«Nous venons de sortir de la quatrième guerre mondiale avec comme principale conséquence la fin de l’uni-polarisation, c’est-à-dire le renoncement des USA à gouverner seuls le monde comme ils l’ont fait depuis la chute du mur de Berlin qui avait signifié la fin de l’Union soviétique.
C’est là la lecture faite de l’actualité régionale et internationale par Anis Naccache, invité hier au Forum du quotidien El Moudjahid. M. Nekache est venu donner une conférence de presse sur «l’avenir du monde arabe à la lumière des dernières transformations politiques enregistrées dans certains pays arabes».
Le conférencier a été présenté comme un «célèbre militant et président du réseau stratégique Amman». Né en 1948 au Liban, M. Naccache milite en fait pour la cause palestinienne. En 1979, quand l’imam Khomeiny arrive au pouvoir en Iran, il se met au service de ce régime qu’il considère comme le meilleur allié de cette cause.
Le militant a tenté, durant l’été 1980 en France, d’assassiner Shapour Bakhtiar, l’ancien Premier ministre du chah d’Iran. Mais il échoue. Arrêté, il est condamné, en 1982, à la perpétuité avant de bénéficier de la grâce de François Mitterrand, en 1990, dans le cadre des tractations entre Paris et Téhéran. Il se consacre alors à la formation de milices dans le Liban du Sud, qui deviendront le fer de lance du Hezbollah. Toujours actif, M. Naccache collabore régulièrement à la télévision libanaise en tant que consultant en géopolitique. Il vit entre Beyrouth et Téhéran.
C’est donc en connaisseur de la région du Moyen-Orient qu’il a tenté, hier, de lire «l’avenir du monde arabe» au sortir de ce qu’il appelle «la quatrième guerre mondiale», l’effondrement de l’URSS étant la troisième par ses conséquences. D’après lui, on ne peut pas comprendre les changements en cours au Moyen-Orient et au Afrique du Nord sans analyser d’abord le contexte international et ses bouleversements.
Comme annoncé avant 2000 dans les lectures prospectives des stratèges américains, notamment ceux de la CIA, les USA ont fini par renoncer à gouverner le monde par la force militaire et les sanctions économiques. «Les Américains font face à une double crise.
Le monde a découvert les limites de leurs interventions militaires directes et la crise financière les a beaucoup fragilisés», a dit l’orateur. Sur le plan militaire, le pays de Barak Obama a, en effet, subi un revers au point de s’enliser dans des conflits sans issue en Afghanistan et en Irak, malgré les grands renforts de l’Otan.
Chez l’Oncle Sam, on parle d’ailleurs de se retirer de l’Irak et de négocier avec les Talibans en Afghanistan et de restructurer l’armée en vue de faire face à de nouvelles formes de menaces. En raison de la crise financière internationale, les Européens risquent aussi de perdre leur union qu’ils tentent de sauver en sauvegardant leur monnaie unique, l’euro. «L’Occident subit un recul historique. Ce recul a laissé un vide stratégique dans la région arabe», observe-t-il.
Iran et Turquie : compétition pour le leadership
M. Naccache affirme que le monde traverse une période de transition durant laquelle l’hégémonie américaine sera en partie héritée par des regroupements régionaux, comme cela a été également prévu par les stratèges américains.
La plupart des pays sont déjà réunis en organisations régionales, en Amérique latine, Amérique du Nord, Europe, Russie fédérale et le Sud-Ouest asiatique. Il n’y a que les pays africains, en général, et les pays arabes, en particulier, qui ne disposent pas encore d’une organisation à même de faire face aux nouveaux défis. Comme prévu. «Nous avons dans la région arabe l’organisation la plus vulnérable de toutes», estime le conférencier, confirmant ainsi les prévisions américaines.
La Ligue arabe, qui symbolise une union fondée sur des bases purement raciales, est dépassée par les événements. Sur le terrain, c’est un «regroupement élargi» à la Turquie et l’Iran qui se met en place, fondés sur des intérêts communs. «La Turquie et l’Iran sont les premiers pays de la région qui ont compris les changements stratégiques à l’échelle mondiale et ils ont décelé à temps le recul de l’influence américaine et occidentale dans le monde arabe», explique-t-il.
Les Turcs et les iraniens se font la concurrence pour jouer au leadership, mais à travers deux stratégies différentes, voire qui s’opposent. Les Turcs, engagés dans l’Otan, cherchent à étendre leur influence dans les anciens pays de l’empire ottoman, tout en prenant en considération les intérêts des Occidentaux, c’est-à-dire le maintien d’Israël.
Les Iraniens, très hostiles aux Américains surtout, proposent au contraire une union régionale en dehors de toute influence occidentale, c’est-à-dire qu’Israël est appelé à disparaître en tant qu’Etat. Pour ce faire, les deux parties ont déjà conclu des accords politique et économique de premier ordre avec la Syrie, le Liban et la Jordanie.
«Ces accords sont très avancés par rapport aux accords qui existent entre les pays arabes eux-mêmes», assure-t-il. L’avenir de ces deux visions se joue d’après lui en Syrie où le régime est toujours en place, «du président jusqu’au fonctionnaire de la mairie», malgré la contestation populaire et la répression policière. «Si par hasard le régime syrien tombe, c’est toute la région qui va exploser», avertit-il.
M. Nekache, qui appelle à des réformes profondes dans le pays de Bachar Al Assad, se dit clairement favorable à un regroupement régional sous le leadership iranien. «Israël fait face à l’environnement le plus hostile depuis sa création. Le compte à rebours va commencer avec la fin de la crise en Syrie», prévoit-il. Cela étant, d’autres pays peuvent prétendre au rôle de leadership.
Le Libanais spécifie l’Egypte et l’Algérie «si elle le veut». L’invité du forum d’El Moudjahid voit d’un œil de gynécologue les événements qui se passent en Tunisie, Egypte, Syrie, Yémen et Lybie. Récusant le terme de «révolution»et soutenant qu’aucun régime n’est tombé à ce jour, il déclare : «C’est encore un fœtus. On ne sait pas s’il va naître sain ou balafré, avec le poids idéal ou non.»
L’analyste pense qu’il faut rapidement aller vers un «regroupement régional élargi». Sinon, les pays de la région éclateraient sous la montée des particularismes locaux et des minorités qui chercheraient prioritairement à préserver leur existence, face à l’insécurité, aux dépends des Etats.
Par Djamel Chafa