prenne effet à partir du 3 janvier et non à partir du 15. Et, par ailleurs, ils réfutent la date choisie pour la tenue du conseil national, fixée initialement par Ouyahia au 17 janvier. Si l’on s’en tient exclusivement aux enjeux internes au parti, il n’est pas exclu qu’Ouyahia ait agi de la sorte pour absorber la colère des contestataires, le temps de remobiliser les cadres et les militants qui lui sont acquis en perspective du prochain congrès. Vu sous cet angle, le choix d’Ouyahia de s’adresser aux militants n’est pas fortuit : il viserait à suggérer que la crise est nourrie par les ambitions personnelles de ses contradicteurs. Histoire de convaincre, il prend même le soin de préciser que sa démission “n’est pas au service d’un agenda personnel”.
Comprendre : il ne veut pas postuler à la magistrature suprême, comme on le lui prête depuis quelques mois. Mais cette lecture s’avère vite improbable dès lors qu’on examine le fonctionnement, le rôle et les conditions de création du RND, ainsi que l’itinéraire de son désormais ex-chef. Créé du temps où le FLN était encore chancelant, pour contenir la menace islamiste, le RND a constitué le bras exécutif de toutes les décisions du régime.
Autant il avait soutenu “l’éradication”, autant il avait appuyé “la politique de réconciliation”. Ahmed Ouyahia qu’on a propulsé sous les feux de la rampe alors qu’il était encore chef de cabinet de Liamine Zeroual ne se gênait pas qu’on le désigne par “l’homme des sales besognes”. Il répétait à satiété qu’il était “au service de l’État” et qu’il ne sera “jamais dans l’opposition”. Dès lors, la démission peut prêter à plusieurs pistes de lecture. Il n’est pas exclu qu’Ouyahia soit mis en réserve de la République, comme on dit, en vue de futures offres de services. Et son éventuel retour se ferait, dans ce cas de figure, selon un timing bien choisi et au moment qu’on aura jugé opportun, d’un commun accord. Aussi, il se pourrait qu’il soit appelé à occuper un poste à la mesure de son parcours. Mais d’un autre côté, eu égard aux traditions du sérail et aux éternelles guerres de l’ombre, rien ne dit qu’Ouyahia a été simplement sacrifié sur l’autel d’accords, de deals et de scénarios dont on ne sait pas encore les contours. Mais une chose demeure, cependant, certaine : contrairement aux pays aux traditions démocratiques établies et où les partis politiques sont autonomes, Ahmed Ouyahia n’a pas agi seul.
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