C’est la psychose en Kabylie. L’insécurité règne au quotidien.
La région enregistre, depuis le début de la saison estivale, une moyenne de quatre attentats chaque semaine. Aucune localité n’est épargnée. Du littoral d’Azeffoun aux monts de Michelet, en passant par les plaines d’Azazga, Naciria et Bordj Menaïel, les criminels sèment la terreur.
À trois semaines du mois de Ramadhan, les groupes armés amplifient leurs actions pour cibler les services de sécurité et gâcher ce qui reste d’un court été. Un climat de tension angoissant s’y installe. Comme chaque été.
Lundi 4 juillet 2011. Il est 6h du matin. Sur l’axe autoroutier menant de Boumerdès à Tizi Ouzou, un dispositif impressionnant de policiers est dressé sur une vingtaine de kilomètres. Visite d’un officiel ou ceinture sécuritaire pour une région qui venait de subir au moins six attentats terroristes, le tronçon de Bordj Menaïel est jalonné par des voitures de police et des chars pneumatiques visibles. Le climat lourd de cette matinée, qui a par ailleurs connu une légère averse, plutôt de la pure boue au lendemain d’une canicule, prête à toutes les lectures, sauf à la quiétude. La route est quasiment vide. Dès l’évitement des Issers, les quelques automobilistes matinaux appuient sur le champignon pour gagner les minutes perdues à Tidjelabine et à Thénia.
À l’entrée de la ville des Genêts, la circulation est fluide. Y compris devant les barrages de contrôle de police de Boukhalfa et de la Gendarmerie nationale d’Oued Aïssi. Il est 7h tapantes, nous prenons de l’altitude. Direction Larbaâ Nath-Irathen (ex-Fort national) et Aïn El-Hammam (ex-Michelet). La circulation automobile est légèrement dense. Zéro barrage de contrôle, à l’exception de celui de Thaourarine (les collines), nous entamons les chemins sinueux de la Haute-Kabylie. À première vue, le calme y règne. Un faux calme au vu des prochains développements sécuritaires. Et c’est le cas à travers tous les villages que nous avons chevauchés en cette clémente matinée. Le climat prête à la sortie, à une virée au village de Michelet. Les gens vaquaient à leurs occupations. Au centre-ville, les policiers en faction régulent la circulation automobile qui, vers 10h30, devient ingérable.
Zéro suspense et soudain l’attentat !
Les fêtes et les sorties obligent, les policiers se déploient pour gérer les points noirs de la cité. Surtout au nord de la ville, plus exactement au rond-point où taxis, bus et fourgons (toutes destinations) s’amassent dès le chant du coq. 11 heures dépassées de quelques minutes, une rafale retentit. Les policiers viennent d’accrocher un terroriste qui s’apprêtait à quitter la ville en partance vers les hauteurs de la ville. Le criminel n’est pas seul puisque les tirs fournis de part et d’autre renseignent sur l’existence d’un autre individu qui le couvre et rodait dans les environs.
L’accrochage ne durera que quelques instants. Le temps d’abattre ce scélérat et d’enregistrer deux défections dans les rangs de la police. L’un d’eux succombera juste après son évacuation au secteur sanitaire d’Aïn El-Hammam (ex-Saint-Eugène). Atteint d’une balle à bout portant, ce jeune policier ne survivra pas à ses blessures. Excités et pris de colère, les citoyens exigent de brûler sur la place publique le corps du terroriste abattu. Chose qui pouvait compliquer l’identification de ce “Tango” et qui ne permettrait pas aux investigations d’avancer. Entre-temps, le policier blessé, très intrépide, résistera à la blessure et échappe à la mort. La panique prendra le relais. Les Patriotes arrivent en force. L’alerte donnée, les barrages de l’ANP, de la gendarmerie et de la police sont renforcés. Partout. La rumeur va bon train dans une ville envahie par la population qui vient s’enquérir de la situation. Les villageois investissent l’hôpital pour s’informer de l’état du policier blessé, surtout que ce dernier est très apprécié par la population locale. Michelet est désormais verrouillée.
La psychose s’installe, notamment après les nouvelles, info ou intox, émanant d’Iferhounène, d’Azazga, de Mekla et de Larbaâ Nath-Irathen où on fait état d’opérations synchronisées et de diversion des groupes armés. Le mot d’ordre donné, l’heure est au ratissage. Mieux, à la vigilance. Identifié, le terroriste fait partie d’un groupuscule chargé de glaner les armes. Pour preuve, le criminel qui venait d’assassiner le policier a récupéré une arme avant de prendre la fuite.
“Nous ne comprenons plus rien. Chaque été, les terroristes investissent nos montagnes et nos forêts. La semaine dernière, c’était à Azazga. Ensuite, et à deux reprises, à Bordj Menaïel. Heureusement que nous n’avons jamais baissé la garde et nous avons gardé nos armes. Sinon, c’est la catastrophe. La Kabylie est devenue invivable à cause de ces énergumènes qui bénéficient de grandes complicités. On ne sait plus à quelle heure il faut sortir ou à quel moment faut-il rentrer. À n’importe quel moment, ils peuvent surgir. Ils sont imprévisibles et lâches”, nous dira ce sexagénaire venu de France pour passer ses grandes vacances. Un autre témoin de la scène de l’accrochage renchérit : “S’ils ont frappé simultanément à Aïn El-Hammam et dans d’autres localités, cela veut simplement dire qu’ils veulent faire parler d’eux et mettre la pression pour libérer leurs acolytes des prisons. Nous ne céderons pas ! Un terroriste restera à jamais un terroriste.”
Éternel calme précaire,
jusqu’à quand ?
À Michelet, comme partout en Kabylie, chaque attentat terroriste relève de la stratégie des islamistes armés et qui font du chantage pour se faire entendre. De calme précaire en calme précaire, ils continuent à croire en la lutte antiterroriste non sans dénoncer les mesures de clémence à l’égard de ces irréductibles. Un autre citoyen peste : “À chaque fois que le calme dure quelques semaines, on ressent comme une menace qui se prépare dans les maquis. Il faut le dire, mais il faut aussi l’écrire par devoir, les gens devront davantage dénoncer les complices. Ces terroristes viennent de Dellys, de M’sila, de Batna, de partout ! Ils ne connaissent ni notre topographie, encore moins nos habitudes. Alors basta !” La nuit tombée, les chemins sinueux sont bouclés.
La dépouille mortelle du policier, lâchement assassiné à la fleur de l’âge, sera acheminée vers Aïn Defla dont il est originaire. Une image, une brave image, s’efface d’un décor sécuritaire des plus sinistres au service d’une cause juste, mais la vie continue. Les mines défaites, les citoyens désertent la ville alors que la plupart des commerçants ont baissé rideau. À Azazga, la population n’est pas près d’oublier cet attentat contre une troupe de l’ANP et la bavure qui s’en est suivie, dont a été victime un père de famille. À Bordj Menaïel, une innocente citoyenne a péri sur le lieu de l’explosion d’une bombe. Idem à Naciria ou encore à Azeffoun où la saison estivale risque d’être compromise à cause des attentats à la bombe. Le parallèle étant établi, la Kabylie enregistre, depuis le début de la saison estivale, une moyenne hebdomadaire de trois à quatre attentats. Aucune localité n’est épargnée. Avec un décompte macabre de plus de 20 attentats, 15 morts et plus de 30 blessés, la Kabylie sombre de nouveau dans la psychose. Une folie que les touristes, au même titre que les populations locales et les émigrés en vacances, craignent le plus. L’impression exprimée, les actes condamnés, les populations locales réitèrent leur solidarité et leur exigence d’éradiquer ce mal. Surtout que la recrudescence des actes terroristes se fait ressentir au jour le jour pour gâcher encore des vies humaines dans une Kabylie belle et… rebelle !