Amara Benyounes : « Bouteflika, la Constitution algérienne et nous »

Amara Benyounes : « Bouteflika, la Constitution algérienne et nous »

Leader de la troisième force politique du pays, le ministre du Commerce revient sur le processus de révision du texte fondamental. Et détaille les amendements proposés par son mouvement.

Secrétaire général du Mouvement populaire algérien (MPA, membre de la majorité présidentielle), Amara Benyounes, 56 ans, revendique pour son parti le statut de troisième force politique du pays, au vu des résultats des dernières élections en date : les locales et régionales d’octobre 2012. Avec 91 maires et 1 600 élus locaux répartis dans 42 wilayas (sur 48), le MPA est aujourd’hui bien implanté sur le plan national.

Dans l’entretien qu’il nous a accordé, l’actuel ministre du Commerce passe en revue les faits saillants de l’actualité politique algérienne, dominée par la remise, le 31 août, au président de la République d’un rapport élaboré par son directeur de cabinet, Ahmed Ouyahia. L’ancien Premier ministre a été chargé de piloter une large concertation avec la classe politique, des personnalités et des compétences nationales, ainsi qu’avec de nombreuses organisations de la société civile autour d’une nouvelle Constitution. Sur les 150 partenaires conviés, 134 ont répondu à l’appel et émis des propositions qui seront consignées dans le rapport Ouyahia.

Jeune Afrique : Une partie de l’opposition a boycotté la concertation autour de la révision de la Constitution. Celle-ci sera-t-elle aussi consensuelle que promis ?

Amara Benyounes : Il faut sans doute mieux expliquer la démarche du président de la République. Le processus de révision de la Constitution a été entamé en mai 2011. Il y a eu une première phase durant laquelle des consultations ont été menées par le président du Conseil de la nation (Sénat), Abdelkader Bensalah, et par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal.

Le fruit de ce processus a été confié à une commission de juristes qui a préparé et soumis au chef de l’État une première mouture. Abdelaziz Bouteflika a estimé que les choses avaient évolué depuis. De nouveaux partis ont vu le jour, les élections législatives et locales de 2012 ont changé la donne politique. Il a estimé nécessaire d’ouvrir une nouvelle concertation.

On ne peut lui faire le reproche d’essayer d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre. La partie de l’opposition que vous évoquez ne s’est pas déterminée en fonction du contenu de la proposition soumise au débat, mais par rapport à la personne d’Abdelaziz Bouteflika, dont elle conteste la légitimité pour faire avancer l’idée d’une transition. L’argument est irrecevable, car nous sommes au lendemain d’une élection présidentielle qu’Abdelaziz Bouteflika a remportée avec plus de 7 millions de voix de plus que le premier de ses cinq rivaux. Le refus de certains de participer à la concertation relève plus du dogmatique que du politique.

En revendiquant la dissolution de l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement), votre parti, le MPA, ne remet-il pas en question la légitimité des institutions ?

Pas du tout. C’est une question de bon sens. Si la nouvelle Constitution est porteuse d’une nouvelle organisation des pouvoirs, et si le nouveau découpage territorial, qui prévoit la création d’une quinzaine de wilayas (préfectures) et d’une centaine de nouvelles communes, est mis en oeuvre, il est tout à fait logique d’organiser des élections générales. Un nouveau texte fondamental suppose une Assemblée adaptée à ses nouvelles prérogatives.

Quant aux entités régionales et locales créées, elles ont le droit, au même titre que celles qui existaient préalablement, d’avoir leurs instances élues. Nous n’avons pas réclamé une dissolution de l’Assemblée pour avoir plus d’élus. Même si notre parti disposait de 80 % de la représentation nationale, nous aurions eu la même attitude : mettre en conformité les institutions élues avec la nouvelle Constitution et la nouvelle configuration territoriale.

Revenons à la concertation. Comment s’est déroulée votre rencontre avec Ahmed Ouyahia ?

Nos propositions d’amendement avaient été rendues publiques avant notre entrevue avec Ahmed Ouyahia. En compagnie de quelques membres de notre bureau national, je lui ai remis un document de vingt pages. La séance de travail a duré deux heures.

Pourquoi l’échange a-t-il duré si longtemps ?

Ahmed Ouyahia n’a pas de projet constitutionnel à vendre clés en main. Il a donc surtout écouté. Ses interventions se sont limitées à des demandes d’éclaircissement sur des points précis de notre document.

En quoi les propositions du MPA consistent-elles ?

Nous avons insisté sur quelques points essentiels : la préservation du caractère républicain et démocratique de l’État ; la constitutionnalisation des libertés fondamentales, individuelles et collectives ; la nécessité du maintien du Conseil de la nation, chambre haute du Parlement, dont certains exigent la disparition du paysage institutionnel ; l’instauration d’un régime semi-présidentiel, avec un Premier ministre chef du gouvernement, responsable devant le Parlement, et l’officialisation du tamazight [la langue berbère]. S’agissant de ce dernier point, je me réjouis qu’il fasse aujourd’hui consensus au sein de l’ensemble de la classe politique, y compris de la majorité présidentielle.

L’officialisation du tamazight signifie que le droit sera dit dans cette langue. L’Algérie, pays qui ne dispose pas d’une académie berbère, y est-elle prête ?

Faut-il attendre qu’une langue dispose de tous les moyens pour qu’elle devienne officielle ? Je suis de ceux qui pensent que c’est en devenant officiel que le tamazight aura tous les moyens. Je partage le point de vue de ce linguiste français qui, répondant à la question « quelle est la différence entre une langue et un dialecte ? », déclare que la langue est un dialecte avec une armée et une police. La différence est donc plus politique que scientifique.

Dernier point sur lequel le MPA insiste : la constitutionnalisation de l’égalité hommes-femmes. Même si une parfaite parité est aujourd’hui un objectif lointain, nous sommes pour l’inscription dans le marbre de la loi de cette dynamique égalitaire.

À l’occasion de cette concertation, la question de la réhabilitation du Front islamique du salut (FIS) est revenue avec insistance dans le débat. Qu’en pensez-vous ?

La charte pour la réconciliation nationale, adoptée par référendum, a valeur de loi. Elle dispose deux points essentiels qui ne doivent pas être occultés par le débat politique. Le premier est qu’elle reconnaît explicitement le rôle et la responsabilité du FIS dans la tragédie nationale [insurrection armée et terrorisme durant les années 1990]. Le second est l’interdiction faite à tous les dirigeants du FIS d’exercer quelque fonction politique que ce soit. Au nom du président Bouteflika, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et le directeur de cabinet du chef de l’État, Ahmed Ouyahia, l’ont clairement affirmé : le retour du FIS n’est pas à l’ordre du jour.

Les propos de votre collègue des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, concernant la réouverture de lieux de culte judaïques et chrétiens fermés pour des raisons sécuritaires ont soulevé une vive polémique. Le Front de la Sahwa salafiste, présenté comme un FIS bis, a mis à profit cette controverse pour manifester…

Le parti que vous évoquez n’a aucune existence légale. J’ai moi-même été sa cible lors d’un appel à manifester contre la politique de mon département. La manifestation a rassemblé une vingtaine de personnes. Les déclarations de Mohamed Aïssa sont conformes à la Constitution de ce pays. Il est ministre des Affaires religieuses et non des Affaires islamiques. La loi respecte la liberté de conscience et de culte. Nous demandons, à juste titre, que les droits des communautés musulmanes soient respectés dans les pays où elles résident. Pourquoi devrions-nous dénier ces droits aux juifs et aux chrétiens qui vivent parmi nous ?

Votre action à la tête du département du Commerce ne suscite pas uniquement la colère des salafistes. La gauche, incarnée par le Parti des travailleurs [PT, de Louisa Hanoune] et par la principale centrale syndicale, s’en est prise avec véhémence à votre politique, notamment au sujet de l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC)…

Il n’y a rien de véhément. C’est un débat normal dans une société pluraliste. L’Algérie est l’un des plus anciens négociateurs avec l’OMC. Ce processus a débuté en 1987. L’OMC regroupe 160 pays et sert de cadre à 97 % des échanges mondiaux. Les mises à niveau de notre économie seraient dérisoires si nous demeurions en marge. Certains de nos partenaires politiques, sociaux ou universitaires jugent la démarche suicidaire. C’est leur droit.

En revanche, ils n’ont pas de leçons de patriotisme à nous donner. Nous sommes dans un débat économique et non dans un débat éthique qui tiendrait pour acquis que le président de la République et son gouvernement s’apprêteraient à brader les intérêts économiques du pays.