Trois semaines après le début de l’intervention de l’armée française au Mali pour en chasser les groupes terroristes, les constats d’exactions militaires à l’égard de certains ex-occupants du Nord-Mali suscitent l’inquiétude. Un climat de vengeance règne au nord du pays, où les Arabes mais aussi les Touareg sont vus comme les complices des «terroristes» d’hier.
Tandis que la reconquête des fiefs djihadistes du nord du Mali se poursuit à marche forcée, les Touareg sont exposés aux représailles. Ainsi en est-il dans la zone frontière où cohabitent nombre d’ethnies. Après l’appel lancé mercredi par la France aux autorités maliennes, le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, déclare que les dissidents d’Ansar Dine sont «disqualifiés» pour dialoguer avec Bamako, mais que le MNLA pourrait faire partie d’une solution politique négociée à la crise – comme le suggère Paris. Une pilule qui sera dure à avaler par l’opinion publique malienne. «Il est évident qu’Ansar Dine s’est disqualifié, il n’est plus éligible au dialogue quel que soit, par ailleurs, le masque que certains d’entre eux ont décidé de porter désormais», a expliqué Traoré sur RFI, jeudi dernier. « Cette histoire de MIA ne correspond à rien du tout. C’est parce que la peur a changé de camp qu’aujourd’hui ils essayent d’échapper à leurs responsabilités», ajoute-t-il. En précisant que de tous les groupes armés présents au nord du Mali, seul le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) peut être un interlocuteur légitime, «à condition qu’il renonce à toutes ses prétentions territoriales». «Le seul groupe avec lequel nous pouvons envisager des négociations c’est certainement le MLNA à condition qu’il renonce à toutes ses prétentions territoriales», a déclaré le président malien. Les indépendantistes touareg n’étant pas prêts, le dialogue risque de tourner court. D’autant que dans le sud du pays l’idée est répandue que le MNLA est à l’origine de la crise, pour avoir pris les armes il y a un an. Sur la mise en œuvre de la Commission de réconciliation tant attendue, la présidence ne donne «ni timing ni contours». Mais le dialogue national est «un préalable nécessaire pour savoir qui veut quoi», dit un officiel à Bamako. Le MNLA a renoncé provisoirement – et du bout des lèvres – à sa revendication d’indépendance pour pouvoir négocier à Ouagadougou avec le médiateur de la Cédéao, Blaise Compaoré. Un rapprochement avec les rebelles touareg pourrait donc s’opérer sous l’impulsion de Paris, qui n’a visiblement pas consulté Bamako lors de l’opération de reconquête de Kidal (1 500 km au nord de Bamako), sans doute par peur des représailles de l’armée malienne vis-à-vis des «peaux blanches». Le MIA (mouvement dissident du groupe Ansar Dine) posait également une condition pour «apporter sa contribution pleine et entière dans la lutte contre le terrorisme, mais aussi dans le règlement définitif de cette crise» : «Que l’armée malienne et les forces de la Cédéao ne pénètrent pas sur le territoire de l’Adrar des Ifoghas, région de Kidal, avant qu’une solution politique ne soit trouvée». Une prétention qui a peu de chance de trouver d’écho, tant du côté de Bamako que de Paris, d’autant que des otages français seraient retenus dans la région montagneuse à la frontière de l’Algérie.
Un «génocide» organisé
La guerre éclair que mène la France au Mali laisse des traces sur son passage. Elle ne serait pas si «libératrice», cette «libérations totale du pays» voulue par les autorités françaises. Dans deux rapports publiés hier, Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) accusent l’armée malienne d’avoir procédé à des exécutions sommaires lors de la poussée des groupes terroristes vers le sud du Mali et de la contre-offensive engagée le 11 janvier par la France. Amnesty International dit avoir réuni des preuves établissant qu’au moins cinq civils, dont trois enfants, ont trouvé la mort lors d’un bombardement aérien mené le 11 janvier à Kona dans le cadre de l’opération conjointe menée par les forces françaises et maliennes, sans pouvoir préciser quelle armée en porte la responsabilité. «Il est absolument impératif que la France et le Mali ouvrent une enquête pour savoir qui a mené cette attaque. Toutes les conclusions devront être rendues publiques de sorte qu’il soit possible de déterminer s’il y a eu ou non violation du droit international», a déclaré Gaëtan Mootoo, chargé du Mali au sein d’Amnesty International. Les enquêteurs d’Amnesty, qui se sont rendu dans les villes de Ségou, Sévaré, Niono, Kona et Diabali, ont aussi enregistré des témoignages selon lesquels le 10 janvier, à la veille du déclenchement par la France de l’opération «Serval», l’armée malienne a arrêté et exécuté une vingtaine de civils, principalement dans la ville-garnison de Sévaré, près de Mopti. Plusieurs corps auraient été jetés dans un puits, ont raconté des témoins interrogés par Human Rights Watch. Selon l’ONG, au moins 13 personnes ont été exécutées sommairement et cinq autres ont disparu entre le 9 et le 18 janvier à Sévaré, Kona et dans les villages environnants. Les forces de sécurité auraient ciblé des civils soupçonnés de liens avec les groupes islamistes armés, souvent sur des faits très ténus comme leur origine ethnique ou leur type de vêtements.
Une guerre peut en cacher une autre
Aujourd’hui, les Touareg parlent de vengeance du Sud envers le Nord et ne mâchent pas leurs mots pour qualifier l’armée malienne de «raciste», de «lâche», d’acteurs d’un «génocide». Bien avant l’opération militaire, le 9 septembre 2012, l’agence de presse touarègue Toumast Press révélait ainsi le «massacre d’Azawadiens (populations du nord du Mali, ndlr) et de Mauritaniens» réfugiés dans le camp de Fassala, à la frontière entre le Mali et la Mauritanie. Selon les Touareg de Toumast Press, «le seul tort» de ces victimes «a été la couleur de leur peau». Alertée par ces «exactions», la communauté internationale s’inquiète désormais, non plus du problème islamiste, mais du futur problème interne au Mali. La libération du territoire n’apportera pas la paix aux populations dont les divisions ne semblent que s’aggraver. Dans toutes les villes libérées par l’armée française de l’occupation terroriste, les soldats maliens n’hésitent pas «à massacrer tous les civils touareg et maures/arabes qu’ils rencontrent. Toumast Press, en collaboration avec la Coalition Touareg et Azawadienne de Communication et d’Information, mène encore des enquêtes pour déterminer l’étendue des massacres», pouvait-on lire dans un article publié par Toumast Press le 28 janvier dernier.
Par Mehdi Aït Mouloud
L’ONU, vers le déploiement de 5 000 casques bleus
Une force militaire devra-t-elle rester sur place au Mali après la fin de l’offensive française ? La question est plus que jamais à l’ordre du jour. La solution la plus probable, discutée en ce moment au Nations unies, est celle d’un contingent de casques bleus, jusqu’à 5 000 hommes, pour stabiliser le nord du pays. Si son déploiement a lieu, les Africains y occuperont sans doute une large place. Pour les diplomates de l’ONU, la philosophie de la résolution 2085 selon laquelle c’est aux Africains de régler la crise malienne ne tient plus. Plutôt que de déployer une force sous le seul commandement africain, la Misma, le Conseil de sécurité veut envoyer des casques bleus. ll s’agit d’une reprise en main de la force internationale directement par l’ONU. Cette force ne sera déployée qu’une fois l’opération Serval terminée. Elle aura pour mission d’empêcher le retour des islamistes, mais aussi d’éviter les représailles contre les Touareg. Le déploiement de ce contingent de casques bleus sera discuté dans les prochains jours avec l’Union africaine, la Cédéao et le Mali. Il pourrait compter jusqu’à 5 000 hommes.
Les otages français dans le nord de Kidal ?
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, s’est exprimé jeudi sur la situation des otages français au Sahel. «Il est probable qu’ils soient dans la région du massif des Ifoghas, dans le nord du Mali. Nous ne perdons jamais de vue, ni d’esprit, ni de sensibilité, le fait qu’il y a des otages français dans ce territoire», a-t-il affirmé. Un territoire où le chef d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali, et l’émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) auraient trouvé refuge, selon une source sécuritaire malienne. Des drones sont déjà à l’action au-dessus de cette région montagneuse, tandis que des soldats français sont positionnés à Kidal, à 1 500 km au nord de Bamako.
François Hollande attendu aujourd’hui au Mali
Trois semaines après le début de l’intervention de l’armée française au Mali pour en chasser les groupes islamistes armés, le président français François Hollande se rendra aujourd’hui au Mali, accompagné de trois ministres. Cette visite survient alors que de nouvelles accusations d’exactions et violations des droits de l’homme ont été portées vendredi contre les parties en conflit au Mali, où les armées française et malienne ont pris en quelques jours les trois grandes villes du Nord : Gao, Tombouctou et Kidal. «Le président de la République se rendra au Mali le samedi 2 février 2013. Il sera accompagné par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian et le ministre chargé du Développement, Pascal Canfin», indique la présidence française. Le communiqué ne précise pas où précisément se rendront le chef de l’Etat et ses ministres.