Annaba : 400 tonnes de thon interceptées sur un navire turc

Annaba : 400 tonnes de thon interceptées sur un navire turc

Les 400 tonnes de thon interceptées par les gardes-côtes sur un navire turc à Annaba avaient été pêchées pour le compte de deux bateaux algériens.

Importés de Turquie, ces derniers ont été inscrits par la direction de la pêche sur la liste de l’Iccat, alors qu’ils n’étaient même pas dédouanés.

Un autre scandale qui s’ajoute à celui de Ana Group, une société turque à laquelle le ministère de la Pêche a octroyé le programme de construction de 45 navires avant qu’elle ne déclare faillite en laissant une ardoise de 20 milliards de dinars.

Alors que l’affaire des navires commandés au turc Ana Group, qui a fait faillite, n’a toujours pas livré ses secrets, voilà que le ministère de la Pêche se trouve au centre d’un autre scandale lié à la pêche au thon.

Les deux navires impliqués dans l’affaire de l’interception d’un bateau turc avec 410 t de thon ont été enregistrés auprès de l’Iccat (Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’atlantique), le 23 mars 2009, pour pêcher une part du quota du thon algérien, alors qu’ils n’étaient même pas immatriculés.

Sur la liste des dix-huit navires algériens transmis à l’Iccat, seuls Belkis Dounia (26 m) et Serena Myriam (33,6 m) n’ont pas de matricule et ne disposent d’aucun historique de leur activité.

En fait, selon des sources sûres, les deux bateaux, des Purse Seiner (pas neufs), ont été importés de Turquie par leur propriétaire, dont le nom n’apparaît pas sur la liste de l’Iccat.

Ils ont été enregistrés par la direction nationale de la pêche auprès du ministère, avant même que la procédure de leur dédouanement ne soit effectuée.

Ce qui explique l’absence d’immatriculation. Leur enregistrement auprès de l’Iccat s’est faite au moment où les armateurs algériens venaient de découvrir les conditions draconiennes imposées par la direction nationale de la pêche, en matière de pêche au thon.

Il est vrai qu’aucun des armateurs algériens ne disposent de capacités ou de moyens pour faire la pêche au thon.

Ils vendent leurs quotas à des étrangers sans aucun problème et c’est le ministère de la Pêche qui assure leur inscription sur la liste de l’Iccat.

Cette année, à la veille de la campagne, au début du mois de février 2009, M. Allam, directeur national de la pêche, convoque l’ensemble des armateurs qu’il a lui même enregistrés (auprès de l’Iccat) et leur annonce les décisions prises en matière de pêche de thon : l’annulation du système de quotas de pêche pour les armateurs et l’obligation de pêcher dans les eaux territoriales, de ramener le poisson pêché jusqu’au port d’Alger et d’installer sur les navires un système de surveillance des navires (VMS) relié directement au bureau du responsable.

« Décisions nationalistes et vouées de bonnes intentions si elles avaient été annoncées bien avant la campagne. Mais cela n’a pas été le cas. Aucun d’entre nous n’aurait pu les honorer en quelques jours seulement. Si le directeur nous avait averti avant la campagne, nous aurions pris les dispositions nécessaires », a déclaré un des armateurs, qui a tenu à garder l’anonymat.

Un autre, Bousdira Rachdi, va plus loin. Selon lui, les conditions imposées par le directeur de la pêche, « cachaient des intentions malsaines.

Elles visaient l’élimination des Algériens de la pêche du quota de leur pays pour le laisser uniquement aux étrangers.

Les Japonais, qui ont certes les moyens, ont eu 20% des 1100 t que l’Algérie est autorisée à exploiter, sans qu’ils ne soient obligés de se soumettre aux nouvelles mesures », explique l’armateur.

Il révèle que la condition de ramener le poisson pêché aux ports « dénote le dénigrement dont font l’objet les inspecteurs désignés à bord des navires par la direction de la pêché et qui sont censés peser et contrôler l’opération durant toute la campagne ».

Des réunions houleuses

Pour M. Bousdira, « le directeur de la pêche a tout fait pour nous bloquer. Il m’a notifié le rejet de mon inscription à l’Iccat pour la campagne 2009, sous prétexte que mon navire n’est pas enregistré comme thonier mais comme palangrier alors qu’il s’agit d’un longliner destiné à la pêche au thon », activité qu’il exerce depuis longtemps.

« Il n’a jamais été question d’imposer des conditions aux longliners, qui d’ailleurs ont été autorisés à prendre une partie du quota algérien sous le pavillon japonais ».

Les deux réunions qui ont regroupé le directeur de la pêche et les armateurs, à la veille de la campagne, ont été houleuses.

Chaque partie était convaincue que le quota de l’Algérie serait reporté à l’année prochaine du fait de « l’intransigeance » du responsable, qui a fini par compromettre une saison qui aurait pu faire gagner au pays 13 millions d’euros (1100 tonnes).

Mais l’interception du navire turc avec 410 tonnes de thon laisse perplexe.

En fait, cette affaire cache une opération de « blanchiment » de thon d’élevage pêché au large des côtes maltaises et de la côte bônoise, avec la complicité des deux navires autorisés par la direction de la pêche à prendre part à la campagne.

Ce thon « blanchi » devient du thon faisant partie du quota algérien, dont le prix est de loin plus élevé sur le marché international.

La responsabilité du ministère de la Pêche est entièrement engagée, notamment celle du directeur chargé de l’inscription des armateurs algériens auprès de l’Iccat, qui est tenu de vérifier les dossiers qu’il présente sous le pavillon national.

Le pot-aux-roses n’aurait jamais été découvert si l’information sur le bateau turc traînant une cage de plus de 400 tonnes de thons n’avait pas été donnée aux garde-côtes algériens.

L’enquête est en cours mais aucune nouvelle sur l’identité de l’armateur, qui pourrait n’être qu’un prête-nom très connu.

Cette affaire intervient alors que le scandale du marché de construction de navires avec le chantier turc Ana Group, dans le cadre du plan de relance du secteur de la pêche, n’a pas livré tous ses secrets.

Pas moins de 20 milliards de dinars ont été engloutis dans cette opération sans que des comptes ne soient demandés à qui que ce soit.

Pourtant, ce sont des responsables du ministère de la Pêche qui avaient orienté les bénéficiaires vers la société Ana Group, qui a déclaré faillite quelque temps après avoir livré une partie du programme – dont les bénéficiaires ont droit à un financement de 40% octroyé par le Fonds d’investissement, alors que 50% du coût sont versés par la BADR et 10% constituant l’apport personnel – de 45 navires.

Aujourd’hui, la banque n’arrive pas à récupérer cette manne financière distribuée sans aucun contrôle ni suivi à des promoteurs choisis, pour certains, dans l’entourage des responsables et cadres du ministère de la Pêche.

Des bateaux surévalués, dont la différence a été utilisée à d’autres fins. Des navires payés au prix fort mais jamais remis à leurs propriétaires.

Des marchés octroyés à Ana Group, dont le représentant à Alger n’était autre que le frère d’un cadre de la BADR, puis sous-traités avec des chantiers turcs qui, à défaut de récupérer leur argent, ont saisi les rares unités achevées.

Le contentieux est toujours pendant entre les autorités turques (qui s’en lavent les mains) et le ministère de la Pëche, qui regarde les deniers de l’Etat se perdre.

Entre les deux, une dizaine de promoteurs qui ont mis toutes leurs économies pour réussir leur projet.

En outre, il est exigé d’eux le remboursement d’une traite mal gérée, une faute dont ils ne sont pas responsables.

Jusqu’à quand le ministère de la Pêche continuera-t-il la politique de l’autruche ?

Salima Tlemçani