Après l’audition en Suisse du général Khaled Nezzar, panique dans la haute hiérarchie militaire

Après l’audition en Suisse du général Khaled Nezzar, panique dans la haute hiérarchie militaire

L’inculpation par un tribunal suisse de l’ancien ministre algérien de la Défense, Khaled Nezzar, pour « suspicions de crimes de guerre » commis entre 1992 et 1999, provoque un vent de panique en Algérie

. Aucun dirigeant, civil ou militaire, impliqués dans la gestion de la guerre civile, n’est aujourd’hui à l’abri de poursuites judiciaires. Contrée de villégiature, pays peu regardant sur les comptes bancaires des dirigeants algériens, la Suisse pourrait désormais devenir une terre infréquentable. Décryptage.

Comment Khaled Nezzar a-t-il été arrêté ?

L’ancien général à la retraite s’est rendu en Suisse afin de consulter, selon sa déposition, son psychothérapeute pour l’aider à arrêter le tabac. A Genève, Khaled Nezzar descend au Beau Rivage un hôtel de luxe classé 5 étoiles situé au bord du Lac Léman. Alerté mardi 18 octobre de la présence de l’ancien ministre de la Défense sur le sol suisse, l’ONG TRIAL prépare un dossier de plainte pénale avant de l’adresser au ministère public de la Confédération à Berne.

En vertu du droit suisse qui autorise la poursuite des violations du droit international humanitaire dès que le suspect se trouve sur le territoire suisse, le ministère suisse décide de procéder à l’interpellation de Khaled Nezzar dans la soirée du jeudi 20 octobre.

Entendu en qualité de prévenu, le soir même et durant la journée du vendredi 21 octobre, l’ex-ministre est sorti libre. Il doit désormais répondre aux convocations de la justice helvétique qui le poursuit formellement pour « suspicions de crimes de guerre » commis en Algérie entre 1992 et 1999.

En cas de non-respect de la procédure, le général à la retraite risque de faire l’objet d’un mandat d’arrêt international.

Où se trouve actuellement Khaled Nezzar ?

L’ex-ministre de la Défense, 74 ans, a quitté la Suisse peu de temps après la fin de son audition vendredi 21 octobre. Des rumeurs avaient circulé sur son exfiltration par avion spécial vers l’Algérie, mais Khaled Nezzar se trouve actuellement en France.

Contacté par l’auteur, il n’a pas souhaité faire une déclaration publique sur l’affaire en cours. « Tout est dans le PV qui a été envoyé à la presse algérienne, affirme Nezzar au téléphone. Je m’exprimerai, si besoin, une fois rentré en Algérie. Nous sommes tous concernés par ces ONG qui déposent des plaintes en Suisse contre les responsables algériens. Pour le moment, je m’occupe de la santé de mes enfants, après on verra. Je sais me défendre et j’ai les arguments pour le faire…»

Quels sont les crimes qui sont susceptibles de toucher les dirigeants algériens ?

Le procès verbal de l’audition de Khaled Nezzar donne un aperçu succinct des poursuites qui pourraient être engagées par la justice suisse contre des responsables algériens.

Massacres, exécutions extrajudiciaires, tortures, disparitions forcées, détentions arbitraires, séquestrations, abus de pouvoir, les crimes sont multiples. C’est que l’intérêt des juges suisses porte sur toute la période allant de 1992 à 1999, à savoir la période couvrant ce qui est communément appelé la « décennie rouge ». Il y a de la marge.

Qui sont les responsables algériens visés par TRIAL ?

Exception faite du président Bouteflika qui n’a pas assumé de fonctions officielles durant la « sale guerre » – il a été élu le 15 avril 1999-, tous pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires dès lors qu’ils mettent un pied sur le sol suisse.Tous!

Si aucun nom n’est pour l’heure cité concernant des plaintes pour crimes, tortures, massacres ou disparitions forcées commis au cours de cette décennie rouge qui a fait plus de 100 000 morts et quelque 20 000 disparus, tous craignent être dans le collimateur de TRIAL, l’ONG suisse spécialisée dans la lutte contre l’impunité des responsables coupables de violations des droits de l’homme à travers le monde.

Dans le collimateur de TRIAL, il y a d’abord les hauts gradés de l’armée algérienne. Du patron du DRS (Département de la recherche de la sécurité), Mohamed Médiene, dit Toufik, aux chefs de régions militaires, en passant par les différents responsables chargés de la lutte anti-terroriste, tous sont susceptibles d’être interpellés un jour ou un autre sur le sol suisse.

A l’instar de Khaled Nezzar, quatre généraux-majors peuvent être visés par une procédure judiciaire : Mohamed Lamari, ex-chef d’Etat-major de l’armée, Abbès Gheziel, ancien patron de la gendarmerie Abdelmalek Guenaizia, et Gaïd Salah, actuel chef d’Etat-major de l’armée.

Si les deux premiers ont pris leur retraite, les deux derniers occupent toujours des fonctions officielles. A la retraite ou encore en exercice, tous ont exercé de très hautes fonctions, à des degrés différentes, entre 1992 et 1999.

Le cas de Guenaïzia, 75 ans, est encore plus particulier et pourrait encore intéresser davantage les juges suisses.

Avant 2005, date de son retour aux affaires en Algérie, l’actuel ministre délégué auprès du ministère de la Défense, surnommé par la vox-populi « le banquier des généraux », était ambassadeur d’Algérie en Suisse.

Toutefois, ces quatre généraux ne sont pas les seuls à être visés par d’éventuelles procédures judiciaires en Suisse. Même Liamine Zeroual, nommé ministre de la Défense en 1994, élu président en décembre 1995 avant de se retirer de la scène politique en avril 1999, pourrait subir les foudres de la justice helvétique.

Sans parler des responsables civils qui avaient occupé des postes de responsabilités dans les départements de la Justice et de l’Intérieur entre 1992 et 1999.

Bref, la liste est longue, très exhaustive.

Quelles sont les affaires recensées par TRIAL sur l’Algérie ?

Jusqu’à présent, l’ONG suisse a recensé 18 affaires. Deux concernent directement la Suisse, deux sont introduites devant le comité contre la torture des Nations unies et 14 autres ont été introduites devant le comité des droits de l’homme de l’ONU.

Les 14 dossiers en cours concernent des cas de disparitions forcées ainsi que des cas des violations de droits de l’homme survenues en Algérie entre les années 1993 et 1997.

Sur son site internet, l’association annonce que d’autres affaires sont en cours de préparation, mais se refuse à rendre public leur teneur.

L’affaire la plus médiatisée est celle de l’ex-ministre d’Etat et chef islamiste, Bouguerra Soltani, poursuivi depuis octobre 2009 à Genève pour tortures présumées sur le journaliste Anouar Malek.

Que prévoit la législation suisse à l’égard des criminels de guerre ?

Selon la nouvelle législation suisse entrée en vigueur en 2011, « il n’est plus nécessaire que l’auteur de crimes de guerre dispose d’un lien étroit avec la Suisse, tel que de la famille ou une résidence secondaire en Suisse. Ainsi, quiconque se trouvant sur le territoire suisse ou qui pourrait y retourner peut être poursuivi par la justice suisse. »

En clair, tout responsable algérien qui se trouve sur le territoire suisse peut faire l’objet d’une interpellation par la police fédérale.

Par ailleurs, selon la justice suisse, les crimes de guerre sont imprescriptibles. La loi du 18 juin 2010 prévoyant l’imprescriptibilité des crimes de guerre, du génocide et des crimes contre l’humanité, l’auteur présumé pourrait être poursuivi tant qu’il est vivant.

Quelle pourrait-être la riposte des responsables algériens ?

Depuis l’annonce de l’arrestation de l’ancien ministre de la Défense, un vent de panique souffle sur Alger. Anciens et actuels responsables civils et militaires redoutent de subir le même sort que Khaled Nezzar.

Alors, on tente de s’informer des procédures en cours, de savoir qui figure sur la liste de TRIAL; on tente de se renseigner sur la législation suisse, de prendre le pouls avec des avocats spécialisés.

C’est que la panique est si grande que de nombreux dirigeants algériens se rendent régulièrement en Suisse pour des soins dans les cliniques huppées ou pour des vacances. Certains y possèdent des biens immobiliers, d’autres des comptes bancaires bien garnis.

Comment faire pour riposter à d’éventuelles procédures ?

Vu la détermination de l’ONG TRIAL à traquer les criminels de guerre, à constater la rapidité avec laquelle le parquet suisse a décidé d’interpeller Khaled Nezzar, la marge de manœuvre est limitée. Très limitée.

Renoncer à la Suisse ou s’y rendre encore au risque de subir le même sort de l’ex-ministre de la Défense. Le choix est limité.