Maintenant que, sans préjuger des lendemains immédiats de la Libye, il est certain que le régime de Kadhafi et sa Jamahiriya font partie du passé, l’Algérie est l’un des rares pays de la région, sinon du monde, à se confiner dans un silence énigmatique, exactement comme si des évènements historiques ne se déroulaient pas à ses frontières.
La Libye est un pays frontalier de l’Algérie, membre de la fantomatique Union du Maghreb arabe née officiellement en Algérie. Avec le précédent de la révolution tunisienne qui a poussé Ben Ali à l’exil forcé et celui du soulèvement égyptien qui a contraint le pharaon Moubarak à l’abdication, alors même que les dirigeants algériens étaient et restent fortement contestés, comment expliquer leur gestion chaotique, voire même leur non-gestion, d’un dossier aussi important que celui des évènements survenus en Libye, qui n’ont cessé de prendre de l’ampleur depuis le mois de mars ? Comment interpréter leur amorphisme alors qu’ils étaient accusés dans un premier temps par Kadhafi de prêter main forte aux insurgés, avant d’essuyer les mêmes accusations émanant du CNT, leur reprochant d’appuyer militairement et logistiquement le régime du Guide libyen ? Est-ce Dieu possible, pour un pays qui en a vu des vertes et des pas mûres depuis son indépendance, que ses responsables acceptent, sur ce sujet précis, d’être traités comme des vassaux par un ministre français des Affaires étrangères, arrogant à souhait et affirmant que l’Algérie devra lui rendre des comptes et s’en expliquer ! Mais est-ce seulement surprenant, puisqu’en pleine révolution égyptienne, invité à titre de ministre de la République sur une chaîne parlementaire française, à côté d’autres invités sans fonctions officielles, notre chef de la diplomatie se laissait tutoyer par l’animateur qui est allé jusqu’à pousser l’impertinence en lui demandant, sur un ton badin, s’il n’avait pas peur que Monsieur Bouteflika lui “tire les oreilles” ! C’est également une autre manière de dire que le véritable chef de la diplomatie algérienne n’est autre que le président de la République.
L’inconstance
de la position algérienne
On peut comprendre la position officielle de l’Algérie lorsqu’elle émettait des réserves au sein de la Ligue arabe quant à l’intervention occidentale en Libye. Mais est-ce pour autant une raison de rester braqué sur des positions dépassées, forcément contreproductives. Les suspicions, réelles au demeurant, qui pèsent sur la composition et les desseins du CNT dont l’infiltration par des réseaux islamistes est un secret de Polichinelle, ne devaient pas empêcher l’Algérie d’aménager des réseaux de contact avec la rébellion. En particulier, lorsque les partisans de Kadhafi défilaient au quotidien sur la place Verte en brandissant le drapeau algérien à côté de celui de la Jamahiriya, notre diplomatie aurait dû réagir, ne serait-ce que pour être crédible dans sa position officielle de “non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain”. Lorsqu’on invoque la non-ingérence, principe consacré dans les relations internationales au demeurant, le minimum requis aurait été d’observer une équidistance entre les parties en conflit et, surtout, de le faire savoir par une communication permanente, vigilante et sans concession. Maintenant que, sans préjuger des lendemains immédiats de la Libye, il est certain que le régime de Kadhafi et sa Jamahiriya font partie du passé, l’Algérie est l’un des rares pays de la région, sinon du monde, à se confiner dans un silence énigmatique, exactement comme si des évènements historiques ne se déroulaient pas à ses frontières. Des mesures strictement d’ordre sécuritaire ont été prises au lendemain de la chute du régime de Kadhafi pour le renforcement du dispositif aux frontières sud-est. Mais sur le plan politique, aucune déclaration n’a filtré hormis un démenti du MAE sur la prétendue présence de Kadhafi en Algérie. La Tunisie a reconnu le CNT dans la précipitation, sans en référer à Alger ne serait-ce que par une certaine reconnaissance du ventre.
L’opportunisme marocain
Le Maroc vient d’en faire autant et a même dépêché un émissaire de haut rang à Benghazi pour assurer les nouvelles autorités libyennes de sa coopération. Le royaume chérifien a beau jeu dans cette affaire, sachant que l’Algérie a perdu en Kadhafi un précieux allié dans le dossier du Sahara occidental. Avant cela, la Ligue arabe s’est également positionnée. À Alger, le drapeau du CNT flotte sur l’ambassade libyenne sans susciter la réaction des dirigeants tandis qu’à Tripoli l’ambassade algérienne est mise à sac. Dans la foulée, le minuscule État du Qatar, complètement impliqué auprès de l’Otan et du CNT, donne un camouflet à Alger en refusant la délivrance de visas aux Algériens, sans que notre diplomatie songe seulement à laver l’affront… Au final, l’Algérie est isolée dans la région et au sein de la Ligue arabe, sans compter que l’Occident la scrute avec beaucoup de suspicion capable de se muer en hostilité ouverte. À la frontière fermée à l’Ouest pour cause de tensions avec le voisin marocain et aux frontières sud peu sécurisées au regard des activités terroristes d’Aqmi dans la région du Sahel, vient donc s’ajouter l’héritage d’une autre frontière dangereuse à l’Est, la Libye étant désormais un arsenal à ciel ouvert et ses nouveaux dirigeants passablement remontés contre Alger.
Ce n’est pas la première fois que l’Algérie décide d’aller à contre-courant de l’histoire. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, alors que le monde entier attendait d’elle la confirmation de sa politique d’éradication du terrorisme islamiste, elle a préféré, contre toute logique et contre toute attente, prôner la réconciliation dont on connaît les résultats. Dans le fond, pour les dirigeants algériens, le monde s’est figé dans les années 1970. Le propre de la diplomatie d’un pays est de défendre au mieux les intérêts de celui-ci. Or, si le culte du secret et du silence pouvait payer dans des époques révolues, il s’agit désormais de la pire attitude à adopter dans un monde globalisé où l’information est disponible partout et en temps réel.