Par ordonnance publiĂ©e dans le dernier numĂ©ro du Journal officiel, le chef de lâĂtat Abdelmadjid Tebboune a procĂ©dĂ© Ă plusieurs modifications sur le Code pĂ©nal. Il sâagit entre autres de la notion de classification de « personnes terroristes » ou « entitĂ©s terroristes ».
Lâordonnance modifiant et complĂ©tant lâordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant code pĂ©nal vient dâĂȘtre publiĂ©e dans le journal officiel N° 45. Plusieurs amendements y ont Ă©tĂ© apportĂ©s, notamment en ce qui concerne lâĂ©largissement le champ des « actes terroristes ».
InterrogĂ©s par le quotidien LibertĂ©, les avocats Zoubida Assoul et Hakim Saheb ont vivement critiquĂ© le contenu des amendements apportĂ©s, mais aussi la maniĂšre dont ils ont Ă©tĂ© promulguĂ©s. Les deux juristes estiment dâemblĂ©e que prĂ©sident aurait pu attendre lâĂ©lection et lâinstallation de lâAPN pour proposer le texte.
Qualifiant cette dĂ©cision, prise avant le scrutin, de « grave », Me Hakim Saheb estime que le chef de lâĂtat aurait pu « attendre lâinstallation de lâAssemblĂ©e pour proposer le texte, surtout que rien ne presse ». De son cĂŽtĂ©, Me Zoubida Assoul prĂ©cise que ces amendements « ouvrent grandement la porte Ă lâabus, lâarbitraire et au rĂšglement de compte contre toute voix discordante ».
Sâexprimant autour des axes ayant Ă©tĂ© modifiĂ©s par lâordonnance, notamment lâĂ©largissement du champ des « actes terroristes », Me Assoul estime que dĂ©sormais, « toutes les personnes ou tous les partis politiques ou associations qui proposeraient dâautres voies de sorties de crise que celles du pouvoir seront considĂ©rĂ©s comme terroristes ».
« Le texte est ambigu et pourra ouvrir la voie à des dérives »
Ă noter que dans la nouvelle version du Code pĂ©nal il « est considĂ©rĂ© comme acte terroriste ou sabotage, tout acte visant la sĂ»retĂ© de lâĂtat, lâunitĂ© nationale et la stabilitĂ© et le fonctionnement normal des institutions ».
Et ce, par toute action ayant pour objet « dâĆuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, Ă accĂ©der au pouvoir ou Ă changer le systĂšme de gouvernance par des moyens non constitutionnels » ; ou de « porter atteinte Ă l’intĂ©gritĂ© du territoire national ou dâinciter Ă le faire, par quelque moyen que ce soit ».
Dans son commentaire autour de la question, lâavocat et professeur de droit Me Hakim Sahed estime « cela veut dire quâune thĂšse universitaire, donc scientifique, qui porte sur la transition politique, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un acte terroriste ». Pour lui, « le texte est ambigu », prĂ©cisant que cela pourra « ouvrir la voie Ă des interprĂ©tations, donc Ă des dĂ©rives comme les atteintes Ă la libertĂ© de lâexpression politique ».
Pour ce qui est du volet consacrĂ© aux personnes et entitĂ©s terroristes, la nouvelle version du Code pĂ©nal stipule que la « liste nationale des personnes et entitĂ©s terroristes qui commettent lâun des actes prĂ©vus Ă lâarticle 87 bis du prĂ©sent code, qui sont classifiĂ©s âpersonne terroristeâ ou âentitĂ© terroristeââ, est constituĂ©e par âla commission de classification des personnes et entitĂ©s terroristes (âŠ) ».
« Le principe de prĂ©somption dâinnocence nâest pas respectĂ© »
Le spĂ©cialiste en droit constitutionnel Ahmed Betatache estime, pour sa part, quâil y a plusieurs remarques Ă relever dans cet amendement du Code pĂ©nal, notamment dans la forme. Dans un entretien accordĂ© au quotidien El Watan, il prĂ©cise quâil est « aberrant quâune loi aussi importante que le Code pĂ©nal soit modifiĂ©e par ordonnance, mĂȘme si la Constitution permet au prĂ©sident de la RĂ©publique dâamender une loi par ordonnance ».
Ă ce propos, il affirme que la constitution prĂ©voit une pareille modification « seulement en cas dâurgence », avant de sâinterroger : « Pourquoi le PrĂ©sident nâa pas attendu lâĂ©lection dâune AssemblĂ©e nationale pour soumettre un projet de loi ? ».
Commentant le fond des amendements apportĂ©s, le spĂ©cialiste estime que « câest grave » le fait de prĂ©voir la crĂ©ation « dâune commission de classification des personnes et entitĂ©s terroristes, laquelle sera créée par dĂ©cret exĂ©cutif ». Ă cet effet, il affirme que cela « doit se faire dans le cadre des procĂ©dures pĂ©nales ».
Selon Ahmed Betatache, le plus grave dans tout ça, câest donc cette commission. Sa crĂ©ation par « dĂ©cret exĂ©cutif constitue une violation de la Constitution et des principes universels en matiĂšre des procĂ©dures pĂ©nales ».
Il explique dans ce sens, quâelle « peut inscrire une personne ou une entitĂ© sur une liste nationale des personnes et entitĂ©s terroristes, si elle fait lâobjet dâenquĂȘte prĂ©liminaire ou de poursuites pĂ©nales, avant mĂȘme sa condamnation par la justice ». Une dĂ©marche « qui ne respecte pas donc le principe de prĂ©somption dâinnocence ».