Près d’une semaine après la prise d’otages de Tiguentourine, qui s’est soldée par le décès de 37 étrangers et un Algérien, la vie reprend ses droits dans la paisible ville d’In Amenas, mais l’attaque est au centre de toutes les discussions. Les habitants ne comprennent toujours pas ce qui s’est passé ce jour-là.
La ville d’In Amenas se remet lentement de l’attentat qui a ciblé, il y a une semaine, le site gazier de Tiguentourine. La vie reprend son cours. Jeudi matin, il ne restait pas grand-chose des stigmates de l’attentat qui a fait 38 morts. Les habitants sont sortis se promener comme d’habitude et ce, malgré les rayons ardents du soleil.
En effet, boulangeries, salons de coiffure, épiceries et cybercafés, étaient, hier, bondés, comme nous l’avons constaté de visu. Les gens de la ville préfèrent ne pas parler de cet attentat, histoire d’oublier et de ne pas retomber dans la psychose. «Ce qui est fait est fait. Maintenant, on essaie de tourner la page. Il ne faut pas qu’on éternise cette attaque. Ces mercenaires, ces criminels qui ont tenté de faire exploser le site gazier, le pain des Algériens, seront punis par le bon Dieu.
Ce qu’ils ont fait n’est pas un acte glorieux», dit un habitant de la ville couvert d’un voile et d’un chèche bleu sur la tête. L’homme, issu de la communauté targuie, connu pour son islam tolérant et modéré, n’arrive toujours pas à admettre que sa région soit la cible des terroristes.
«Comme In Amenas est réputée pour sa tranquillité, on n’a jamais imaginé qu’une telle attaque ciblerait notre ville ; et surtout Tiguentourine qui est très sécurisée». Son compagnon, issu de la même tribu, a fait directement le lien entre cet acte ignoble et la situation d’instabilité qui prévaut dans certains pays voisins.
«C’est normal. Avec ce qui se passe au Mali et ce qui s’est passé en Libye, il faut s’attendre à tout. Nous avons une frontière difficile à contrôler et les terroristes profitent de la fragilités des pays frontaliers et circulent librement», dit-il. Un sexagénaire craint le pire avec la guerre au Mali. «La région va devenir un véritable bastion des terroristes. Il est quasi difficile de surveiller la circulation des personnes ici. C’est un immense désert.
La forte présence de l’armée est confrontée à la longueur des frontières», estime-t-il. Loin de céder à la panique, les habitants d’In Amenas ont repris le cours de leur vie. Toutes les boutiques et commerces étaient ouverts jeudi. «Qu’est-ce que vous voulez, la vie reprend ses droits ; en plus on se sent en sécurité avec tous les services qui ont été déployés depuis la prise d’otages», affirme un père de famille.
Passé le choc, les habitants d’In Amenas vaquent à leurs occupations en s’évertuant à dépasser ce traumatisme. Les aéroports d’In Amenas et d’Illizi ont repris leurs activités mais avec une forte présence des policiers. Pas de panique Contrairement à ce que l’on peut penser, les services de sécurité ne sont pas plus visibles que d’habitude.
La présence policière n’est pas renforcée outre mesure dans les rues de la ville. D’In Amenas à Tiguentourine (40 km) il n’y a qu’un seul point de contrôle. Aussi, les va-et-vient des hélicoptères de l’aéroport vers le site gazier ont cessé depuis l’annonce, samedi dernier, de la fin de l’assaut de l’armée pour libérer les otages.
«Les gens de la ville n’ont pas fermé l’oeil pendant la libération des otages, en raison des convois incessants de l’armée et le survol de la ville toute la nuit par les hélicoptères. Maintenant Dieu merci, tout est rentré dans l’ordre», nous dit un habitant. Néanmoins, la frayeur causée par cette attaque est encore au centre de toutes les discussions. Les habitants de la ville n’en reviennent toujours pas que leur cité ait pu être prise pour cible.
Côté polyclinique, le calme est également de retour. L’établissement hospitalier de la ville, autour duquel il y avait une folle agitation, a connu une soudaine accalmie hier après que les dernières dépouilles des otages qui ont péri dans cette attaque eurent été transférées vers la morgue d’El Alia, à Alger, avant d’être rapatriées dans leurs pays respectifs.
Toutes les dépouilles qui se trouvaient au niveau de cette polyclinique ont été identifiées et rapatriées. L’opération a pris fin dans la soirée de lundi à mardi dernier à 2h du matin. Les dernières délégations étrangères, américaine, norvégienne et japonaise, ont quitté In Amenas avec leurs ressortissants, victimes de cette prise d’otages, soit à destination d’Alger ou carrément leurs pays d’origine.
Cependant, les recherches se poursuivent toujours pour retrouver ces 5 employés dont la nationalité n’a pas été précisée par le Premier ministre Abdelmalek Sellal lors de sa conférence de presse. Sur le site de Tiguentourine les travaux de remise en marche de l’usine de traitement de gaz ont été entamés hier.
Le redémarrage total du complexe gazier ne se fera pas avant la fin de l’opération de déminage qui se poursuit toujours sur le site par les éléments des forces de sécurité, car le champ gazier de Tiguentourine s’étale sur plusieurs hectares en plein désert. Selon des responsables du groupement mixte exploitant le site gazier, pas moins d’une semaine est nécessaire pour pouvoir remettre tout en marche et les choses reviennent à leur cours normal.
Une dizaine de travailleurs algériens ont déjà regagné dimanche la base-vie de ce complexe, situé à quelque 250 km du chef-lieu de la wilaya d’Illizi, alors que l’évaluation des dégâts des installations industrielles causés par l’attaque terroriste de mercredi dernier est programmée à partir de ce lundi, dans une première étape, avant de procéder au remplacement des équipements endommagés.
Les traces de l’attentat perpétré mercredi dernier par un groupe terroriste fortement armé ainsi que l’assaut donné par les forces spéciales pour le neutraliser et libérer les otages demeurent visibles à l’intérieur et aux alentours du site. «Le pain des Algériens» Au-delà des considérations humaines, l’attaque d’In Amenas frappe aussi l’Algérie au coeur de sa richesse économique : les hydrocarbures.
Le pétrole et le gaz constituent sa principale ressource. Ils représentent 97% de ses exportations et les deux tiers de ses recettes budgétaires. Les habitants d’In Amenas s’accordent à dire que les terroristes, en voulant faire exploser le site gazier de Tiguentourine, ont touché directement «le pain des Algériens».
«Le gaz et le pétrole sont notre unique ressource. Sans ces richesses, le peuple va crever de faim», dit un jeune chômeur de la ville. «Donc, ce n’est pas un attentat contre les étrangers mais contre le peuple algérien », ajoute-t-il. Car le site gazier, objet de l’attaque, représente 18% des exportations de gaz de l’Algérie.
De fait, la production de gaz du complexe d’In Amenas représente environ 9 milliards de mètres cubes par an, ce qui correspond à 12% de la production algérienne de gaz et 18% des exportations. La valeur marchande de cette production annuelle peut être estimée à quelque 3,9 milliards de dollars au cours actuel.
Une joint-venture entre le britannique BP (45,9%), le norvégien Statoil (45,9%) et la compagnie nationale Sonatrach (8,2%), In Amenas est un site d’exploitation gazière, principalement destiné à l’export. Les forces spéciales de l’ANP n’ont pas uniquement sauvé des vies humaines, mais ont également évité des pertes économiques considérables. Le site n’a pas explosé, des vies humaines ont été sauvées et le drame ne fait plus partie du quotidien des habitants de la ville.
M.A.M.