Affectés par l’incarcération de nombreux cadres, les gestionnaires du secteur public hésitent à prendre la moindre décision sans l’aval de leurs supérieurs hiérarchiques de peur d’être emprisonnés.
En effet, depuis que les scandales relatifs à des actes de corruption ont éclaté dans plusieurs grandes entreprises publiques, la quasi-totalité des dirigeants et managers prennent de grandes précautions dans la prise de décision. Une attitude qui freine parfois le développement de l’entreprise, notamment avec tout ce que cela peut engendrer comme retard.
L’exemple le plus fréquent vient de la part des banques. En effet, les responsables de ces différents établissements, des institutions souvent associées aux entreprises, donc partie prenante dans des éventuels scandales économico-financiers qui peuvent, à tout moment, surgir, «n’ont pas les coudées franches». Principal dommage collatéral : des banquiers activant sous des contraintes et, par conséquent, l’initiative d’octroi de crédits à l’investissement, l’une des tâches importantes de ces établissements, est souvent effectuée avec des retards qui découragent les investisseurs. Ce genre d’attitude a également suscité le débat sur l’acte de gestion au sein de nos entreprises. Plusieurs questions reviennent, depuis longtemps, sur la responsabilité des managers et décideurs économiques à propos de certaines décisions prises. Faut-il mettre en prison chaque manager suite à une décision de gestion au sein de son entreprise ? C’est la question que se posent, en somme, la quasi-totalité des gestionnaires. Les pouvoirs publics sont
interpellés, à cet effet, par plusieurs acteurs économiques du pays pour dépénaliser l’acte de gestion. Réclamée depuis des années, cette doléance est revenue sur le devant de la scène économique du pays depuis, notamment l’éclatement de certains scandales financiers dans plusieurs entreprises du pays (Sonatrach, port d’Alger…). Ces scandales n’ont cessé de mettre en valeur le fait que la pénalisation de l’acte de gestion ne fait que bloquer les gestionnaires dans le processus de prise de décision. Et la nécessité de dépénaliser l’acte de gestion, notamment bancaire, en Algérie est, encore une fois, préconisée aussi bien par les banquiers et les hommes d’affaires que par les hommes politiques. Cette requête est justifiée par le fait que la dépénalisation de l’acte de gestion aidera à libérer les banquiers de certaines contraintes et, par conséquent, à libérer l’initiative d’octroi de crédits à l’investissement.
Faire confiance à l’Etat et à la justice
La recommandation, telle que soulignée par ses défenseurs, peut mettre fin à la peur qui caractérise la prise de décision car, expliquent-ils, elle fait perdre à l’économie un énorme potentiel de financement. Les mêmes sources ajoutent que la dépénalisation de l’acte de gestion ne se fera cependant pas sans garde-fous et la libération de l’initiative bancaire n’empêchera pas la mise en place de
mécanismes de contrôle et de prudence du système financier en Algérie. L’appel du «cœur» de la part des acteurs intervenant dans la sphère économique a eu un écho favorable de la part des pouvoirs publics. En effet, cette doléance a été prise en considération au plus haut niveau de l’Etat. Le premier magistrat du pays a répondu favorablement lors du dernier Conseil des ministres. En effet, M. Bouteflika a décidé de dépénaliser l’acte de gestion lors dudit Conseil. A travers une telle mesure, le président de la République veut réconforter les responsables des entreprises publiques dans leurs méthodes de management. Il souhaite les mettre à l’aise dans leur manière de gérer, loin de toute pression, pour un rendement meilleur. Les managers disposent désormais de cette liberté d’initiative et de prise de risque. «J’invite les cadres et gestionnaires publics à s’atteler sereinement à leur mission, en faisant confiance à
l’État qui les emploie et à la justice indépendante», a déclaré le président de la République au cours de ladite réunion. Pour cela, le chef de l’État a chargé le gouvernement de préparer les dispositions législatives adéquates.
Le but de cette décision est de rassurer davantage les cadres gestionnaires. Il a également mis l’accent sur l’importance qu’il accorde à la préservation des deniers publics et à la lutte contre la corruption.Dès l’annonce de cette décision, les représentants des gestionnaires du secteur public économique s’en sont félicités.
Dans les milieux bancaires algériens, il s’agit d’une excellente mesure prise par le chef de l’Etat. Le délégué général de l’Association des banques et établissements financiers (Abef), M. Abderrahmane Benkhalfa, a déclaré à l’APS que cette décision est un encouragement de premier ordre pour des milliers d’intervenants dans le secteur public économique et bancaire.
Les organisations patronales satisfaites, mais…
«Une telle mesure permettra en particulier de libérer les décisions [des gestionnaires publics] et de tranquilliser les milliers d’opérateurs publics, mais aussi de supprimer la différence entre la gestion publique et celle privée», selon M. Benkhalfa pour qui la levée de cette contrainte majeure va faire «émerger les capacités réelles des managers publics qui vont travailler désormais dans un contexte de compétitivité et de rentabilité économique». Elle aura également un impact positif sur les durées de traitement des dossiers, notamment dans le secteur bancaire réputé pour son risque élevé essentiellement dans l’octroi des crédits, l’évaluation des projets et le contrôle des opérations de commerce extérieur, selon la même source. De son côté, l’Union nationale des entrepreneurs publics (Unep) a qualifié d’acte «majeur» cette décision. Le président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), M. Réda Hamiani, a, pour sa part, déclaré que cette décision était «très attendue» et «réclamée» par les gestionnaires, notamment par les banquiers qui, a-t-il dit, «avaient des marges de manœuvre très restreintes dans la mesure où, à chaque prise de risque, ils encourent de graves peines au niveau du pénal». Du côté des chefs d’entreprise, le P-DG de la compagnie aérienne nationale Air Algérie, M. Abdelwahid Bouabdallah, a mis en valeur la nécessité de déterminer «l’acte normal de gestion non pénalisable» et «l’acte anormal pénalisable». «Il est nécessaire de
déterminer avec exactitude l’acte normal de gestion non pénalisable et l’acte anormal de gestion pénalisable», a-t-il expliqué.
M. Bouabdallah s’est dit contre «l’impunité des actes graves de mauvaise gestion».