Après la mort de Kadhafi “Déni d’humanité”

Après la mort de Kadhafi “Déni d’humanité”

Saddam Hussein a été exécuté un jour de fête du… sacrifice, chère au cœur de tous les musulmans. Du moins a-t-il eu droit à une sépulture. Hosni Moubarek a été présenté à la justice (?) sur une civière.

Du moins a-t-il eu droit à une défense. Khadafi vient d’être lynché, avec son fils, avant d’être achevé et exposé à la curiosité malsaine du… monde entier, comme un exceptionnel trophée de guerre. Encore se dit-il qu’il sera inhumé dans un endroit secret, quand le cri d’Antigone a traversé les siècles, parce qu’elle a osé braver le courroux de Créon qui avait refusé toute sépulture à son frère. Elle avait signé la naissance du droit naturel, accoucheur des futurs droits de l’Homme, dont on nous assure qu’ils sont de tous les temps, de tous les lieux et pour tous les hommes. Mais Khadafi en était-il un pour les maîtres du monde qu’on entend pérorer sur le procès manqué (de préférence devant la CPI). Sans un mot de compassion ou de commisération pour ce qui reste d’humain dans tout homme broyé par le destin ?

En attendant, les images indécentes dont on continue à nous abreuver jusqu’à l’écœurement n’ajouteront rien à la gloire des vainqueurs. Bien au contraire, elles les ramènent, si ce n’est plus bas, au niveau du vaincu. Passant par pertes et profits, le spectacle insoutenable du cadavre ensanglanté, la Grande-Bretagne vient de s’illustrer en demandant (au nom de qui ? de quel droit ?) à l’Algérie d’extrader les membres de la famille de Khadafi réfugiés sur notre territoire. Il fallait le faire, de la part d’un État qui a accueilli à bras ouverts la famille de Bachar al-Assad pendant que le sang coule à flots en Syrie. Au fait, et tant qu’on y est, qui aura l’outrecuidance de réclamer à l’Arabie Saoudite l’extradition de Ben Ali et des siens ?

Qu’on ne s’y trompe pas. Ces propos ne sont inspirés par aucune sympathie pour des dictateurs qui, plus qu’à leur tour, ont saccagé leur pays et asservi leur peuple.

Le 26 février 2011, alors que l’issue de la jeune révolution libyenne était incertain et qu’on pouvait craindre le pire de la réaction du despote de Tripoli, j’ai fait paraître dans Liberté un billet d’humeur intitulé “Notre ami le roi des rois d’Afrique”, comparé à un mélange de Néron et de Caligula, en dénonçant son népotisme, son passé terroriste et la mise en coupe réglée de son pays.

Je n’en suis que plus à l’aise pour m’élever contre son lynchage et son exposition, comme je l’avais fait contre la sinistre mise en scène du procès Moubarak et, en son temps, la mise à mort de Saddam Hussein, ce criminel dont je n’oubliais pas pour autant qu’il n’avait pas hésité à gazer son peuple.

Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain, on ne construira rien de valable sur la vengeance, l’humiliation et les bas instincts. Les bourgeons du printemps, fut-il arabe, ont besoin d’une autre sève que ces débordements empoisonnés pour éclore.

Vous avez dit extradition ?

Je vous réponds droit

Observons d’abord que l’Algérie a accueilli les membres de la famille Kadhafi pour des raisons humanitaires. N’en déplaise à tous les censeurs d’ici et d’ailleurs, elle a eu mille fois raison de ce faire, sachant désormais le sort qui leur aurait été réservé, à la lumière de ce qui vient de se passer à Syrte et à Misrata.

Tant pis si je froisse quelques belles âmes, je n’aurais pas été choqué outre mesure si mon pays avait accueilli… le diable en personne.

Les souffrances du peuple frère de Libye en auraient été abrégées, avec, en prime, l’économie de l’abominable curée.

N’en déplaise au haut représentant de sa gracieuse Majesté, l’Algérie est tenue par ses lois autant que par ses engagements internationaux. Dans un cas comme dans l’autre, elle voudrait lui complaire, comme à la prochaine demande du CNT, que sa législation le lui interdirait.

En effet, dès lors que les Kadhafi sont entrés en Algérie avec l’accord des autorités, leur séjour chez nous est parfaitement légal, quel qu’en soit le statut.

Si comme on est en droit de le penser, ils sont au bénéfice du droit d’asile, ils sont totalement protégés par la Constitution (excuser du peu) dont l’article 69 dispose, on ne peut plus clairement, qu’“en aucun cas, un réfugié politique bénéficiant légalement

du droit d’asile, ne peut être livré en extradiction”.

Leur présence en Algérie relèverait-elle d’une simple tolérance qu’ils sont encore protégés par la Constitution et les lois subséquentes. Ainsi, l’article 68 de la loi fondamentale renvoie en la matière au respect de la “loi d’extradition”.

Précisément l’article 698 du code de procédure pénale dispose que “l’extradition n’est pas accordée… lorsque le crime ou délit a un caractère politique, ou lorsqu’il résulte des circonstances que l’extradition est demandée dans un but politique”.

Sachant qu’à ce jour aucun crime ou délit n’est reproché à l’un quelconque des membres de cette famille, sinon d’être les proches parents de qui vous savez, il tombe sous les sens que toute démarche en ce sens du CNT serait d’inspiration politique, pour ne pas dire politicienne. Ultima ratio, l’Algérie et la Libye sont liées par une convention judiciaire depuis le 12 novembre 1995, dont les dispositions sont supérieures à la loi interne, conformément à l’article 132 de la Constitution.

Or, l’article 133 de cette convention commande également de refuser l’extradition lorsque l’infraction alléguée est de nature politique ou que l’extradition est réclamée dans un but politique.

Il relève donc de l’évidence qu’une telle mesure n’est pas d’actualité, et ne saurait l’être en toute hypothèse, nonobstant les “amicales” pressions qui se dessinent.

M. B.