Des moutons dopés au sens propre du mot, un engraissement à base d’hormones sexuelles, une fraude à l’ancienne et l’aliment du poulet en renfort, rien n’est épargné à la bête du sacrifice pour être au meilleur de sa forme. La victime reste encore et toujours le simple citoyen qui consomme, sans s’en douter, une viande estampillée. Danger.
Si la vitrine du mouton de l’Aïd el-Adha reste ses prix prohibitifs, son arrière-cour serait indéniablement son régime alimentaire aux ingrédients inquiétants.
Un aspect ignoré des profanes et savamment tu par des pseudos-professionnels de l’élevage qui n’hésitent pas, un instant, à mettre en danger de mort la vie de leurs clients. Tradition religieuse oblige, la fête du sacrifice attire, bon an mal an, des millions d’Algériens en quête de la bonne affaire dans les différents points de vente du cheptel ovin.
Œil expert, toucher connaisseur, toutes les astuces pour ne pas se faire rouler sont de sortie en face du maquignon qui reste souvent en retrait de l’inspection. Mais, peine perdue, parce qu’on a beau se prétendre initié, on tombe toujours dans le panneau de l’arnaque sur quatre pattes.
Si d’aventure l’interrogation sur l’engraissement de l’animal venait à se poser, la réponse est toujours la même : naturelle faite d’orge et de maïs, histoire de rassurer tout le monde. Mais ce que peu de gens connaissent, c’est le régime nutritionnel imposé au mouton, à quelques semaines de la période de la fête, pour garantir sa vente à des prix défiant toute imagination.
Le diagnostic des experts est implacable. Et le moins que l’on puisse affirmer, c’est que le constat fait froid dans le dos des consommateurs d’une viande frappée, dorénavant, du sceau de la suspicion et du danger. Et du doigt, sont pointés ces “petits” éleveurs qui longent la ténue frontière entre élevage et maquignonnage.
Des pratiques douteuses
Ces pratiques douteuses d’un engraissement “sauvage” sont dénoncées par toutes les parties qui se désolent de sa démocratisation parmi les marchés aux bestiaux mais personne, jusqu’à preuve du contraire, n’a été inquiété pour autant. “Ce sont ces faux maquignons, ces faux éleveurs qui sont derrière ces méthodes dangereuses pour la santé de l’homme”, dira un technicien en production animale, qui a préféré garder l’anonymat. Il fustigera ceux qui s’improvisent éleveurs et qui recourent à un engraissement intensif loin de toutes règles sanitaires pour un profit immédiat.
Il citera pour un engraissement accéléré, l’injection des hormones femelles, prescrites pour les brebis en période de gestation, et qui sont administrées aux moutons, à l’approche de l’Aïd. “Le mouton grossit après 21 jours seulement de la prise de l’ampoule”, expliquera-t-il, tout en nous montrant une boîte de Syncropart PMSG 6000 U.I utilisée, entre autres médocs, dans cette course aux kilos. Le verdict est sans appel pour ce docteur vétérinaire qui estime que ces pratiques frauduleuses commencent à se généraliser et à se banaliser.
“Deux types d’hormones et un médicament sont utilisables par les éleveurs fraudeurs en Algérie : les hormones sexuelles (mâle et femelle) de type progestérone et testostérone, à l’image de l’Œstradiol sous toutes ses formes (injectable notamment)”, affirme-t-il. L’intérêt premier de ces substances est d’engraisser frauduleusement le mouton par une prise de poids rapide. Si cette démarche semble a priori banale, “les hormones contenues dans la viande issue d’un mouton ayant pris un traitement d’œstradiol, par exemple, provoque un déséquilibre hormonal chez le consommateur aux conséquences graves sur la santé”, prévient notre véto.
D’autres substances sont aussi utilisées par les fraudeurs. “Les anabolisants à l’exemple des corticoïdes, dont la cortisone sous diverses formes médicamenteuses, sont dangereux pour la santé du fait qu’ils détruisent le système immunitaire du consommateur de la viande issue d’un mouton dopé avec ces médicaments censés servir exclusivement aux vertus anti-inflammatoires”, ajoutera-t-il.
Des conséquences dangereuses sur la santé des consommateurs
Ces médicaments dont la vente est pourtant légalisée, suivie et contrôlée, se retrouvent en vente libre et plus précisément au niveau des marchés de l’est du pays, nous informe-t-on encore. Quant à la généralisation de ces méthodes d’engraissement, elles font de plus en plus d’émules parmi le milieu de certains éleveurs qui n’ont de souci premier que le gain rapide au détriment de la santé des gens. “Ils sont près de 70% à s’adonner à ce genre de trafic”, estimera notre technicien en production animale qui préconise un retour aux valeurs nutritionnelles de la paille enrichie, mélangée à de l’azote par exemple, comme cela se pratiquait dans les années 1980 du temps des domaines auto-gérés.
“L’engraissement doit être étudié et suivi par un zootechnicien, il doit être périodique et naturel à base de foin, de son et d’orge pour garantir une meilleure qualité de la viande”, suggère notre interlocuteur. L’autre pratique qui fait son nid est, selon Raïmes Omar, ingénieur agronome à la représentation du Haut-Commissariat au développement de la steppe d’El-Bayadh, rencontré l’année dernière au marché aux bestiaux local, est l’alimentation dite de finition.
Ces agneaux sont engraissés à l’aliment destiné au poulet de chair, mais le danger avec cette méthode réside dans la qualité de la viande, à forte teneur en graisse, de ces bêtes, qui peut au bout de quelques jours entièrement se putréfier. Selon les spécialistes, le mouton engraissé à la finition se reconnaît facilement à la couleur blanche et claire de sa laine au contraire de celle d’un mouton correctement alimenté, qui est jaunâtre.
Mais ce que le consommateur devrait savoir, c’est que cet aliment considéré comme un organoleptique incommode fatalement l’odorat et le goût du consommateur jusqu’à donner à cette viande un relent de poulet qui, avant ou après cuisson, dégage une odeur désagréable, est peu tendre et sans saveur. La consommation d’une viande ovine issue d’un cheptel nourri à la “finition” développe un mauvais cholestérol, assurent des vétérinaires qui précisent que, quant au risque de développer un cancer suite à la consommation d’une viande issue d’un engraissement à la finition, la question reste toujours posée. Un éleveur, justement, d’El-Bayadh, croisé en cette fin de semaine dans le marché aux bestiaux ouvert près des abattoirs d’Oran, a confirmé cette tendance allant plus loin puisqu’il affirmera, dépité, que l’engraissement à l’aliment de volaille se fait partout.
“On les reconnaît à l’odeur, ils puent”, dira-t-il encore. Pour les plus classiques, l’arnaque au mouton se fait au petit matin puisqu’on oblige l’animal à consommer de l’orge salée pour lui faire boire le maximum d’eau. Ainsi répu, on le présente à la vente gorgé d’eau et son aspect enflé et sa peau dilatée donnent l’illusion d’un animal bien en chair.
SO