Après des élections historiques,La Tunisie passe au vert

Après des élections historiques,La Tunisie passe au vert

Des irrégularités ont été constatées par les observateurs. Quelle en est réellement l’importance?

Sans surprise et loin de se tromper, le parti tunisien Ennahda sortira vainqueur de ces élections avec une majorité écrasante où, jusqu’à hier en début de soirée, les résultats n’étaient pas encore dévoilés.



C’est un fait. Nul ne peut contester ce succès. Dans les milieux les plus populaires certes. Mais pas seulement. La classe moyenne, une partie de l’élite également, a été séduite par ce mouvement.

Y compris les jeunes Tunisiens en quête d’identité. De quoi décourager plus d’un militant de gauche. L’une des raisons de ce succès, il faut le dire, réside dans le fait que l’on a, à coup sûr, diabolisé ce parti, ce qui lui a permis d’avoir plus de popularité. Le parti Ennahda a revendiqué dès lundi une position dominante sur le nouvel échiquier politique tunisien, annonçant un score entre 30 et 40% au sein de l’Assemblée constituante élue dimanche, neuf mois après le soulèvement populaire qui a provoqué «la fuite» de Ben Ali et lancé «le Printemps arabe». Surprise du CPR de Moncef Marzouki? Pour la majorité, oui, mais en analysant la campagne électorale, ce parti qui n’a pas trop déboursé d’argent lors de la campagne, a su renverser la vapeur par un discours diplomate et intelligent. Contrairement à tous les autres partis en course, visiblement, Moncef Marzouki, à chaque fois qu’il s’adresse à la population, l’invitait à voter non pas pour son parti mais pour celui qui correspond à ses idées et idéologies. C’est cela qui a donné cette popularité extraordinaire à ce parti en deux semaines avant les élections. «Raz-de-marée pour Ennahda», affirmait en Une mardi le quotidien arabophone Chourouk, tandis que le Maghreb indépendant (arabophone) titrait: «Ennahda sur les marches du pouvoir?», avec une photo récente du leader Rached Ghannouchi passant devant un garde présidentiel au garde-à-vous.

Côté population, on a fait parler quelques personnes qui se réclament démocrates et laïques. Les Tunisiens sont-ils contents? Comment réagissent-ils face aux prévisions donnant Ennahda comme parti gagnant? Ont-ils peur? Que pensent les femmes tunisiennes? Les avis sont pourtant mitigés. «Je ne suis pas du tout content de ce qui se passe. Ils ont acheté les voix des électeurs», affirme Lotfi, sympathisant du PDP. Les traits encore tirés par la fatigue cumulée au cours de la campagne, déçu, il est avant tout en colère contre les siens. «Ils se sont laissés acheter par les militants d’Ennahda qui ont distribué de l’argent. Je l’ai vu de mes propres yeux! Les Tunisiens n’ont rien compris. Ils ne comprennent que les discours de l’argent.»

«Oui, j’ai peur, dit-il, tant qu’ils ont commencé par la fraude». C’est pourtant tout le contraire pour Nadia, psychologue, la tête nue et habillée en femme moderne. «J’ai voté Ennahda même si je donne l’air d’une femme moderne. C’est un parti qui a milité depuis 40 ans et présente un programme politique et socio-économique convaincant. C’est la première fois qu’ils prennent leur chance après avoir été lésés sous Bourguiba et Ben Ali.» Asma, 21 ans, étudiante en physique, avoue en toute démocratie: «Je suis contente non pas parce que les résultats ne sont pas encore publiés, mais pour le grand nombre des votants. Pour moi, c’était logique que Ennahda allait gagner les élections pour ses principes logiques.

Du coup, je n’ai pas peur tant qu’il y a le respect des libertés et que chacun est libre de la façon d’être.» Mêmes impressions de Maha, 23 ans et étudiante elle aussi: «Je suis contente du fait que c’est la première fois qu’on vote librement et aussi de la façon dont se sont déroulées les élections. Pour elle, qu’Ennahda gagne ne constitue pas un problème « »l’essentiel » est qu’il donne un plus pour le pays. Il faut donc respecter le jeu démocratique. Mabrouk pour lui», a-t-elle renchéri. Bebia, cette cadre de 46 ans, est furieuse: Je ne suis pas contente mais je ne remets pas en cause un choix populaire.

Toujours est-il qu’il y a eu une manipulation de la masse populaire. Le parti Ennhada a touché ce qu’il y a de plus sensible et sacré chez les Tunisiens.» Bebia a peur et estime que l’inquiétude est présente. «Je n’arrive pas à faire confiance à ces gens-là parce qu’ils veulent régner en usant de la religion qui est de l’ordre du personnel», a-t-elle déclaré tout en soulignant que «nous les femmes tunisiennes modernes, sommes révoltées et prêtes à ne rien céder de nos droits pour lesquels on luttera jusqu’au bout».