Alors que les pays de l’Union européenne se réunissent, jeudi 23 avril, en sommet extraordinaire à Bruxelles pour passer en revue un plan d’actions face à la crise des migrants en Méditerranée avec une insistance sur les aspects sécuritaires, Amnesty International pointe avec vigueur la négligence des pays européens.
Le directeur exécutif du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International, John Dalhuisen n’a pas hésité à lancer une accusation de non soutien à des milliers de personnes en danger.
« La négligence de l’Europe, qui a manqué au devoir qui est le sien de sauver des milliers de migrants en péril dans la Méditerranée, est comparable à celle de pompiers qui refuseraient de sauver des gens sautant d’un immeuble en feu. Il incombe aux gouvernements non seulement d’éteindre le feu mais aussi d’attraper les personnes qui ont sauté du rebord de la fenêtre » a-t-il indiqué.
L’ONG interpelle avec force les pays européens et l’opinion publique dans un document qui révèle l’ampleur de la tragédie des « Naufrages en Méditerranée ». Dans cette synthèse, publiée mercredi 22 avril, l’ONG dévoile les chiffres accablants des morts en Méditerranée.

Près de 1 700 personnes ont ainsi péri au cours des trois premiers mois de l’année 2015, soit 100 fois plus qu’au cours de la même période en 2014 et une moyenne effroyable d’un mort toutes les deux heures en Méditerranée depuis janvier.
« C’est plus que le naufrage du Titanic », a souligné mercredi Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty international France.
L’augmentation du nombre de morts est indissociable de l’arrêt de l’opération humanitaire de la marine italienne Mare Nostrum, pointe Amnesty International. « La décision d’abandonner Mare Nostrum, fin 2014, a contribué à une très forte augmentation du nombre de morts de migrants et de réfugiés en mer », indique l’organisation.
Afflux de migrants
D’autant que l’arrêt de l’opération a correspondu avec une augmentation du nombre de réfugiés et de migrants essayant de rejoindre l’Europe par la mer. Les premiers mois de 2015 ont été marqués par l’afflux d’un nombre record de réfugiés et migrants tentant de rallier l’Europe par la mer: quelque 24 000 personnes ont atteint l’Italie par ce biais souligne Amnesty dans sa synthèse.
Les franchissements irréguliers des frontières en Méditerranée centrale ont ainsi augmenté de 42 % lors des deux premiers mois de 2015, principalement par la Libye, comparés aux deux premiers mois de 2014 (de 5 506 à 7 834). Ces chiffres, selon Frontex, « défiaient les normes saisonnières généralement basses, l’hiver étant la saison la plus dangereuse pour traverser la mer Méditerranée. »
En 2014, l’agence Frontex a comptabilisé 278 000 franchissements irréguliers des frontières européennes, soit environ 2,5 fois plus qu’en 2013 (107 000) et 2 fois plus qu’en 2011 (141 000) lors du printemps arabe. La plupart de ces entrées en 2014 se sont faites en Méditerranée, 218 000 selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), dont 170 000 environ étaient à destination de l’Italie.
Arrêt malgré la réussite
L’arrêt de Mare Nostrum est d’autant plus injustifiable que l’opération avait permis de secourir plus de 166 000 personnes en 2014, relève Amnesty.
Mare Nostrum bénéficiait d’un budget de 9 millions d’euros par mois et déployait à n’importe quel moment cinq bateaux de la marine italienne, accompagnés de supports aériens et d’une équipe d’environ 900 personnes, rappelle l’ONG.
Avec l’arrêt de l’opération, les capacités de ces opérations en Méditerranée centrale sont revenues à la normale. Depuis le 1er janvier 2015, ces capacités se limitent principalement aux ressources des gardes-côtes et des navires marchands.
Après la fin de Mare Nostrum, les gouvernements européens ont chargé Frontex, l’agence de protection des frontières de l’UE, d’établir l’opération Triton.
Le plan d’action en dix points de la Commission européenne examinée ce 23 avril au Sommet extraordinaire de Bruxelles prévoit le renforcement financier et en navires des opérations de surveillance maritime Triton au large de l’Italie et Poséidon pour la Grèce, mais aussi la capture et la destruction des bateaux utilisés par les passeurs, notamment en Libye.
Amnesty International estime que la vision sécuritaire n’est pas suffisante. Les chefs d’Etats européens, a indiqué John Dalhuisen, ont une « occasion historique de mettre fin à cette tragédie humanitaire qui prend des proportions colossales ». Entendront-ils le message?