Les jeunes d’Adrar ont marché à leur tour, répondant à un effet de contagion qui est en train de vite se propager au Sud. La bonne chose est que les jeunes d’Adrar n’ont pas causé de dégâts ni inciter les autorités à faire appel à la force publique pour dégager les artères de la ville. Aucun incident majeur n’a été déploré, mais les revendications ont changé la donne. Désormais, les jeunes d’Adrar, comme ceux d’autres villes, mènent leur combat à leur convenance, faisant fi de l’avis des notables que les autorités sollicitent à chaque fois.
«Non aux faux intermédiaires !», «Non aux notables !», disaient certaines affiches brandies mercredi à Adrar. Désormais, les jeunes se posent en interlocuteurs directs pour exprimer leurs revendications. D’ailleurs, aujourd’hui, samedi, les jeunes d’Oued Souf vont prendre le relais de ceux de Laghouat, Ouargla, Ghardaïa et Adrar. Ce sont pratiquement les mêmes revendications et les mêmes soucis qui, partout, les motivent.
Mais souvent la violence ne vient pas d’où l’on pense, et à défaut de dialoguer, les autorités ont parfois choisi la méthode forte pour contrecarrer le mouvement de protestation. Ainsi, à Ghardaïa, par exemple, des militants des droits de l’homme ont été emprisonnés. A ce rythme, les chômeurs s’engagent dans un vrai bras de fer avec les autorités, et cela risque de déborder à tout moment.
Pouvoir et contre-pouvoir
Le bureau de Ghardaïa de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme se demande «s’il n’y aurait pas eu complicité entre la justice et la police à propos du sort des détenus». La Ligue met en garde contre tout «pourrissement de la situation», particulièrement si les détenus seront gardés plus longtemps. «L’état de santé des détenus relève de la responsabilité de la justice et de la police, dans la mesure où ils sont en grève de la faim», affirme la Ligue.
Selon la Commission des chômeurs mise sur pied à Ouargla et qui semble suivre l’evolution des protestations, «17 personnes ont été déferrées devant la justice depuis le début des manifestations, notamment à Ghardaïa». Les violences du Mzab, survenues à l’occasion du coup d’envoi de la Fête du tapis, célébrée chaque année dans cette ville, ont fait 14 blessés parmi les forces de l’ordre et des arrestations parmi les protestataires, qui tentaient d’attirer, à leur manière, l’attention des autorités sur leur situation. Selon l’agence APS, les personnes arrêtées sont notamment accusées de vandalisme, destruction de biens publics et privés et incendies. Il s’agit de jeunes, de militants des droits de l’homme et de membres du Comité pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC), une organisation très active au Sud où elle a organisé ces dernières semaines une série de manifestations contre le chômage.
L’argent, mais aussi plus de liberté…
Il est vrai que l’Etat a consenti récemment des milliards pour apaiser les tensions au Sud. Il est vrai aussi que le contexte actuel requiert de la part des autorités beaucoup d’attention, comme de surveiller le grand Sahara comme le lait sur le feu, s’agissant, aujourd’hui, d’une région annonciatrice de tous les périls et porteuse de tous les dangers. Mais il faut se rendre à l’évidence que le temps des vacances au Sud est bien révolu. Les membres du staff Sellal, présents en force au Sud depuis le rassemblement d’Ouargla, ont tenté de contenir les tensions, affirmant que le gouvernement est déterminé à prendre en charge les préoccupations des populations du Sud. Le ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, chiffres en main, s’est appuyé sur les « milliards » pour mettre en exergue les efforts de l’Etat en matière de développement du Sud : entre 2000 et 2012, une enveloppe de 495 milliards de dinars a été dégagée pour toutes les wilayas du Sud, cela en plus des projets de création d’agglomérations pour réduire les distances.
Le ministre de l’Energie et des Mines, Youcef Yousfi, a promis que Sonatrach « ouvrirait bientôt un centre de formation pour les jeunes de la région », appelant ces derniers à le rejoindre « afin de consolider leurs opportunités pour travailler au sein de Sonatrach ». Le ministre du Travail, Tayeb Louh, a promis, de son côté, de prendre en charge le problème du chômage au Sud.
Deux jours avant, un tribunal de Laghouat a condamné à deux mois de prison, dont un mois ferme, quatre chômeurs qui avaient manifesté devant l’Agence nationale pour l’emploi, alors que, de fait, le chômage touche de plein fouet la jeunesse. Selon les autorités et le FMI, 21,5% des moins de 35 ans sont sans emploi, contre moins de 10% à l’échelle nationale. La situation des jeunes est encore plus difficile au Sud, du fait du faible développement de la région et d’un afflux de travailleurs du Nord, voire de l’étranger, au motif d’absence de main-d’œuvre locale qualifiée, ce que réfutent les chômeurs sur place.
Annane Imad-Eddine