Le rapport de juillet 2015 de la Banque d’Algérie est alarmant. Mais ces données ont été publiées déjà au niveau international fin mars 2015 et j’en avais fait l’écho dans la presse algérienne, pourquoi donc ce retard de trois mois dans l’information. Le langage de la vérité sera l’exigence fondamentale pour surmonter les ajustements économiques et sociaux inévitables entre 2015/2020, objet de cette contribution.
1.- Baisse des recettes de Sonatrach et tensions au niveau de la balance des paiements
Les exportations hydrocarbures (97/98% du total y compris les dérivées, les exportations hors hydrocarbures étant constituées à plus de 50% de dérivées d’hydrocarbures et de déchets ferreux) ont évolué ainsi : en 2005, 43,937 milliards de dollars, en 2006 53,456, en 2007, 58,831, en 2008, 77,361, en 2009, 44,128, en 2010, 55,527, en 2011, 71,427, en 2012 69,804, en 2013 63,752 et en 2014. Au cours de 89 dollars en moyenne la recette a été de 58,8 milliards de dollars. Tenant compte que selon le rapport de juillet 2015 de la banque d’Algérie, le prix moyen du baril de pétrole est passé de 109,55 dollars/baril au premier trimestre 2014 à 75,38 dollars/baril au dernier trimestre 2014 (100,23 dollars en 2014), puis à seulement 54,31 dollars/baril au cours du premier trimestre de l’année en cour, à une moyenne de 60 dollars, ayant assisté à une contraction des quantités d’hydrocarbures exportées au premier trimestre 2015 (- 8,99 %) comparativement à la même période de 2014, qui s’est traduite par un niveau d’exportations d’hydrocarbures de seulement 8,7 milliards de dollars au titre du trimestre sous revue, soit près de la moitié du montant réalisé au premier trimestre 2014 (15,6 milliards de dollars), les recettes de Sonatrach devraient se situer entre 40/45 milliards de dollars pour 2015 et à un cours de 55 dollars moins de 40 milliards de dollars. Encore qu’il faille ne pas confondre recettes avec le profit net de Sonatrach devant déduire les charges d’environ 25%. Or Sonatrach a programmé plus de 100 milliards de dollars d’investissement entre 2015/2020 et comment financer le reste de l’économie? Des sources en ce mois de juillet 2015 nous indiquent que ce montant sera fortement diminué de plus de moitié. Quant aux importations, elles ont été de 20,048 milliards de dollars en 2005, de 21,456 en 2006, de 27, 631 en 2007, de 39,479 en 2008, de 39,294 en 2009, de 40,473 en 2010, de 47,247 en 2011, de 47,490 en 2012, de 55,028 en 2013 58,330 en 2014 et la loi de finances prévisionnelle 2015 table sur 65 milliards de dollars d’importation de biens et ce malgré la règle des 49/51% et le passage du Remdoc au Credoc instauré par la loi de finances complémentaire de 2009 qui devait limiter les importations. Donc le problème est ailleurs. Il s‘ensuit que selon le CNIS (Centre National sur l’Information Statistiques des Douanes) que le solde de la balance commerciale a évolué comme suit (y compris les exportations hors hydrocarbures) : 24,989 milliards de dollars en 2005, 33,157 en 2006, 32,532 en 2007, 39,819 en 2008, 5,9 en 2009 (moment de la crise d’octobre 2008), 16,580 en 2010, 26,242 en 2011, 24,376 en 2012, 9,946 en 2013 et seulement 4,626 en 2014. De janvier à mai 2015 selon les statistiques douanières, la balance commerciale a enregistré un déficit de 6,38 milliards de dollars contre un excédent de 3,44 milliards de dollars durant la même période 2014. Cependant la balance commerciale a une signification limitée devant toujours prendre en compte la balance des paiements incluant les mouvements de capitaux y compris le mouvement des services, l’Algérie étant importateur net. Ainsi le solde de la balance de paiement s’établit comme suit : 29,6 milliards de dollars en 2007, 35,7 en 2008, 3,9 en 2009, 15,3 en 2010, 20,1 en 2011, négatif 7,2 en 2012, négatif 14,2 en 2013 et négatif de 15,9 en 2014 et le solde global de la balance des paiements affiche un déficit record de 10,72 milliards de dollars au premier trimestre 2015 contre un déficit de seulement 98 millions de dollars au premier trimestre de 2014. Or la loi de finances prévisionnelle 2015 donne un déficit supérieur à 52 milliards de dollars au cours de l’époque de 79 dinars un dollar approchant en juillet 2015 100 dinars un dollar. En effet, à ce montant des achats de biens à l’étranger, il faut ajouter les importations de services dont le montant clôturé en 2013 a été de plus de 10,739 milliards de dollars contre pour 2006 de 4,78 milliards de dollars, 12 milliards de dollars en 2012 et 11,7 entre 2013/2014. Si l’on prend en moyenne 11 milliards de dollars entre 2012/2014 de services, les sorties de devises y compris les transferts légaux de capitaux ont été de 65 en 2012, 73 en 2013, 76 milliards de dollars en 2014.
2.- Baisse des réserves de change, risque de retour à l’endettement et à l’inflation
Après une dizaine d’années de hausse continue, les réserves de change de l’Algérie sont en recul. Rongées par la hausse des importations de biens et de services et la chute des cours du pétrole, elles ont chuté de 32 milliards de dollars entre fin juin 2014 et mars 2015. Les réserves de change selon le FMI ont évolué ainsi. en milliards de dollars : 110 milliards de dollars en 2007, 143,1 en 2008, 148,9 en 2009, 162,2 en 2010, 182,2 en 2011, 190,7 en 2012, 194,0 en 2013, 178,94 milliards de dollars au 31 décembre 2014, à 159,918 milliards de dollars fin mars 2015 contre 194,012 milliards de dollars fin 2013. Encore que certains experts ne s’explique pas la contradiction entre le montant du solde de la balance des paiements et le montant des réserves de change donné par la BA, à moins qu’il y air eu pertes en valeur des placements obligations européenne du fait de la dépréciation de l’euro par rapport au dollar ou de certaines banques privées. Mais d’une manière générale, au u rythme actuel de la dépense publique, de versements de salaires sans contreparties productives, le puisement dans des réserves de change s’établirait entre 30/40 milliards de dollars par an entre 2015/2020, et en cas d’un cours du baril moyen de 60 dollars ces dernières s’épuiseront horizon 2018/2019 et à un cours de 70 dollars horizon 2020, le cas étant plus dramatique à un cours en dessous de 60 dollars.
3.-Risque d’épuisement du fonds de régulation des recettes
Précisons que le dérapage du dinar de 20% par rapport au dollar gonfle artificiellement de 20% le fonds de régulation des recettes calculé en dinars algériens ainsi que la fiscalité hydrocarbures voilant l’importance du déficit budgétaire. Créé en 2000, ce fonds est alimenté par les différences entre le prix du pétrole vendu sur le marché et le prix de référence (37 dollars le baril) retenu par la loi de Finances. Fortement sollicité pour les dépenses d’équipement, le fonds de régulation des recettes est passé de 5 238,80 milliards de dinars à fin 2013, contre 4 773,51 milliards au deuxième semestre 2014 représentant un décaissement de 465,29 milliards de dinars, soit environ 6.1 milliards de dollars. Cette situation s’est aggravée pour le premier trimestre 2015. Selon la banque d’Algérie, les ressources du Fonds de régulation des recettes ont été largement entamées pour couvrir le déficit budgétaire qui s’est élargi au premier trimestre 2015 (476,8 milliards de dinars), alors qu’il était de 432,3 milliards de dinars au premier trimestre de l’année 2014, s’établissant certainement à fin juin 2015 à environ 3800 milliards de dinars soit au cours de 95 dinars un dollar à 42 milliards de dollars. Or, la loi de finances 2015 prévoyait un déficit budgétaire de 4.173,3 milliards de dinars, plus de 52 milliards de dollars au cours établi par la loi de finances de 79 dinars un dollar, autrement dit environ 22,1% du PIB, qui devait être alimenté par le fonds de régulation des recettes. Au vu de la conjoncture pétrolière, le déficit sera donc plus important. La loi de finances pour 2015, en réalité, se base sur un cours de 110/115 dollars le baril (37 dollars étant un artifice comptable peu réaliste). Or sur la base d’un cours de 60 dollars le baril, le fonds de régulation des recettes au rythme de la dépense actuelle devrait s’épuiser dans 24 mois et à un cours entre 60/ 70 dollars dans 36 mois, d’où l’importance d’une rationalisation des choix budgétaires pour éviter une dérive économique qui entrainerait forcément de fortes tensions sociales.
4.-Risque de retour à l’inflation
Comme conséquence de la baisse des réserves de change, nous assistons au dérapage du dinar et une tendance inflationniste que l’on comprime provisoirement par des subventions et des transferts sociaux mal ciblées et mal gérées, environ 60 milliards de dollars en 2014 soit 27/28% du PIB, mais jusqu’a quand ? Pour la banque d’Algérie, serait passé de 3,82 % à décembre 2014 à 4,62 % à mars 2015. Sans les subventions, mal ciblés et mal gérés le plus pauvre bénéficiant autant que le riche, et facilitant le gaspillage et le trafic aux frontières, l’Algérie étant un des plus gros importateur au monde de céréales et un des pays qui subventionne le plus les carburants le taux d’inflation en 2014 dépasserait les 10%. Par ailleurs, ce taux d’inflation officiel est biaisé, devant l’éclater par produits selon le modèle de consommation par couches sociales, fonction de la stratification du revenu national. Ce processus inflationniste est accéléré par le mouvement erratique du dinar par rapport tant à l’euro que le dollar qui connait une cotation ayant perdu près de 20% de sa valeur en glissement annuel depuis juillet 2014. Il existe une corrélation d’environ 70% entre la valeur actuelle du dinar et ce stock de devises via la rente des hydrocarbures, autrement, le dinar flotterait à une parité de 300/400 dinars l’euro où existe une disparité importante entre le cours officiel et le cours sur le marché parallèle de la cotation du dinar algérien avec un différentiel variant entre 45 et 50%. Cette dépréciation du dinar se répercute tant sur le pouvoir d’achat des ménages pour les produits importés, que des opérateurs qui ne disposent que de très peu de visibilité sur les perspectives d’évolution de la valeur de la monnaie nationale. Ces derniers sont exposés aux risques de change, la réglementation de la Banque d’Algérie ne permettant pas l’achat à terme de devises devant trouver une solution pour ne pas décourager l’investisseur productif qui a besoin de visibilité à moyen terme. Qu’en sera t-il avec la chute du cours des hydrocarbures avec un système bancaire dominé à 85% par les banques publiques et comment intégrer par des mécanismes réalistes la sphère informelle contrôlant 65% des segments de produits de première nécessité et plus de 40% de la masse monétaire en circulation avec des intermédiaires financiers informels prêtant à des taux d’usure ? Au moment où le ministre des finances parlent de l’obligation de paiement par chèques, le rapport récent de la banque d’Algérie contredit cette vision puisque nous assistons à une méfiance des ménages vis à vis du secteur bancaire puisque les retraits ont été massifs Ainsi, le premier trimestre 2015 a enregistré une forte contraction de la liquidité bancaire (-544,1 milliards de dinars) due essentiellement à la baisse des dépôts des secteurs hors hydrocarbures et, pour une faible part, à la baisse des dépôts de l’entreprise nationale des hydrocarbures, obligeant la Banque d’Algérie à résorber cet excès de liquidité sur le marché monétaire.
5.-Quelle conclusion tirer ?
Avec un territoire de 2,5 millions de km², de plus de 39 millions d’habitants au 1er janvier 2015, une prévision de 50 millions en 2030, l’Algérie a une dette extérieure de moins de 2% du PIB et des réserves de change même en forte baisse, bien utilisée, peuvent éviter le scénario dramatique de l’impact de la chute du cours du pétrole en 1986 : crise économique, sociale, politique, cessation de paiement et rééchelonnement en 1994. Il s‘agira impérativement de redéfinir les priorités et d’avoir surtout une vision stratégique et le problème central pour l’Algérie entre 2015/2025, est de réaliser la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, fondée sur l’économie de la connaissance, des entreprises compétitives, l’État de Droit et la bonne gouvernance. L’on devra éviter les changements perpétuels de cadres juridiques, démystifier l’apport du privé national et international créateur de richesses, devant privilégier des co-localisations et des co-partenariats gagnants/gagnants public/privés local/international s’insérant dans le cadre des valeurs internationales. Mais cela suppose qu’existe une volonté politique de profondes réformes structurelles permises par une mobilisation sans faille de tous les acteurs économiques, politiques et sociaux. Le but, tenant compte des différentes sensibilités, en ces moments de grands bouleversements géostratégiques, sera de rassembler et non de diviser. Le langage de la vérité, sera l’exigence fondamentale pour surmonter les ajustements économiques et sociaux inévitables entre 2015/2020.