L’achat de voix d’électeurs par toutes formes de bakchich, une pratique renouvelée à chaque consultation, devait inéluctablement produire des “élus” à vendre.
Elles ne se sont pas distinguées par une meilleure organisation ou par une plus grande transparence que de coutume, encore moins par une participation massive des électeurs, mais les élections locales du 29 novembre dernier vont rester dans les annales. Car, si elles ont donné lieu à des résultats globalement conformes à la tradition électorale algérienne, elles ont la particularité de provoquer une multitude de paradoxes et d’aberrations et de favoriser l’apparition d’une nouvelle forme de tractations où l’argent, forcément sale, joue un rôle de premier plan.
Majorité mise en… minorité
Alors que de très nombreuses Assemblées communales ne sont pas encore installées pour absence de majorité, certaines localités du pays, comme Akbou (Béjaïa) ou Ibn-Badis (Constantine) connaissent des protestations populaires de rue contre “le détournement de la volonté des électeurs”, rendu possible par des alliances, plus ou moins contre nature, scellées par la grâce de marchandages où il est question d’argent liquide, non de politique ou d’idéologie.
Ainsi, une liste que les électeurs n’ont créditée que d’un ou de deux sièges peut décider du sort d’une commune car elle détient le pouvoir de départager les deux listes arrivées en tête, avec 8 ou 9 fois plus de suffrages et de sièges. Un précieux rôle d’arbitre dans la désignation du maire, qui, dit-on, est monnayé à coups de millions, voire de milliards dans certaines communes, notamment celles dotées de gros budgets. Un précieux rôle conféré, pas seulement par les règles de l’arithmétique, mais par la loi électorale qui stipule que le président d’APC est désigné parmi la liste ayant remporté la majorité des sièges, à condition qu’il soit élu par la majorité de tous les élus, réunis en collège électoral.
Alliances notariées : la politique a quitté la scène
Dit plus clairement, le choix des électeurs, quand il n’a pas été détourné le jour du scrutin, est contrarié, contourné, lors de ces marchandages où les dessous de table sont, excusez du pléonasme, monnaie courante. Sauf qu’il ne s’agit pas ici de petite monnaie, mais de gros billets, de grosses liasses de billets.
Ainsi, le vote populaire est nécessaire mais non suffisant à un élu pour prétendre au pouvoir local. La souveraineté populaire, bien que consacrée par la Constitution, n’est-elle pas ainsi mise à mal ? Dans certains cas, les partis politiques et autres indépendants ayant contracté des alliances ont signé des protocoles d’accord… notariés. Une première dans les annales politiques. Mais certaines de ces alliances n’ont pas tenu plus de deux jours, mettant les APC une nouvelle fois dans l’impasse… en attendant un nouvel attelage de sigles à conclure par le biais de nouveaux marchandages.
S’il appartient aux juristes et aux constitutionnalistes d’évaluer le degré de conformité des lois à la Constitution, nul besoin d’expert pour affirmer que les pratiques en cours sont étrangères à la politique. Car quand les acteurs politiques vont chez le notaire, c’est que la politique a quitté la scène.
Corruption : en avant toute !
Normal : l’argent s’est invité dans ces élections. L’achat de voix d’électeurs par toutes formes de bakchich, une pratique renouvelée à chaque consultation, devait inéluctablement produire des “élus” à vendre. C’est chose faite. Certes, il doit être bien florissant, ce commerce, pour avoir autant d’adeptes. Mais il y a cette question : que peut attendre la population d’une commune d’un maire devenu maire grâce à des soutiens chèrement payés ? Une seule chose : l’affairisme. Car cet “investissement” de milliards de centimes, qui n’est pas l’œuvre de mères Teresa algériennes, n’a été consenti que dans le but d’en tirer des bénéfices substantiels.
Ces élections locales auront donc, aussi, fait le lit d’une accélération de la propagation de la corruption. Dire que ce scrutin s’est tenu au moment même où Transparency International venait d’épingler à nouveau l’Algérie ! Une certitude : la corruption, chez nous, a encore de l’avenir. Cette étrange affaire dite de la commune de Ben Aknoun, à Alger, en est la parfaite démonstration : voilà un maire qui a réussi l’incroyable prouesse de gagner une élection pendant qu’il était en fuite, un maire que l’on a voulu installer dans ses fonctions, hier, alors qu’il n’a pas encore réapparu…
Oui, les élections du 29 novembre vont rester dans les annales.
S C