Amar Laskri (à gauche) et Ahmed Fattani (au centre) en mars 1975 au Sud-Liban
Amar Laskri est un homme hors du commun. Mais surtout un cinéaste atypique pour tous ceux qui l’ont connu de près ou de loin, durant sa longue carrière marquée par une filmographie riche, dense, généreuse par son humus. Un aspect de sa personnalité qui vient traduire extraordinairement son engagement politique, son combat et son patriotisme pour une Algérie à laquelle il n’a cessé de croire depuis son adolescence, entraîné déjà dans l’enfance par la houle tumultueuse de la Révolution dont son oncle paternel, le colonel Amara Bouglez, fut un acteur de premier plan. L’oeuvre cinématographique de Amar Laskri traduit avec éloquence tout son génie et sa fidélité à une patrie à laquelle il avait tout sacrifié.
C’était, pour ceux qui l’ont côtoyé, un vrai personnage de roman. Point n’est besoin d’aller chercher des témoignages pour étayer cette affirmation. Tous ses films témoignent pour lui et disent, de façon claire, le personnage qu’il n’a cessé d’être de son vivant.
En reportage dans la région du Proche-Orient, je l’ai connu un jour de mars 1975 à Beyrouth. Notre ambassadeur, feu M’hamed Yazid, nous avait réunis dans son bureau pour un «speech» sur le combat des Palestiniens qui avaient établi leur QG dans la capitale libanaise après avoir fui Septembre noir, en Jordanie.
Enthousiaste, bon vivant, amateur de bonne chair, Laskri était l’homme idéal que pouvait chercher tout journaliste en mal d’aventure. Notre amitié sera vite renforcée par un épisode dont la collection du grand quotidien El Moudjahid offre la meilleure preuve à ce jour.
Il me proposa, ni plus ni moins, que de réaliser un reportage au Sud-Liban pour informer les lecteurs algériens sur l’héroïsme d’une poignée de fidaiyine palestiniens qui avaient décidé de tenir tête, depuis plusieurs semaines déjà, aux soldats de l’armée israélienne dans la région de Mardj Ayoun.
A vrai dire, nous avions sous-estimé le danger d’une telle aventure, lui, si enthousiaste rien qu’à l’idée de faire les premiers repérages pour son prochain film qu’il entendait consacrer à la Révolution palestinienne. Pour cette virée dans le Sud, nous avions, d’un commun accord, décidé de ne pas informer notre ambassade, de crainte de la voir nous interdire de faire cette incursion dans une zone interdite, comme l’Algérie en avait bien connu au temps de sa guerre de libération.
Nous avions brûlé tous les feux rouges. Lui, emporté par son rêve de tourner son film, et moi par ma fougue de signer un grand reportage de guerre. Le premier de ma collection…
Pour monter à Kafr Chouba et retrouver les combattants du Fatah, il y avait un autre obstacle qui se dressait sur notre route: convaincre le commandant de cette zone névralgique pour les fidaiyine, dont la base est installée à Mardj Ayoun. Pour cela, il fallait faire confiance au talent de Amar Laskri. Muni d’un laissez-passer, nous traversions Kafr Hammam pour nous hisser jusqu’à Kafr Chouba, installé sur un piton à 1600 mètres d’altitude.
Les habitants avaient déserté le village. Seul un groupe d’une vingtaine de fidaiyine résistaient aux tirs et aux mouvements de l’escadron israélien planqué à quelques encablures. C’était sous la mitraille des fusils israéliens que nous fîmes notre entrée dans ce bastion, jusque-là inexpugnable de la résistance palestinienne.
Laskri leur parla de notre Révolution, de ses sacrifices, de son engagement à l’âge de 15 ans dans les rangs de l’ALN. «Il y a un mot magique que vous devez tous apprendre si vous tenez à voir votre drapeau flotter un jour sur El Qods: le Sacrifice (Ettadhhiya).» Rien que cela.
Il demanda qu’on lui donne deux «klachs». Je suis resté éberlué.
«C’est pour qui? – Pour toi!»
A peine ai-je fini de parler qu’il lâcha la première salve en direction de la guérite israélienne installée à 400 mètres. Ce fut un déluge de feu qui s’abattit sur nous.
Les fidaiyine étaient sidérés par le personnage de Laskri. Son physique, son bagout et son charisme…
Ce reportage fut publié en avril 1975 en quatre parties, illustré de photos, dans le quotidien El Moudjahid. Les lecteurs intéressés par ce témoignage peuvent consulter aujourd’hui la collection disponible dans ce journal.
Adieu Amar.
Adieu Amar Laskri!