Antar explique son départ «Je ne voulais pas sortir sous les sifflets et les insultes»

Antar explique son départ «Je ne voulais pas sortir sous les sifflets et les insultes»

Comme lors de toutes les interviews que nous avons réalisées avec Antar Yahia tout au long de sa carrière, hier encore, le désormais ancien capitaine des Verts nous a parlé sans langue de bois et en toute sincérité pour répondre à nos questions.

Des interrogations que tous les fans de l’équipe nationale se sont posées à la suite de l’annonce de sa décision de raccrocher avec la sélection alors qu’il a à peine 30 ans, un âge pourtant idéal pour les défenseurs puisque c’est à ce moment-là qu’ils acquièrent le maximum d’expérience. Le héros d’Oumdourman nous a tout simplement donné les raisons qui l’ont poussé à prendre sa retraite. La principale d’entre elles, c’est qu’il ne voulait tout simplement pas sortir par la petite porte sous les sifflets et les insultes. Il a donc décidé de choisir sa sortir après une victoire en Gambie et un but marqué à Banjul en gardant sa relation avec le public algérien intacte. Le défenseur de Kaiserslautern précise aussi qu’il n’a aucun souci avec l’entraîneur actuel Vahid Halilhodzic. D’ailleurs, il compte rendre visite à l’EN lors du prochain stage. Bien évidemment, Yahia revient sur les moments forts de sa carrière et sur ses projets d’avenir. Entretien.

– Le peuple algérien et les fans des Verts ont été surpris de votre annonce de mettre fin à votre carrière internationale. Pourquoi cette décision et pourquoi maintenant ?

– Cette décision je l’ai prise dans ma tête il y a quelques semaines déjà. Ça a été longuement réfléchi et à vrai dire, je commence à la digérer. J’ai aussi voulu la prendre avant le départ d’une nouvelle aventure, à savoir les éliminatoires de la Coupe du monde 2014 et une bonne entame des qualifications pour la CAN 2013, c’est-à-dire, avec une victoire à l’extérieur pour permettre au groupe de se solidariser pour ce premier match très important face au Rwanda.

– Mais pourquoi avoir pris cette décision alors que vous n’avez que 30 ans ?

– Aujourd’hui vous me dites que j’ai 30 ans, mais il y a quelques semaines pour une passe ratée ou un duel raté, on était trop vieux. Je pense que parfois il y a des critiques qui sont injustes. D’autres qui sont objectives et en tant que footballeur, on les accepte, mais des fois il y a des choses qui sont mal appropriées. A un moment donné il faut tout simplement savoir dire stop même si l’envie de jouer en équipe nationale est intacte.

– Ce sont les critiques après le match de la Gambie qui vous ont fait réfléchir ?

– Pas forcément ce match-là. Je suis quelqu’un qui a toujours voulu décider de sa sortie de l’équipe nationale et je pense que pour moi c’était le bon moment, c’est-à-dire, laisser l’équipe dans une phase positive avec cette victoire à Banjul. En fait, les critiques ne consistent pas la raison principale de ma décision, mais elle fait partie des facteurs qui m’ont poussé à arrêter maintenant. Mais il y a aussi autre chose.

– Oui, allez-y…

– En plus des critiques de la presse, il y a ma relation avec le public. J’aime ce public et toute ma vie j’ai voulu qu’il y ait cette relation de respect entre nous. Je n’ai jamais triché même si ça m’est arrivé de commettre des erreurs, mais je me suis toujours donné à fond et je voulais partir en gardant ce respect mutuel.

– En fait, vous ne vouliez pas que ce public vous siffle ou vous insulte et que vous terminiez votre carrière sur ça ?

– Voilà. Je pense que je n’ai pas eu besoin de le dire et que les Algériens l’ont compris. Je dirai aussi que les fans des Verts ont compris que j’étais quelqu’un qui avais des valeurs et que je les aimais beaucoup et de ce fait que j’ai voulu qu’on reste en bon terme.

– D’autant plus que l’ancien capitaine en la qualité, Mansouri, a vécu ce scénario ?

– Oui c’est vrai que c’est malheureux et regrettable ce qu’il a vécu.

– Vous ne vouliez pas vivre ça ?

– Je ne veux pas parler de ce qu’a vécu l’un ou l’autre. Chacun décide pour soi. J’ai aussi vécu des moments difficiles et j’ai su relever la tête.

– Le coach nous a affirmé hier qu’il a essayé de vous dissuader durant les 20 derniers jours, pourquoi n’a-t-il pas réussi à vous faire changer d’avis?

– Avec le coach on se connait maintenant depuis le mois d’août. C’est vrai qu’on a mis du temps à se connaitre, mais il a connu ma vraie personnalité et il a bien vu que je n’étais pas une personne qui prenais des décisions à la va-vite, surtout une décision pareille. On ne peut pas jouer avec ses propres sentiments ni avec ceux des gens. Dire qu’aujourd’hui on arrête et le lendemain on revient. Ma décision était prise. Mais vous savez pour qui c’était dur pour moi d’annoncer ma décision ?

Votre papa ?

– Oui mon père, ah oui mon père (il s’arrête un moment). C’était dur de lui annoncer car c’est lui qui m’a inculqué cet amour pour l’Algérie, croyez-moi que c’était vraiment dur.

– Et quand est-ce que vous lui avez annoncé votre décision ?

– Et bien on en parlait depuis quelque temps, il connaissait mon point de vue, mais après il m’a dit ‘’mon fils cette décision t’appartient et je serai fier de toi quoi qu’il en soit’’.

– Il n’a pas essayé de vous faire changer d’avis…

– Bien sûr que oui. Un peu tous les jours. Donc vous voyez bien que si mon papa n’a pas réussi à me faire changer d’avis c’est que personne ne pouvait le faire, puisque je campais sur ma position.

– Certains prétendent que vous entretenez une relation froide avec le coach et c’est ce qui vous a poussé à partir ?

– Non pas du tout et je pense que vous avez pu vous en apercevoir en parlant avec le coach hier (ndlr : entretien réalisé hier en début d’après-midi). Lui n’est pas hypocrite et moi non plus, donc c’est dur de faire du cinéma avec deux personnes qui ne sont pas hypocrites vous ne croyez pas ?

– Vous dites avoir choisi de partir au bon moment, mais c’est quand même une période critique à la veille d’un stage important, même le coach avoue que ça sera un problème pour lui ?

– Je trouve que c’est là que ça forge une équipe et que ça permet à ce groupe de prendre ses responsabilités. Je ne pense pas les laisser dans la difficulté au contraire. C’est vrai que j’avais des liens très étroits avec tous les joueurs et un attachement avec mes coéquipiers.

– D’ailleurs, beaucoup de vos coéquipiers ont eu du mal à croire le fait que vous ayez raccroché…

– Il y a beaucoup de joueurs de talent et je suis sûr qu’ils vont faire une bonne entame dans ces qualifications pour la Coupe du Monde et se forger un caractère en prévision des prochaines échéances. Franchement, je ne pense pas les avoir laissés tomber, mais plutôt le contraire, car il y a une belle aventure qui va commencer pour cette génération composée d’éléments de qualité.

– Il y a cette relation avec le public que vous voulez garder intacte, mais est-ce que vous craignez de ne plus être rappelé ou de se retrouver sur le banc ?

– Non, non pas du tout. Vous avec parlé avec le coach et bien entendu les dernières déclarations du coach affirmant que Madjid et moi-même étions indispensables pour cette équipe et croyez-moi qu’il n’a dit ça pour nos beaux yeux. En plus un défenseur central c’est à cet âge qui joue avec l’expérience et l’année prochaine je vais jouer le haut du tableau en 2e Bundesliga. J’ai encore trois ans de contrat avec Kaiserslautern et je veux aller jusqu’au bout.

– Hier, vous me disiez aussi que cela fait près de dix ans que vous n’avez pas fait de préparation ?

– Exactement depuis que j’ai commencé en équipe nationale en 2003 avec un match d’application contre Rennes. Après nous avons enchaîné avec la CAN 2004 en Tunisie au mois de janvier, au mois de juin nous avons enchaîné avec les éliminatoires et depuis ça s’est enchaîné jusqu’à aujourd’hui. Donc, depuis je n’ai pas fait de préparation correcte, car tu cours après ta forme, tu reprends en retard dans l’équipe. Franchement et en toute sincérité, je n’ai jamais eu peur de la concurrence. Vous savez, il y a eu ce match amical contre la Tunisie où j’étais plus qu’attendu, car cette rencontre consistait un test pour moi et c’était un tournant dans ma carrière internationale.

– C’était votre premier match sous l’ère Halilhodzic ?

– Tout à fait et c’était un match crucial pour moi et le coach c’est quelqu’un qui analyse beaucoup les statistiques : les duels gagnés, les courses des joueurs et lors de mes discussions avec lui je savais que la concurrence jouait plus en ma faveur qu’en ma défaveur. Donc, ce n’est pas du tout ça qui a motivé mon départ.

– Vous me disiez hier aussi que cela fait un mois que vous aviez du mal à dormir tellement cette décision était dure à prendre pour vous…

– Bien sûr que c’était dur, car c’est une relation d’une dizaine d’années qui me lient avec l’équipe nationale. Une relation de passion, de peine et de joie et si j’avais pris une telle décision sans prise de tête cela voudrait dire que cette relation n’était pas vraie.

– En plus de votre parcours, les supporters algériens garderont de vous votre discours patriotique, notamment durant la CAN 2004, où vous aviez déclaré que vous ne remettriez plus les pieds en Tunisie suite aux incidents et bien évidemment vos déclarations au Caire et au Soudan ?

– L’identification dans le football est importante et ils ont vu en moi à travers juste un citoyen algérien comme eux : entier et impulsif. En 2004, j’ai vu des Algériens avec le drapeau national saignés et ça m’a arraché le cœur. Ce sont des choses qui sortent spontanément et on ne réfléchit pas à ça. Ce sont des phrases qui me sont sorties comme ça et en Egypte c’est la même chose.

– C’est-à-dire ?

– La veille du match j’étais beaucoup touché, car je regardais une émission avec Rafik Halliche et ils parlaient en affirmant que nous étions des enfants de la France et qu’on n’avait pas de martyrs et que notre pays n’avait pas d’histoire, et tout ça m’a fait très mal. Vous savez, avec mon père à chaque fois qu’on partait chez nous dans le douar, il me montrait l’endroit où mon grand-père avait perdu la vie durant la guerre de Libération. C’est pour vous dire que je connais bien l’histoire de mon pays. Donc, lorsqu’on a gagné à Khartoum, j’ai voulu dédier notre qualification à mon grand-père, mon père, mais aussi à tous les Chouhada qui sont morts pour l’Algérie et pour tous ceux qui ont combattu pour notre pays.

– C’est toute cette rage que vous aviez mise dans votre tir pour battre El-Hadary ?

– J’ai mis toute ma rage au cours de tout le match, y compris dans les duels et toutes les situations de jeu. J’ai eu cette occasion et j’ai tiré de toutes mes forces, vraiment de toutes mes forces.

– Avant ce match à Oumdourman, vous en vouliez tellement que Saâdane était obligé de vous raisonner pour que vous ne soyez tous expulsés ?

– C’est vraiment sa force Rabah Saâdane, cette capacité à nous canaliser. Des moments comme ça on en vit rarement dans le football. Des hommes qui savent se gérer et qui savent aussi se responsabiliser et qui peuvent mourir sur le terrain rien pour l’intérêt de l’Algérie. C’est vraiment magnifique. Permettez-moi juste de dire une chose…

– Oui, allez-y…

– Un grand merci à tous les entraîneurs que j’ai eus en équipe nationale et à tous les joueurs que j’ai côtoyés. Je ne veux pas citer de noms pour ne pas en oublier. Vraiment merci à tous et de toutes les générations. Les docteurs, les magasiniers, ceux qui s’occupaient des pelouses même si des fois elles n’étaient pas parfaites. Vraiment je remercie tout le monde pour les relations qu’on a eues dans le respect et l’amitié.

– Si vous veniez à nous citer trois de vos mauvais souvenirs durant toute votre carrière internationale, vous diriez quoi ?

– Mauvais, je n’ai même pas envie d’en parler, car je n’ai envie de retenir que du positif. Mais peut-être notre traversée du désert et le fait qu’on n’a pas à participer à la CAN 2006 en Egypte et celle de 2008 au Ghana. Mais sinon, je ne retiens que du positif.

Alors les trois événements qui vous ont le plus marqué ?

– Bien évidemment notre qualification pour la Coupe du monde. Il y a aussi notre victoire contre l’Egypte à dix en Tunisie et notre série d’invincibilité à Blida.

– Justement, vous étiez l’un des partisans du stade Tchaker de Blida…

– Tchaker parce que la pelouse à l’époque était tout simplement meilleure. En plus, il y avait cette certitude, à savoir que lorsqu’on allait sur le terrain à Blida, on allait gagner, on ne pensait pas à autre chose.

– J’avais la chance d’être dans le bus qui vous transportait du stade à votre hôtel après le match à Oumdourman et je me rappelle cette phrase que vous lanciez à Bougherra : «tu te rends compte frérot d’où on a commencé avec les espoirs et là on est en Coupe du monde» : ça résume votre parcours ?

– (Il rit). Wallah à ce moment-là, on se rappelle de tout. Quand t’as commencé, les voyages au fin fond de l’Afrique. Enfin vraiment tout.

– Vous avez mis un terme à votre carrière internationale, mais connaissant votre carrure, envisagez-vous une carrière d’entraîneur ?

– Déjà j’ai encore les challenges sportifs avec mon club. Mais c’est vrai que j’aimerai bien passer mes degrés d’entraîneur. Pour moi, servir l’Algérie a toujours été une priorité dans ma vie sans intérêts personnels, mais avant cela, je dois acquérir un certain bagage. A force de côtoyer des gens ici en Allemagne tu fais une image du professionnalisme et de la discipline, donc j’aimerai acquérir le maximum de bagages avant. Donc, si on a besoin de mes services je répondrai présent, mais avant cela, avoir le maximum de bagage pour prétendre à quelque chose.

– Vous resterez en Allemagne, vous ne serez pas tenté par une aventure au Qatar par exemple ?

– Pour l’instant, je suis dans l’optique de rester au sein de mon club avec un challenge intéressant qui sera de jouer devant 50 000 spectateurs en 2e Bundesliga et jouer l’accession.

– Qu’est-ce qui n’a pas marché avec Kaiserslautern cette saison ?

– On avait un gros problème offensif, sachant qu’en ce qui concerne la défense avec Hanover et Leverkusen, on n’a pas forcément énormément encaissé de buts. Donc, on avait surtout un souci au niveau de l’animation offensive. Je savais que la mission allait être difficile mais ça ne me dérangeait pas de reculer d’un pas pour jouer l’accession cette saison.

– Le coach nous a déclaré hier que vous rendriez visite à l’équipe lors du prochain stage…

– On va en parler avec le coach c’est pour vous dire que notre relation est intacte. Même avec les joueurs avec qui j’entretiens de superbes relations, je leurs dis que je suis à leur disposition ni pour leur faire de l’ombre ni pour les déranger. Si n’importe quel joueur a besoin, aura besoin, d’un conseil ou qu’il traverse une période difficile, je serai à sa disposition. En tout cas, je les suivrai devant ma télévision avec les drapeaux algériens sur les murs.

– Si l’Algérie se qualifie pour le Mondial, vous serez certainement heureux, mais n’auriez-vous un petit pincement au cœur en vous disant que j’aurai pu être là ?

– Je serai heureux en tant que supporter algérien et je serai content pour les joueurs, car je sais ce que ça représente. Moi je ne pars pas frustré ni aigri. Je pars juste heureux en souhaitant tout le bonheur du monde à tous les joueurs. Mais ce qui est certain que je serai au Brésil avec le maillot algérien dans les tribunes. Une fois de plus un grand merci à tout le monde, ainsi qu’au public algérien pour cette relation qu’on a eue que ce soit dans les peines ou dans les joies, car quand on n’aime pas quelqu’un on n’a pas de peine, on est indifférent. L’amour et la passion c’est dans le bonheur et la tristesse. Encore merci.

A. H. A.