Après le black-out de l’EI : La chirurgie esthétique est à la mode à Mossoul

Après le black-out de l’EI : La chirurgie esthétique est à la mode à Mossoul

Pendant trois ans, les femmes devaient se couvrir intégralement de noir et les hommes arborer une barbe. La chirurgie esthétique était un «péché» et les centres de beauté fermés. Aujourd’hui, à Mossoul, les implants capillaires et les liftings font fureur.

Les premières cliniques d’esthétique ont fait leur apparition à peine quelques semaines après la libération en juillet 2017 de cette grande ville du nord irakien, qui a vécu plusieurs années sous la férule du groupe Etat islamique (EI). Au total, cinq établissements ont ainsi ouvert à Mossoul en moins d’un an et demi. La ville a vu surgir des enseignes clinquantes vantant les mérites des lasers, des injections et de différentes méthodes chirurgicales pour redessiner un front bosselé, faire renaître une chevelure ou atténuer les traces de brûlures ou des marques sur la peau. Raji Najib, un Syrien installé à Mossoul, voulait venir à bout de sa calvitie. Il a fini par se laisser convaincre par plusieurs amis, dont les crânes avaient été regarnis grâce à des implants posés dans un établissement local. «Ils m’ont dit que les équipements étaient modernes, les soignants compétents et les prix attractifs», affirme à l’AFP cet employé du secteur privé de 40 ans.

Du plasma pour rajeunir

A Mossoul, pour des implants capillaires, il faut débourser 800 dollars (705 euros), suivi post-opératoire inclus. A quelques dizaines de kilomètres de là, à Erbil – la capitale de la région autonome du Kurdistan – ou en Turquie voisine, il faut compter au moins 400 dollars de plus (350 euros), auxquels s’ajoutent les frais de déplacement. Pour de simples injections de plasma, une technique de rajeunissement censée prévenir la chute de cheveux au bout de trois à six séances, il faut compter l’équivalent de 63 dollars (55 euros) par séance à Mossoul, quand à Erbil c’est au moins 20 dollars (17 euros) de plus. Ces écarts de prix reflètent le contexte socio-économique à Mossoul, une cité minée par les années de guerre et où le marché de l’emploi est bien peu vaillant, des bas salaires au chômage galopant. Outre des tarifs plus attractifs, plaide encore M. Najib, «les cliniques à Mossoul m’ont facilité la vie car je n’ai pas le temps pour voyager» jusqu’au Kurdistan voisin, à Bagdad ou à l’étranger, comme le faisaient jusqu’alors tous ceux qui voulaient recourir à la chirurgie esthétique.

Car, bien avant l’EI, dans l’Irak sous embargo où les milices et les groupes jihadistes se livraient à des violences communautaires, seules de rares opérations de chirurgie réparatrice avaient lieu à Mossoul. Et pour avoir accès à la seule unité chargée de telles procédures médicales, il fallait prouver une gêne occasionnée par un handicap de naissance ou un grave accident. Aujourd’hui, les cinq cliniques d’esthétique de la ville ne désemplissent pas. Des clients de tous âges – surtout des hommes – se pressent dans ces établissements aux lumières criardes et au décor ultra-chargé. Seringue en main, une employée du centre Shahrazad (Shéhérazade) injecte du plasma dans le cuir chevelu d’une femme qui serre les dents. Comme cette dernière, ils sont plus d’une dizaine de clients à venir chaque jour pour des soins dans cet établissement, assure la direction. Mouhannad Kazem, un Mossouliote de 40 ans qui dirige le centre Razane, est le premier à s’être lancé dans ce business. Sa clinique propose aussi des soins dentaires, notamment des blanchiments. Son argument de vente? «Des professionnels venus du Liban, et des traitements et machines importés de l’étranger», dit-il à l’AFP.

Blessés de guerre

La direction provinciale de la Santé assure surveiller de près ces cliniques esthétiques qui, de fait, remplacent les hôpitaux dans de nombreux cas. L’offre médicale à Mossoul s’est en effet considérablement réduite lors des trois années de règne du «califat» autoproclamé par l’EI et des neuf mois de combats dévastateurs pour déloger ce groupe de la ville. Depuis l’arrivée des jihadistes en 2014, le nombre de lits d’hôpitaux à Mossoul a été divisé par plus de deux, passant de 3.657 à 1.662, selon la commission provinciale des droits de l’Homme. Au centre Shahrazad, Alia Adnane, une soignante, voit «des problèmes de peau ou de cheveux dus au stress et à la pollution qui a déferlé sur Mossoul sous l’EI puis pendant les combats pour la libération». Mais la clinique esthétique accueille aussi des blessés de guerre portant encore des traces de brûlures dues à des explosions.