L’espoir du scrutin de la stabilité et de la transition démocratique s’est envolé.
Lassés par une décennie de crise aux effets ravageurs, les Ivoiriens redoutent la réédition du scénario du pire : la partition entre le Sud aux mains du président Gbagbo, confirmé dans son poste par voie de décision constitutionnelle et soutenu par l’Armée, et le Nord acquis au président Alassane Ouattara, démocratiquement élu, conforté notamment par le ralliement du leader de la rébellion regroupée dans les Forces nationales (FN) et assuré d’une légitimité internationale que lui confère la caution massive des instances internationales (Onu, Union européenne et Union africaine), régionales (la Cedeao, francophonie), et les grandes puissances (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne).
En dépit de l’accalmie naissante, contenue dans l’ouverture des frontières aériennes, les incertitudes planent sur un pays divisé et secoué de spasmes violents La situation inédite du pouvoir bicéphale qui trouve son prolongement dans l’existence de deux gouvernements diamétralement opposés, l’un nommé par le président démocratiquement élu, Lassane Ouattara, sous la conduite du leader du FN Guillaume Soro, et l’autre par le président sortant Gbagbo confiant les rênes de son exécutif à l’universitaire Gilbert Marie N’Gobo Ake, traduit la complexité de la crise de légitimité politique, constitutionnelle et institutionnelle.
Les fondements de l’Etat ivoirien en transition sont gangrenés par la profonde rivalité des «deux présidents» d’un pays menacé d’implosion. «La situation est grave», reconnaît l’émissaire de l’UA, Thabo Mbeki, arrivé à Abidjan le jour même de la proclamation des «deux gouvernements» et, en médiateur avisé, affairé à empêcher le retour à la guerre. Mission impossible, tant les positions des protagonistes restent inconciliables ? Au sortir du palais présidentiel où il a été reçu par Gbagbo, Thabo Mbeki a affirmé sa volonté d’«entendre tous les points de vue sur le sujet avant de pouvoir faire la moindre recommandation».
Dans le camp de Lassana Ouattara, travaillant à l’isolement interne de son rival accusé de «putsch constitutionnel» en ratissant large dans les milieux du président du «fait accompli», l’exigence de la normalisation passe par le départ de Gbagbo et le respect de l’alternance. «J’ai dit clairement au président Mbeki, a déclaré Ouattara, que je suis le président de la République de Côte d’Ivoire et que je le reçois à ce titre et que je lui demande de demander à M. Laurent Gbagbo de ne pas s’accrocher au pouvoir». La radicalisation de la situation en Côte d’Ivoire laisse craindre le pire. Le bras de fer entre le président sortant, confiné dans un splendide isolement interne et international, et le vainqueur du scrutin décrétant, par la voie du commandant des FN, Chérif Osmane, ne pas «rester longtemps les bras croisés», risque à tout moment de dégénérer. Dans plusieurs villes, à Abidjan et à Bouaké «capitale des ADO», du nom complet d’Alassane Ouattara, des manifestations ont eu lieu heureusement sans gravité. Mais la panique gagne les capitales occidentales déconseillant à leurs ressortissants de se rendre en Côte d’Ivoire (Etat-Unis, Belgique), décidant de mesures de sécurité ou se déclarant en état d’alerte maximale (France).
La gravité de la situation a amené la Bad, la Banque mondiale, à s’interroger sur la pertinence de la poursuite de l’aide dans un communiqué commun, il est souligné que «la crise fera tomber beaucoup plus les Ivoiriens dans la pauvreté et causer du tort à la stabilité et la prospérité de l’Afrique de l’Ouest». Le FMI a tout simplement refusé de travailler avec le gouvernement non élu de Laurent Gbagbo. Au bord de l’implosion, le pays aux deux présidents et deux gouvernements sera-t-il livré au chaos destructeur ?